DubaÏ et Victor Hugo

On n’arrive pas dans un pays sans un bagage d’images préconstruites, clichés virtuels ou réels, piqués dans les journaux ou dans son imaginaire : je débarque ici avec dans la tronche, les buildings, les îles artificielles en forme de palme, la démesure du trop plein de fric de ceux qui ne font rien face à la petite vie de ceux qui bossent, les mille et une nuits en Lamborghini Murcielago, les hommes enfroqués et enturbannés, les femmes tchadorisées, burkaisée, hijabisées-masquées. Je revois ce poème des Orientales, cette jeune femme trop belle et nue poignardée par ses quatre frères, coupable de s’être dévoilée dans la rue

Ne fuyez pas mes mains qui saignent,

Mes frères, soutenez mes pas !

Car sur mes regards qui s’éteignent

S’étend un voile de trépas.

le quatrième frère

C’en est un que du moins tu ne lèveras pas !

Un peu ridicule et grandiloquent mon Hugo, n’empêche que c’est un des passages de l’œuvre que je retiens depuis des lustres !

Pour résumer, je débarque plein de préjugés et d’images, à la recherche d’un effet exotique et dépaysant à fond !

Pas déçu, il y a un peu de tout ça ! Mais il y a beaucoup plus. On roule au milieu d’un salon de bagnoles d’exception qui se tiendrait dans un gigantesque concours d’architectes !

Le p’tit gars amoureux des Australes et du Loir et Cher, que ça ne gène pas de marcher dans la boue, plus intéressé par les gens que par la pierre, découvre, à très bientôt soixante quatre ans, que la ville et ses tours peuvent être d’une stupéfiante beauté ! Les étudiants des écoles d’archi devraient avoir un stage obligatoire aux EAU ! Chaque immeuble est une œuvre, chaque ensemble est un miracle d’équilibre et d’élégance ! Je n’aurais jamais pensé être à ce point sensible aux prouesses urbanistiques de ces créateurs de villes. Notre vision raisonnable de la cité, avec ses classements et ses interdits nous prive d’un spectacle exaltant et toujours renouvelé ! On a tellement la trouille du kitsch et du ringard que nos paysages construits en sont devenus monotones et compassés. Ici, rien de tout ça, c’est comme Victor Hugo, le sublime côtoie l’exagéré ; faire des courses, aller ici ou là, prendre l’autoroute, le moindre déplacement en voiture est pour moi un vrai régal, une découverte permanente : putain que c’est beau ! Si bien que ma première réaction c’est de me marrer, j’en découvre plus sur moi-même que sur un Moyen -Orient, bien mal nommé ! Ici, il n’y a rien de moyen !

Quand le fric sert à ça, je me dis qu’au moins on n’a pas tout perdu !

Pour les gens c’est pareil, sauf que les originaires du coin sont ultra minoritaires, on voit bien se promener, dans les rues et les malls, quelques fils de cheikh, robe blanche, turban ou casquette de baseball, à la main le blackberry et les clefs de la Ferrari, ou des formes noires et entièrement cachées, seules, dépassant de la robe, les mains décorées au henné, qui tiennent le sac Carrefour ou Auchan bourré de victuailles. Sinon, c’est Pakis, Indiens, Philippins, arabes de partout et blancs becs comme vous et moi, d’Europe, Amérique ou pays de l’est. Pas mal de pétasses blondes, cul pointé en arrière, montées sur échasses, discrètes et fines Philippines, beaucoup de pakistanaises à la peau sombre, certaines très jolies et toutes ces femmes du Moyen-Orient ou du Maghreb, un port de princesses modernes avec souvent les yeux les plus lumineux et les plus profonds du monde. Bon, y a sûrement aussi des beaux mecs, mais vous n’avez qu’à faire le déplacement !

J’ai redécouvert la cuisine indienne, que j’avais négligée à Londres et au Libéria. C’est pas mal si t’aimes le poulet et le safran ! Très bon pas cher ! Les restos sont nombreux et souvent abordables. Mais ici, rien n’est cher en fait, si je bossais dans le coin j’aurais une Ferrari et une Rolex , j’aurais pas l’impression d’avoir loupé ma vie !

Marc se déplace là dedans comme s’il y était né- avec un Garmin dans le Cherokee quand même !- Je me sens extrêmement à l’aise dans cet environnement, retrouvant parfois, quand on s’éloigne des buildings, des parfums de Maroc ou de Mauritanie. Il ne fait pas chaud, il ne fait pas froid, la seule source de gène pour moi, bien mineure cependant, c’est le bruit de fond obligé qui règne partout ici : je n’ai pas trouvé un seul coin de silence depuis mon arrivée, ni dans la rue, bien sûr, ni dans les maisons. Contrairement à ce que pensent les bien entendant, ce dont souffrent le plus les sourdingues –chez moi c’est de la presbyacousie, un mot poli pour dire : il entend plus rien le vieux con !- ce n’est pas de l’excès de silence, mais au contraire d’un fond permanent de sonorité bourdonnante qui étourdit et masque les autres sons, les aigus en particuliers, tout le monde entend ma montre quand elle sonne tous les jours à onze heures- je sais pas pourquoi elle fait ça, sinon pour m’emmerder, moi j’y ai rien demandé !-, tout le monde sauf moi !

Je m’aperçois que je parle surtout de moi, il est vrai que si le sujet est parfois fatigué, il est inépuisable ! Mais rassurez-vous, Marc va bien et si le pays est ruiné, ne vous inquiétez pas, il est loin d’être pauvre ! La bourse est toujours aussi rigolote ! Personne ne s’est demandé pourquoi Dubaï annonce qu’il est en rupture de paiement, la veille de l’Aid, juste avant la fermeture du marché pour un long week-end ! Personne ne s’est demandé pourquoi ils annoncent ça alors qu’ils savent bien qu’Abu-Dhabi va couvrir la dette, même si les émirs de là-bas ne sont pas mécontents de voir l’orgueil d’ici un peu rabaissé ! Bref, posons-nous la question mes frères et essayons de deviner la réponse !