Attendez ! M’sieur !

            Le 26 décembre, sur la rocade de La Rochelle, il est 9h30, grosso mon dos. Je suis prudent, ça glisse – au pays des merveilles-, et les lendemains de Navidad, ça déchante. J’ai le dernier tube de Polnareff années 70 sur Radio Lombalgie. Maria somnole. Tanit roupille dans le coffre – pour les ceuss qu’ignorent, c’est ma chienne, pas la prêtresse de Carthage-. Mon portable vibresonne. Je me suis fait donner par mon collègue un truc mains libres exprès pour ces cas-là. Tu le branches, tu te le colles dans une étagère à mégots et t’entends comme à la maison. Là, spontané comme une bête, je prends l’engin à peine main, le cordon et l’oreillette pendouillent inutiles car je me le porte à l’esgourde en gueulant Allo ! Un mec qui répond à une de mes annonces et qui a dû me trouver bien grossier de lui raccrocher au museau, car… Tut ! Tut ! Tut ! C’est un fourgon de bourriques qui me hèle, il est à mon niveau, je vois un argousin qui me fait des grands signes furibards et incompréhensibles. Je jette le cellulitaire prestement, arrrgh ! Me voilà fait comme un rat ! Délit flagrant ! Ces mecs me suivent, puis me précèdent, continuent leurs signes initiatiques, s’arrêtent sur un dégagement, je fais comme eux. Immédiatement la chape de culpabilité vexante s’abat sur mes épaules. Maria réagit comme toujours en cas de malheur, elle se marre ! Plus tard elle m’expliquera à quel point elle est ravie de vivre dans un pays où les flics font régner l’ordre et la loi : dans le fond ce qui m’arrive est normal et elle n’est pas loin de penser que c’est bien fait pour ma gueule. Y a des jours où on se sent soutenu.

            Il fait un bon mètre quatre vingt douze, le quintal largement dépassé, rubicond franchi, sanglé-jugulé dans du pur cordura et polyester pleine fleur, d’un côté le Heckler et Koch – pas le bacille, le flingue-, de l’autre la Maglite et les menottes, les gants d’hiver passés à la ceinture, et sur le visage cet air de fausse mansuétude exaspéré qui n’appartient qu’aux flics et aux parents débordés. Je suis dans la peau du criminel lambda qui va se goinfrer un troisième degré. Maria est quasiment fascinée par le guignol harnaché façon GIGN, je la perçois tout entière attentive à la suite de l’histoire et pas tellement sensible à ma détresse. Elle voit arriver avec extase le moment béni où la justice s’applique dans toute sa rigueur. Elle se régale d’être en France !

            « Bonjour monsieur ! Les papiers du véhicule svp ! Vous conduisez en téléphonant, ou l’inverse, vous savez que nia nia nia …!

            « Oui, mais… !

            « Attendez ! M’sieur !…

Là j’adore ! Vous avez remarqué comment par cette seule formule on fait comprendre à l’interlocuteur qu’il est une merde qui comprend rien à l’existence et qui va se ramasser une leçon par quelqu’un de bien supérieur en qualité humaine. C’est pas Meussieu, c’est M’sieur ; l’équivalent actuel de l’ancien Mossieu, beaucoup pratiqué par Raimu et Astérix. Avec la suprême nuance dépréciative et humiliante. Précédé du sublime attendez, qui fait florès depuis des lustres pour dire au voisin qu’il est dans l’erreur grossière et qu’il doit cesser toute argumentation illico ! Pour moi, c’est la forme politiquement correcte pour « Non mais, il va la fermer ce connard ! » Cela permet à quelques représentants de la loi d’insulter le contribuable sans risquer de retour fâcheux.

En fait ce que je n’avais pas compris c’était la circonstance aggravante : j’ai mis le téléphone à mon oreille gauche en le tenant de la main droite ! Ouah hé le con hé ! Un vrai danger public ! Dans le fourgon son collègue m’achève : « Pourquoi avez-vous ralenti, quand on vous a fait signe, au risque de créer un bouchon ? Hein, pourquoi ? » S’il y en a un qui a la réponse à ce genre de question, vite ! vite !

Dernière demande en forme de piège à con : » Vous ne contestez pas ? Alors signez là ! » . Je signe sans rien dire et rejoins mon bout de fer avec la famille à l’intérieur.

Me reste plus qu’à écouter Maria philosopher sur l’excellence de notre système, et sa supériorité sur celui du Brésil ; ça durera une petite centaine de kilomètres d’autoroute.

Sans déconner, sire !

Au risque de me faire des ennemis, je voudrais parler des bonheurs que me donne notre sixième chaîne de télévision.

Je sais, la plupart des émissions sont débiles, les séries américaines ne valent pas plus cher et le créneau du matin est occupé par une bande de jeunes, hilares à tout propos, au crétinisme bon enfant et graveleux et qui sont aussi confondants que leurs aînés. A sept heures du matin, t’as le choix entre ça et William Leymergie, autant dire que tu regrettes vite de n’avoir ni le câble ni la parabole. Bon alors qu’est-ce qu’il y a à sauver sur la 6 ?

Le soir à 20h40 et le matin dans l’émission des petits cons, il y a Kaamelott ! Je suis devenu Kaamelott addict, c’est le seul truc qui me fasse vraiment marrer à la télé. Ces Astier ont une forme d’humour qui me convient tout à fait : parodie intelligente et truculente, anachronismes cocasses et judicieux, et mise en scène de la bêtise qui frise le génie. C’est là que se manifeste le mieux la qualité du comique : la figure de l’abruti y est magnifiée. C’est pour les mêmes raisons que j’aime les frères Cohen, les personnages de Fargo sont presque tous irrécupérables. Ritchie – le réalisateur de Snatch– est de la même veine.

Les deux Astier, père et fils,  Arthur et Léodagan, son beau-père dans la série sont impeccables de bougonnerie et de colère véhémente, vocabulaire volontiers gaillard et imagé, populaire, rarement grossier ; la phrase est très moderne mais pas détestablement jeune ; Perceval et Karadoc, les comparses qui ne comprennent rien à l’histoire ni à l’Histoire, sont étonnants : l’un, Karadoc, est boulimique et trouillard, l’autre est inconscient et capable de lueurs supranaturelles ; par exemple, il peut calculer comme le personnage de Rainman, aussi vite et aussi précisément ; il peut donner le nombre exact de briques qui composent la citadelle de Kaamelott, multiplier des nombres énormes sans se tromper et dans l’instant… Ils ont en plus une vision très réaliste de leur manque de moyens, ils se savent particulièrement stupides et incapables. Petite scène autour de la table ronde, débat animés par le père Blaise et régulés par le roi Arthur. Il s’agit de faire honneur aux chevaliers disparus en rappelant leur mémoire ; manque de pot, personne n’a souvenir d’une disparition, alors pollop pour honorer quiconque ! Brusquement, un des chevaliers : « Mais si, y avait bien le seigneur, euh… comment on l’appelle… Le gros con-là… ? »

Karadoc, démentant aussitôt du ton de l’évidence : « Mais non, j’suis là ! » Grand Dieu que de bonheur !

Le roi pris de remords en pensant qu’il est peut-être dans la mauvaise voie en houspillant Perceval et en le dévalorisant en permanence se risque à une flatterie, le chevalier imbécile ne peut le supporter et s’évanouit aussi sec !

Perceval initiant Karadoc et l’aubergiste au Sirop, un jeu qu’il est seul à comprendre et qu’il explique de façon détaillée et totalement ésotérique : « Bon là c’est la règle simplifiée, la règle complète, ça demanderait plus de temps » !.

Karadoc dit toujours « c’est pas faux ! » quand il ne comprend pas un terme –c’est pas rare !- ; amicalement, il initie Perceval, qui en a fort besoin, à cette stratégie ; ce dernier est en passe de séduire la servante de l’auberge ; câline, elle se livre entièrement à cette oreille complaisante : « Vous savez, il y a des jours, je me sens particulièrement insipide »! L’autre rétorque, l’air important : « c’est pas faux » ! Fin d’une grande idylle !

Et Merlin, l’enchanteur nul et pusillanime, qui fait tout à l’envers et de mauvaise grâce.

Lancelot transi devant une Guenièvre niaise, boulotte et popote, bafouée par un roi qui multiplie les maîtresses et les humiliations ; mais rien n’y fait : elle reste enjouée au point de le rendre cinglé ! Le tavernier dit qu’elle est con comme une chaise !

Il faut le voir, c’est pas racontable. Il y a même des épisodes fort savants, en particulier un passage très documenté sur la musique médiévale avec le père Blaise partisan de la quinte juste et dont les oreilles s’offusquent des variations proposées par le roi et Bohort ; c’est quasiment une leçon de musique avec démonstrations chantées.

            Vive Kaamelott et les pommes de terre frites !

Sinon bonne cuvée à ceux qui me l’ont souhaitée et aux autres !

Le K