“Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination, sont les routes aimées.” René Char

Catégorie : Vielles choses

Passage 2005/2006

Attendez ! M’sieur !

            Le 26 décembre, sur la rocade de La Rochelle, il est 9h30, grosso mon dos. Je suis prudent, ça glisse – au pays des merveilles-, et les lendemains de Navidad, ça déchante. J’ai le dernier tube de Polnareff années 70 sur Radio Lombalgie. Maria somnole. Tanit roupille dans le coffre – pour les ceuss qu’ignorent, c’est ma chienne, pas la prêtresse de Carthage-. Mon portable vibresonne. Je me suis fait donner par mon collègue un truc mains libres exprès pour ces cas-là. Tu le branches, tu te le colles dans une étagère à mégots et t’entends comme à la maison. Là, spontané comme une bête, je prends l’engin à peine main, le cordon et l’oreillette pendouillent inutiles car je me le porte à l’esgourde en gueulant Allo ! Un mec qui répond à une de mes annonces et qui a dû me trouver bien grossier de lui raccrocher au museau, car… Tut ! Tut ! Tut ! C’est un fourgon de bourriques qui me hèle, il est à mon niveau, je vois un argousin qui me fait des grands signes furibards et incompréhensibles. Je jette le cellulitaire prestement, arrrgh ! Me voilà fait comme un rat ! Délit flagrant ! Ces mecs me suivent, puis me précèdent, continuent leurs signes initiatiques, s’arrêtent sur un dégagement, je fais comme eux. Immédiatement la chape de culpabilité vexante s’abat sur mes épaules. Maria réagit comme toujours en cas de malheur, elle se marre ! Plus tard elle m’expliquera à quel point elle est ravie de vivre dans un pays où les flics font régner l’ordre et la loi : dans le fond ce qui m’arrive est normal et elle n’est pas loin de penser que c’est bien fait pour ma gueule. Y a des jours où on se sent soutenu.

            Il fait un bon mètre quatre vingt douze, le quintal largement dépassé, rubicond franchi, sanglé-jugulé dans du pur cordura et polyester pleine fleur, d’un côté le Heckler et Koch – pas le bacille, le flingue-, de l’autre la Maglite et les menottes, les gants d’hiver passés à la ceinture, et sur le visage cet air de fausse mansuétude exaspéré qui n’appartient qu’aux flics et aux parents débordés. Je suis dans la peau du criminel lambda qui va se goinfrer un troisième degré. Maria est quasiment fascinée par le guignol harnaché façon GIGN, je la perçois tout entière attentive à la suite de l’histoire et pas tellement sensible à ma détresse. Elle voit arriver avec extase le moment béni où la justice s’applique dans toute sa rigueur. Elle se régale d’être en France !

            « Bonjour monsieur ! Les papiers du véhicule svp ! Vous conduisez en téléphonant, ou l’inverse, vous savez que nia nia nia …!

            « Oui, mais… !

            « Attendez ! M’sieur !…

Là j’adore ! Vous avez remarqué comment par cette seule formule on fait comprendre à l’interlocuteur qu’il est une merde qui comprend rien à l’existence et qui va se ramasser une leçon par quelqu’un de bien supérieur en qualité humaine. C’est pas Meussieu, c’est M’sieur ; l’équivalent actuel de l’ancien Mossieu, beaucoup pratiqué par Raimu et Astérix. Avec la suprême nuance dépréciative et humiliante. Précédé du sublime attendez, qui fait florès depuis des lustres pour dire au voisin qu’il est dans l’erreur grossière et qu’il doit cesser toute argumentation illico ! Pour moi, c’est la forme politiquement correcte pour « Non mais, il va la fermer ce connard ! » Cela permet à quelques représentants de la loi d’insulter le contribuable sans risquer de retour fâcheux.

En fait ce que je n’avais pas compris c’était la circonstance aggravante : j’ai mis le téléphone à mon oreille gauche en le tenant de la main droite ! Ouah hé le con hé ! Un vrai danger public ! Dans le fourgon son collègue m’achève : « Pourquoi avez-vous ralenti, quand on vous a fait signe, au risque de créer un bouchon ? Hein, pourquoi ? » S’il y en a un qui a la réponse à ce genre de question, vite ! vite !

Dernière demande en forme de piège à con : » Vous ne contestez pas ? Alors signez là ! » . Je signe sans rien dire et rejoins mon bout de fer avec la famille à l’intérieur.

Me reste plus qu’à écouter Maria philosopher sur l’excellence de notre système, et sa supériorité sur celui du Brésil ; ça durera une petite centaine de kilomètres d’autoroute.

Sans déconner, sire !

Au risque de me faire des ennemis, je voudrais parler des bonheurs que me donne notre sixième chaîne de télévision.

Je sais, la plupart des émissions sont débiles, les séries américaines ne valent pas plus cher et le créneau du matin est occupé par une bande de jeunes, hilares à tout propos, au crétinisme bon enfant et graveleux et qui sont aussi confondants que leurs aînés. A sept heures du matin, t’as le choix entre ça et William Leymergie, autant dire que tu regrettes vite de n’avoir ni le câble ni la parabole. Bon alors qu’est-ce qu’il y a à sauver sur la 6 ?

Le soir à 20h40 et le matin dans l’émission des petits cons, il y a Kaamelott ! Je suis devenu Kaamelott addict, c’est le seul truc qui me fasse vraiment marrer à la télé. Ces Astier ont une forme d’humour qui me convient tout à fait : parodie intelligente et truculente, anachronismes cocasses et judicieux, et mise en scène de la bêtise qui frise le génie. C’est là que se manifeste le mieux la qualité du comique : la figure de l’abruti y est magnifiée. C’est pour les mêmes raisons que j’aime les frères Cohen, les personnages de Fargo sont presque tous irrécupérables. Ritchie – le réalisateur de Snatch– est de la même veine.

Les deux Astier, père et fils,  Arthur et Léodagan, son beau-père dans la série sont impeccables de bougonnerie et de colère véhémente, vocabulaire volontiers gaillard et imagé, populaire, rarement grossier ; la phrase est très moderne mais pas détestablement jeune ; Perceval et Karadoc, les comparses qui ne comprennent rien à l’histoire ni à l’Histoire, sont étonnants : l’un, Karadoc, est boulimique et trouillard, l’autre est inconscient et capable de lueurs supranaturelles ; par exemple, il peut calculer comme le personnage de Rainman, aussi vite et aussi précisément ; il peut donner le nombre exact de briques qui composent la citadelle de Kaamelott, multiplier des nombres énormes sans se tromper et dans l’instant… Ils ont en plus une vision très réaliste de leur manque de moyens, ils se savent particulièrement stupides et incapables. Petite scène autour de la table ronde, débat animés par le père Blaise et régulés par le roi Arthur. Il s’agit de faire honneur aux chevaliers disparus en rappelant leur mémoire ; manque de pot, personne n’a souvenir d’une disparition, alors pollop pour honorer quiconque ! Brusquement, un des chevaliers : « Mais si, y avait bien le seigneur, euh… comment on l’appelle… Le gros con-là… ? »

Karadoc, démentant aussitôt du ton de l’évidence : « Mais non, j’suis là ! » Grand Dieu que de bonheur !

Le roi pris de remords en pensant qu’il est peut-être dans la mauvaise voie en houspillant Perceval et en le dévalorisant en permanence se risque à une flatterie, le chevalier imbécile ne peut le supporter et s’évanouit aussi sec !

Perceval initiant Karadoc et l’aubergiste au Sirop, un jeu qu’il est seul à comprendre et qu’il explique de façon détaillée et totalement ésotérique : « Bon là c’est la règle simplifiée, la règle complète, ça demanderait plus de temps » !.

Karadoc dit toujours « c’est pas faux ! » quand il ne comprend pas un terme –c’est pas rare !- ; amicalement, il initie Perceval, qui en a fort besoin, à cette stratégie ; ce dernier est en passe de séduire la servante de l’auberge ; câline, elle se livre entièrement à cette oreille complaisante : « Vous savez, il y a des jours, je me sens particulièrement insipide »! L’autre rétorque, l’air important : « c’est pas faux » ! Fin d’une grande idylle !

Et Merlin, l’enchanteur nul et pusillanime, qui fait tout à l’envers et de mauvaise grâce.

Lancelot transi devant une Guenièvre niaise, boulotte et popote, bafouée par un roi qui multiplie les maîtresses et les humiliations ; mais rien n’y fait : elle reste enjouée au point de le rendre cinglé ! Le tavernier dit qu’elle est con comme une chaise !

Il faut le voir, c’est pas racontable. Il y a même des épisodes fort savants, en particulier un passage très documenté sur la musique médiévale avec le père Blaise partisan de la quinte juste et dont les oreilles s’offusquent des variations proposées par le roi et Bohort ; c’est quasiment une leçon de musique avec démonstrations chantées.

            Vive Kaamelott et les pommes de terre frites !

Sinon bonne cuvée à ceux qui me l’ont souhaitée et aux autres !

Le K

Australian meat in Dubaï

DubaÏ et Victor Hugo

On n’arrive pas dans un pays sans un bagage d’images préconstruites, clichés virtuels ou réels, piqués dans les journaux ou dans son imaginaire : je débarque ici avec dans la tronche, les buildings, les îles artificielles en forme de palme, la démesure du trop plein de fric de ceux qui ne font rien face à la petite vie de ceux qui bossent, les mille et une nuits en Lamborghini Murcielago, les hommes enfroqués et enturbannés, les femmes tchadorisées, burkaisée, hijabisées-masquées. Je revois ce poème des Orientales, cette jeune femme trop belle et nue poignardée par ses quatre frères, coupable de s’être dévoilée dans la rue

Ne fuyez pas mes mains qui saignent,

Mes frères, soutenez mes pas !

Car sur mes regards qui s’éteignent

S’étend un voile de trépas.

le quatrième frère

C’en est un que du moins tu ne lèveras pas !

Un peu ridicule et grandiloquent mon Hugo, n’empêche que c’est un des passages de l’œuvre que je retiens depuis des lustres !

Pour résumer, je débarque plein de préjugés et d’images, à la recherche d’un effet exotique et dépaysant à fond !

Pas déçu, il y a un peu de tout ça ! Mais il y a beaucoup plus. On roule au milieu d’un salon de bagnoles d’exception qui se tiendrait dans un gigantesque concours d’architectes !

Le p’tit gars amoureux des Australes et du Loir et Cher, que ça ne gène pas de marcher dans la boue, plus intéressé par les gens que par la pierre, découvre, à très bientôt soixante quatre ans, que la ville et ses tours peuvent être d’une stupéfiante beauté ! Les étudiants des écoles d’archi devraient avoir un stage obligatoire aux EAU ! Chaque immeuble est une œuvre, chaque ensemble est un miracle d’équilibre et d’élégance ! Je n’aurais jamais pensé être à ce point sensible aux prouesses urbanistiques de ces créateurs de villes. Notre vision raisonnable de la cité, avec ses classements et ses interdits nous prive d’un spectacle exaltant et toujours renouvelé ! On a tellement la trouille du kitsch et du ringard que nos paysages construits en sont devenus monotones et compassés. Ici, rien de tout ça, c’est comme Victor Hugo, le sublime côtoie l’exagéré ; faire des courses, aller ici ou là, prendre l’autoroute, le moindre déplacement en voiture est pour moi un vrai régal, une découverte permanente : putain que c’est beau ! Si bien que ma première réaction c’est de me marrer, j’en découvre plus sur moi-même que sur un Moyen -Orient, bien mal nommé ! Ici, il n’y a rien de moyen !

Quand le fric sert à ça, je me dis qu’au moins on n’a pas tout perdu !

Pour les gens c’est pareil, sauf que les originaires du coin sont ultra minoritaires, on voit bien se promener, dans les rues et les malls, quelques fils de cheikh, robe blanche, turban ou casquette de baseball, à la main le blackberry et les clefs de la Ferrari, ou des formes noires et entièrement cachées, seules, dépassant de la robe, les mains décorées au henné, qui tiennent le sac Carrefour ou Auchan bourré de victuailles. Sinon, c’est Pakis, Indiens, Philippins, arabes de partout et blancs becs comme vous et moi, d’Europe, Amérique ou pays de l’est. Pas mal de pétasses blondes, cul pointé en arrière, montées sur échasses, discrètes et fines Philippines, beaucoup de pakistanaises à la peau sombre, certaines très jolies et toutes ces femmes du Moyen-Orient ou du Maghreb, un port de princesses modernes avec souvent les yeux les plus lumineux et les plus profonds du monde. Bon, y a sûrement aussi des beaux mecs, mais vous n’avez qu’à faire le déplacement !

J’ai redécouvert la cuisine indienne, que j’avais négligée à Londres et au Libéria. C’est pas mal si t’aimes le poulet et le safran ! Très bon pas cher ! Les restos sont nombreux et souvent abordables. Mais ici, rien n’est cher en fait, si je bossais dans le coin j’aurais une Ferrari et une Rolex , j’aurais pas l’impression d’avoir loupé ma vie !

Marc se déplace là dedans comme s’il y était né- avec un Garmin dans le Cherokee quand même !- Je me sens extrêmement à l’aise dans cet environnement, retrouvant parfois, quand on s’éloigne des buildings, des parfums de Maroc ou de Mauritanie. Il ne fait pas chaud, il ne fait pas froid, la seule source de gène pour moi, bien mineure cependant, c’est le bruit de fond obligé qui règne partout ici : je n’ai pas trouvé un seul coin de silence depuis mon arrivée, ni dans la rue, bien sûr, ni dans les maisons. Contrairement à ce que pensent les bien entendant, ce dont souffrent le plus les sourdingues –chez moi c’est de la presbyacousie, un mot poli pour dire : il entend plus rien le vieux con !- ce n’est pas de l’excès de silence, mais au contraire d’un fond permanent de sonorité bourdonnante qui étourdit et masque les autres sons, les aigus en particuliers, tout le monde entend ma montre quand elle sonne tous les jours à onze heures- je sais pas pourquoi elle fait ça, sinon pour m’emmerder, moi j’y ai rien demandé !-, tout le monde sauf moi !

Je m’aperçois que je parle surtout de moi, il est vrai que si le sujet est parfois fatigué, il est inépuisable ! Mais rassurez-vous, Marc va bien et si le pays est ruiné, ne vous inquiétez pas, il est loin d’être pauvre ! La bourse est toujours aussi rigolote ! Personne ne s’est demandé pourquoi Dubaï annonce qu’il est en rupture de paiement, la veille de l’Aid, juste avant la fermeture du marché pour un long week-end ! Personne ne s’est demandé pourquoi ils annoncent ça alors qu’ils savent bien qu’Abu-Dhabi va couvrir la dette, même si les émirs de là-bas ne sont pas mécontents de voir l’orgueil d’ici un peu rabaissé ! Bref, posons-nous la question mes frères et essayons de deviner la réponse !

TOTO

Mon compagnon de Tubuaï, il y est  resté

Todo sobre Toto

La genèse

Il est temps que je vous entretienne de Toto. Plusieurs raisons à cela : le sujet est intéressant et il aime qu’on s’intéresse à lui ; d’ailleurs il regarde ce que j’écris par-dessus mon épaule. Et puis beaucoup parmi vous ne le verront jamais qu’en photo puisque destiné à rester sur son île il ne me suivra pas dans mes futurs exils. Et comme ceux dont je parle plus haut sont trop casaniers, ou loin, ou fainéants, ou pauvres, ou carrément indifférents, je leur donne une chance de connaître un peu ce drôle de petit garçon avec un gros nez dixit Peppermint Patty, que ceux qui ne connaissent pas Peanuts fassent un pas en avant !-, son histoire et sa vision du monde.

Mais, chers lecteurs, revenons plutôt en arrière. Il y a quelques mois de cela, je m’arrête, comme presque tous les jours chez la wallisienne pour acheter quelques salades et de quoi mettre au potage. Thérésa est une charmante -quoique légèrement hirsute, merci d’être velue !- et enjouée sexagénaire qui vend des légumes et possède une harde de clebs multiraciaux. Il en est de toutes les couleurs ; ils ont quand même quelques caractéristiques locales et récurrentes, assez chafouins, plutôt bas de poitrine, hauts de cul et pattes torses ; les mâles ont un équipement surdimensionné et les femelles la mamelle alanguie et facilement débordante. Je soupçonne quelque hound ou artésien importé d’avoir laisser des traces génétiques non récessives dans l’île. Petits, il n’est rien de plus joli à voir ! Ce jour-là, il y en a un qui sort un peu du lot : il me fixe, l’œil rond et le fouet baladeur. Plutôt mal soigné, pas gras, poil rêche et ronds de pelade sur le flanc et la tête, il est aussi bancroche, manifestement bousculé par un conducteur pressé, touché au niveau de la hanche, il a une patte arrière raide et légèrement atrophiée. Pour l’instant, c’est pas un prix de Diane. On voit bien qu’il ne fait pas l’objet de soins attentifs et que dans le struggle for life, il est plutôt mal barré ! Je suis séduit mais lucide. « Le veux-tu ? » m’alterque mère Thérésa. « Ne puis, hélas ! Trop occupé à vagabonder , je n’aurais que faire d’un boulet fourru ! » rétorqué-je. Elle : « Il s’appelle Toto ! » Moi : « C’est pas grave ! » Elle revient à la charge : «  Si tu le souhaites, tu peux le prendre en pension et me le retourner quand tu sillonneras la planète ! » Me voilà tenté : « Or ça, Thérèse, toi qui rit quand on t’apaise, mais que voilà une proposition qui pourrait m’agréer ! » C’est ainsi que j’ai pris Toto en dépôt et qu’à chaque voyage, j’ai la possibilité de le remettre dans son ancien biotope. Mais corrigeons un peu : Micheline qui tient mon ménage d’une main ferme et deux fois par semaine a fini par s’attacher au canis lupus familiaris tubuensis, au point d’exiger la garde du ci-devant pendant mes absences, ce qui fait qu’en ces circonstances il a droit au séjour chez tatie Micheline, moelleux et cocoonesque à souhait.

Il est libre Toto

Dans mes souvenirs les plus lointains, l’image familiale n’est entière que par la présence du chien. Chez mes parents les périodes sans chien ne duraient jamais plus de quelques jours. Mon père se donnait comme alibi la nécessité d’un compagnon de chasse ; pudeur de sa part : non chasseur il eut trouvé mille autres raisons pour avoir son épagneul ! Plus tard, j’ai repris la chose à mon compte et avec la complicité bienveillante de mes compagnes, j’ai eu le bonheur et le souci permanent d’une présence canine dans mes maisons. Mais il s’agissait de bêtes utiles qui gagnaient leur pain sur les territoires sauvages que je battais d’un mollet ferme et nerveux. Il s’agissait de bêtes obéissantes et dociles, casanières et dépendantes. Mes chiens, nos chiens, une sorte de servage à quatre pattes dont l’existence était vouée à suivre le maître à la chasse et à divertir le reste de la famille. Quelque chose à aimer, quand même, en plus dans la parentèle.

Toto, lui, n’est pas à moi,il fait ce qu’il a envie quand il en a envie, même s’il préfère le faire avec moi. Car, tout de même , il a la rage de me suivre partout ou je vais, que cela me plaise ou non. Si je souhaite le faire sortir pour la nuit, il s’incruste ; si au contraire, ayant à faire en des lieux où les animaux ne sont pas admis, je voudrais le voir à l’intérieur, il campe sur la terrasse, sourd à mes ordres pourtant péremptoires ! Je sors, il est déjà devant la voiture, baluchon sur l’épaule ! Je prends ma canne à pêche, il est le premier au lagon. Je suis sur l’ordinateur ? Une truffe bien fraîche se pose sur ma cuisse et un mufle obstiné réclame sa flatterie. Je cuisine ? Passionné qu’il est ! C’est Drucker devant le Coffe ! Dans mon fauteuil je l’ai quasiment toujours à portée de caresse. Pourtant, le matin surtout, il aime musarder autour de la maison. Il va voir sa voisine, lice blanche et immaculée, beaucoup plus âgée que lui, elle lui fait quelques grâces hautaines dont il a l’air de se régaler. En sa compagnie, il gambade, ils n’hésitent pas à passer la route et pousser jusqu’au lagon d’où ils reviennent ruisselant et encore plus énervés. Dans ces moments si je le rappelle, il me regarde m’égosiller et m’oppose un refus d’obtempérer assez ferme, encore qu’ accompagné d’un balancement caudal en signe d’excuse. Il est sous le charme d’une vieille maîtresse, je ne fais pas le poids !

Il est libre, Toto ! C’est la première fois que j’ai un chien anar ! Un Kropotkine à pattes, un Bakounine velu, un Proudhon aux longues oreilles ; Ferré disait que les anarchistes étaient la plupart espagnols, chez Toto ça se voit surtout à la proéminence des castagnettes !

Tout à fait hors de propos : vous avez écouté la version de Mama Béa Tekielski de cette chanson de Ferré ?

Il aime.

Manger. Cela le passionne, il est très fort pour trier : dans la pâtée, il ne laisse que les légumes et les aulx, même très cuits, pour le reste, tout y passe ! Il pourrait être né en 1945, comme moi, toujours affamé et fatigué !

Dormir. Partout, sur le flanc, sur le ventre, le dos, n’importe où, fauteuil, pavé, coucouche, bagnole-siège ou benne-, tas de sable des voisins surtout en plein soleil, herbe fraîche, plage humide… y a qu’un truc qui l’intéresse pas, le plumard ! Curieux ce mec !

Courir. Quand on le regarde, avec sa patte gauche raide et qui ne touche guère le sol, on ressent bien la joie qu’il éprouve à pratiquer l’exercice. Il court avec sa copine, ses éventuels copains, devant moi en grognant comme un forcené sur la plage, pour rien, pour tenter de voler dans les plumes des quelques poulets qui se hasardent à venir le narguer à sa gamelle. J’ai vu des poules voler comme des faisanes, des poussins comme des cailles ! Quand il revient il irradie d’autosatisfaction, on sent qu’il s’est acquitté là d’une tâche importante !

Poser. Il se prend souvent pour Snoopy- pour Peanuts, un pas en avant j’ai dit !- quand il imite le coyote : cul levé, cou bien rentré dans les épaules, regard en dessous un peu fixe, un peu vide. Des fois il te foutrait la trouille c’con-là !

Il aime pas.

Quand Micheline prend le balais.

Quand on veut le caresser en avançant vers lui.

Quand on essaye de l’attraper.

Quand on essaye de lui mettre un collier. Micheline a failli l’étrangler quand elle s’est entêtée à vouloir l’attacher avec une corde. Roland m’a dit que sans son intervention, elle ne serait pas parvenue à lui éviter la strangulation.

Quand je le laisse seul.

Quand je lui interdis de descendre de la bagnole ; d’ailleurs il descend quand même.

Quand on s’approche de la maison.

Le gai Toto a du avoir une prime jeunesse pas très drôle, je lui ai donné une adolescence et un début d’âge adulte plutôt heureux. Il a récupéré sa robe de gala, toutes les traces de pelade ont disparues, il est bien dodu et luisant, nourri de poisson –c’est bon pour le sous-poil !- et de tout ce que je mange. Il est gâté, jamais grondé. On lui parle avec affection et intérêt. En retour, il me fait marrer, me rend au centuple l’intérêt que je lui porte et égaye l’atmosphère de la maison en permanence. C’est l’affaire du siècle !

En même temps

J’ai écrit ça y a dix ans, j’enlève rien!

En même temps

Vous avez remarqué comme moi à quel point les mots peuvent changer de sens et même dire l’inverse de ce qu’ils semblent signifier à l’origine.

On va commencer par une expression qui fait florès en ce moment, des conversations de cour de récré, jusqu’à la télévision –l’ignoble Field, le social traître de LCI l’emploie à tout bout de phrase creuse et mal sentie- je veux parler de l’usage qui est fait de en même temps. On oublie le sens premier qui est d’exprimer une concomitance dans la chronologie, par exemple quand je lis : Peut-on vraiment marcher et uriner en même temps ? (Bernard Henri Lévy). Ou bien : il était difficile pour les deux amants d’avoir un orgasme en même temps ( Christine Angot). Ou pour finir : Il pensait à la situation au Moyen-Orient et en même temps, il jouait distraitement avec son prépuce (Alain Minc). A présent, on utilise la chose pour exprimer une atténuation ou même une opposition, pour dire parfois à peu près l’inverse du début de la phrase. On est dans la perspective de la pensée molle (vous vous souvenez : on dit jamais non en face, on dit ça va pas être possible). Des exemples ? En v’là : Il était gentil avec tout le monde, en même temps, il était parfois dur avec son épouse( Comprendre : il lui foutait sur la gueule régulièrement !) Donc : Il était gentil avec tout le monde, mais en fait c’était un vrai salopard ! Un autre ? Sarkozy a toujours un discours franc et sincère, en même temps il se trompe sur certains sujets ! Là je traduis pas. On répartit équitablement : Mitterand reste emblématique pour une certaine gauche en même temps il y a eu l’ »attentat » de l’Observatoire. Sur un cahier propre, citez moi trois exemples de l’utilisation de en même temps dans la pensée molle.

PS : au tout début, il m’est arrivé de perdre mes lectures avec monsieur Béchamel-BHL- , car à l’université on est un peu obligé de suivre la mode, par contre (pas en même temps) je n’ai jamais lu une ligne de Christine Angot ni un mot de ce Minc. Quand la droite se met à penser, il est temps de repartir pour des horizons lointains. Notre nouvelle droite ne se contente pas de baiser le pov’ monde – là on peut pas lui en vouloir c’est dans sa nature- elle exige son assentiment. Ben oui ça fait mal au cul, en même temps c’est la loi du marché, t’es d’accord avec moi ! D’ailleurs demande à Strauss-Kahn !

Les mensonges de Marcel

S’il y a une stratégie qui a toujours existé, qui demande un certain aplomb, mais qui marche, c’est bien la négation de l’évidence. Tu fais ou tu dis un truc qu’on te reproche, surtout tu t’excuses pas, tu nies jusqu’au bout : je l’ai pas fait, je l’ai pas dit, vous avez mal interprété ! Et là on a la phrase qui dédouane automatiquement : vous avez sorti ces paroles du contexte où je les ai prononcées! Avec ça t’es peinard, ils ont plus rien à dire en face ! En politique c’est permanent, on va y venir, mais ça me rappelle mon copain Marcel.

Marcel, pied noir algérien, était prof dans le même bahut que moi, au Gabon. Il passait son temps à tricher dans tous les domaines. Il abandonnait sa classe sous les prétextes les plus inventifs, courses à faire, santé fragile, il s’arrangeait en permanence pour passer devant tout le monde, truquait ses compteurs d’eau et d’électricité, ne rendait jamais la monnaie, promettait sans tenir, arnaquait sans relâche et avec une obstination tout à fait admirable ! Marcel m’avait à la bonne, non seulement je n’ai jamais compté au nombre de ses victimes mais il avait entrepris de me convertir à ses principes. Il aurait voulu faire de moi son émule, me convertir à la saloperie militante, désolé par mon manque d’enthousiasme, un peu déçu par ce qu’il considérait comme les faiblesses de mon personnage ; bref je manquais d’ambition !

Marcel avait une femme pied noir comme lui, grande blonde à la beauté altière bien qu’un peu épanouie ; épouse fidèle, dévouée et attentive, mère exemplaire de deux enfants élevés à la perfection ; mais jalouse. Marcel était un super clébard, flamberge au vent en permanence, il passait son temps à séduire ou à essayer. Il parvenait souvent à ses fins et alignait les conquêtes comme Estrosi les âneries. Je m’étonnais devant lui que ses prouesses passassent inaperçues et échappassent à la sagacité vétilleuse de son épouse. Il m’a raconté comment quelques fois il s’était fait prendre la main dans le panier, une seule solution dans ce cas, avec l’accent d’lâ-bâs si facile à imiter à l’oral :

Albéért, n’âvououe jâmé ! Tûû nies ! Devant l’évidence la plus éclatante il niait, expliquait argumentait, contre toute logique et au mépris de la réalité la plus flagrante ! Il niait et

apparemment ça marchait, apparemment ; au moins avec cette personne, peut-être naïve où au contraire très rusée ; l’évidence ça peut coûter cher à tout le monde.

En politique c’est pareil. On commence par Frêche ? L’équipe de France pleine de blacks – sûr qu’en petit comité, il dit nègres-, il l’a dit mais c’était pas raciste. Fabius avec sa tronche pas catholique, il l’a dit mais c’était pas antisémite ! En fait c’est vrai, il est populiste Frêche, démago du midi (enculés de parisiens !), assez connard de base dans son discours, mais c’est fait exprès, il n’est ni raciste ni antisémite mais il en adopte volontiers le langage pour aller labourer les terres du FN. Donc on interprète mal ses paroles. On tient pas compte du contexte.

L’autre Mitterand, maintenant. Il est de la jaquette militante- !- . C’est son droit et comme Voltaire, je suis prêt à me battre pour qu’il ait le loisir de s’exprimer à ce sujet. Il est allé en Thaïlande. Il l’écrit. Il a eu des relations homosexuelles là-bas, avec des jeunes gens. Il l’écrit. On vient le chercher là-dessus, le FN et quelques connards de service au PS. Bon jusqu’ici, ça va. Il pourrait dire simplement que c’est une œuvre de fiction et qu’il ne légitime pas le tourisme sexuel. Point. Pas du tout il s’enferme dans des explications à la con ou il nous dit qu’il n’a de relations zig-zig qu’avec des hommes de quarante ans ; c’est bien connu la Thaïlande est célèbre pour ses hommes de quarante ans qui envahissent les trottoirs la nuit venue ! Donc on lui fait un faux procès. On extrait les citations de leur contexte !

L’Hortefeux à présent : il fait une plaisanterie fine sur les arabes – sûr qu’en petit comité il dit les bougnouls ou pire les gris comme on dit maintenant- Là aussi ça voulait pas dire ça- pas bougnouls, bougnats- il parlait des auvergnats et ces cons de journalistes qui vont pas te dénoncer une plaisanterie raciste ! Persécuté, le Brice. Comme Morano, que la casquette à l’envers c’est une image ! C’est pas du racisme. Et le contexte, alors !

Et Longuet! Il se sort le cul propre avec un non lieu providentiel sur le financement de son ancien parti, personne dit rien, c’est vieux, on a oublié, les juges qui vont bien en ont profité… Tu crois qu’il ferait profil bas et se signerait pour remercier du miracle ? Non il fait péter sa gueule sur un truc qui le regarde même pas. Pour diriger la Halde, il ne veut pas de Malek Boutih, car dit-il, il n’est pas représentatif du français standard – ce qui en soit est déjà un hommage, j’aimerais pas être représentatif de ça !-. Le fait qu’il soit d’origine arabe et que Longuet ait milité un moment à l’extrême droite n’a rien à voir avec l’histoire. Encore des médisances de journalistes vendus à la cause socialo-écolo. Tenez compte du contexte !

On finit par le plus beau ? Notre président ne fait pas campagne et il le dit. Contexte !

Je suis assez pour la réhabilitation du politique, en même temps j’ai l’impression qu’on se fout de ma gueule !

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén