“Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination, sont les routes aimées.” René Char

Mois : août 2021

Blog blog blog !

         Comme un évier que l’on débonde, blog, blog… la question se pose, pourquoi un blog ? J’ai une curieuse pathologie qui date de loin, j’écris. Je ne suis ni écrivain, ni romancier, ni rien d’aussi noble et d’aussi lourdingue à porter. Les vieux instits et les demoiselles en mal d’amour faisaient des vers ; ils n’étaient pas poètes et ne se revendiquaient pas comme tels ; rimailleurs disait-on. Eh bien voilà, moi je suis prosailleur ! j’aime raconter des conneries pour faire marrer les gens qui aiment mes conneries, il y en a. J’ai constaté à diverses reprises que parmi mes amis, mes parents et d’autres, il y avait des lecteurs qui appréciaient mes humeurs, mes colères et ma façon particulièrement injuste de justifier mes goûts en compissant ceux des autres. Quand j’aime, j’aime le dire et pareil quand je hais. Depuis le temps que je suis lecteur je sais précisément ce que j’aime et ce qui me débecte, je ne lis donc que des livres que je sais écrits pour moi. Les vrais lecteurs se moquent : comment peut-on dire que l’on n’aime pas un livre si on ne l’a pas lu ? Moi je sais ! et les vrais lecteurs je les emmerde ! Depuis que Jean Cau (en trois lettres disait Jeanson) a eu le Goncourt je n’ai plus jamais ouvert un Goncourt. A coup sûr, le Figaro, le Monde et hélas maintenant le Canard, sont les meilleurs indicateurs de ce qu’il ne faut pas lire ! Quand dérogeant pour faire plaisir à mon frère, par exemple, j’ai accepté de lire Houellebecq, je savais que je faisais une connerie. Dans le mille Emile ! Un beau tas de bouse pour intellos fatigués. Aussi plaisant qu’une flaccidité méritée ! Je ne suis pas si bouché que certains pourraient le penser : après des années à ouvrir Du côté de chez Swann pour le refermer avant la fin du premier chapitre j’ai fini par écouter Céline, d’abord ça : « Ah Proust s’il n’avait pas été juif personne n’en parlerait plus! et enculé! et hanté d’enculerie – Il n’écrit pas en français mais en franco-yiddish tarabiscoté absolument hors de toute tradition française – il faut revenir aux Mérovingiens pour retrouver un galimatias aussi rebutant… Proust, l’Homère des invertis… 300 pages pour nous faire comprendre que Tutur encule Tatave c’est trop.» // Et puis ça : Mais il en sort que le bonhomme était doué … Extraordinairement doué … Ah oui, doué, doué // et encore ça : Proust est un grand écrivain, c’est le dernier … C’est le grand écrivain de notre génération, quoi … J’ai rouvert La recherche et je n’ai pas refermé avant la dernière phrase du Temps retrouvé, rien lu d’autre pendant tout ce temps !

Pour le cinoche c’est du kif ! Je me tape le cul par terre quand j’entends ou lis toutes les conneries actuelles ; le moindre connard qui tient une rubrique dans un canard ou une télé de merde va disserter sur Les misérables ou Simplement noir pendant des plombes alors qu’il n’a pas vu une bobine de Robert Mulligan ! On ose comparer la mère Fontaine avec Jane Campion ! Tout le monde a vu la palme d’or du coréen Bong Joon-ho Parasite en criant au miracle, j’ai vu et aimé ; mais j’ai vu et aimé au moins dix films coréens de même valeur ou supérieure ! Le cinoche je connais un peu ! Je connais aussi tous les merdeux qui en parle sans l’aimer. Télérama a passé des années à dégueuler sur Clint Eastwood pour finir par l’encenser en braillant avec les autres – le Canard, le Monde etc… J’aimais Mocky parce qu’il se foutait éperdument du sérieux de ses collègues mieux peignés, il était marrant, inventif, et anar ; et tous les grands acteurs se bousculaient pour jouer chez lui. Lonsdale y allait volontiers comme il allait chez Bunuel.

Bon je vais pas me mettre en rogne à blanc, on attendra l’actualité ! En ce moment j’écris un feuilleton, pas un roman, j’en suis incapable, un feuilleton ; genre Sue ou Ponson du Terrail. Evidemment je préfère que ça plaise au lecteur, mais je vais vous mettre à l’aise tout de suite : si vous aimez restez avec nous on va se régaler ; si vous n’aimez pas vous connaissez la sortie surtout ne vous forcez pas et n’essayez pas de m’expliquer pourquoi ; j’en ai rien à foutre ! Le pire qu’il puisse m’arriver c’est le lecteur colossalement fin qui va m’expliquer pourquoi je merde avec les points virgules ! C’est mes points virgules ! J’écris comme je fais la cuisine, je ne fais que ce que j’aime ! Si vous êtes contre mon kékéméké, allez bouffer chez Levy, Musso ou Gavalda !

3-Mécanos

         Le dernier point sur lequel je dus insister concernait les véhicules. Mic avait raison on trouvait de tout partout et en état divers, il n’y avait qu’à se servir. Mais cette profusion même entraînait une faiblesse cardinale : nous n’avions pas besoin de Ferrari ni de BMW, nous devions avoir des véhicules pratiques en état parfait et pour lesquels le carburant et les pièces détachées étaient faciles à trouver ; et surtout il nous fallait les mécanos pour aller avec ! Là ce n’était pas du luxe, nos vies dépendaient de notre mobilité et nos montures devaient être au top en permanence. Il fallut convaincre les frangins Marreau de nous équiper! Pas faciles les frérots, sourcilleux, colériques et insatisfaits sur tous les plans. Si tu déplaisais, t’étais viré du garage sans espoir de retour, si tu insistais, c’était le grand orchestre de clefs à molette qui jouait Le vol du marteau dans sa version la plus sanglante ; il pouvait pleuvoir des outils en masse et j’ai vu un tas de connards sortir en courant de l’antre des deux loustics sous un déluge de limes, tournevis, pinces, leviers, serre-joint et autres perceuses électriques. Pour ajouter à la panique, ils avaient deux grands chiens croisés au hasard des rencontres d’une férocité sans égal. Quand leurs maîtres faisaient la colère ils entraient dans la danse sans invitation et beaucoup d’anciens clients ont bien failli y laisser les valseuses. Moi j’étais reçu comme un prince par les clébards et leurs maîtres ! Ils devaient leur première installation à un prêt à fonds perdus contracté chez mon père, chose qu’ils n’ont jamais oublié. Nés Vertovitch, ils avaient changé de nom en revenant d’un de leurs nombreux périples en BJ40 au cours desquels ils s’enfonçaient très loin dans le sud ; on disait qu’ils étaient allés jusqu’en Afrique, mais comme ils n’en parlaient jamais…Admirateurs des pionniers des courses africaines, ils avaient une documentation énorme sur le Paris-Dakar et une sorte de délire religieux les animait quand ils évoquaient leurs héros. Les frères Marreau avaient à l’époque gagné le surnom de Renards du désert et donc ceci expliquait cela. Là encore j’ai dû parlementer longtemps pour obtenir leur participation à nos raids. Ils voulaient venir eux aussi, mais moi je ne les voulais pas sur le terrain. J’ai acheté leur adhésion en leur livrant une centaine de Toys qu’on est allé torpiller vers la frontière espagnole sur leurs indications : ils se souvenaient bien de cette espèce de camp retranché entièrement dédié à Toyota. On est revenus avec une dizaine de camions chargés de véhicules neufs après avoir massacré une garnison de sauvages, réputés massacreurs et anthropophages qui étaient célèbres dans leur coin pour accumuler les viols et les meurtres et terroriser les populations ; on avait l’impression d’être des petits saints à côté de ces charognards qui, semble-t-il, vivaient entre eux sans femmes ni enfants ; on n’a pas vérifié on s’est contentés de tirer dans le tas et d’en tuer le plus possibles. Ils étaient habitués à une absence de résistance dans leurs razzias, et n’avaient jamais rencontré des gens comme nous ; il en est resté très peu pour se souvenir de notre passage. A notre retour les frères nous accueillirent avec ce qui pouvait passer pour une grande satisfaction et des grimaces pour tous sourires. Nous étions dotés de véhicules fiables et nous avions hérité des trois meilleurs mécanos du garage.

2-Prédateurs

Pourtant ça avait bien commencé ; on allait au cours de madame Tilane, la sœur de Georgia ; elle avait fait de longues études avant la catastrophe et comme beaucoup de ses congénères elle avait choppé le virus et en était sortie totalement immunisée. Elle était une maîtresse dévouée et passionnante, infatigable, elle nous gardait pendant des heures et ça ne rigolait pas, j’ai appris à lire et écrire à l’âge ou les gamins ont encore des couches ! Je passais des journées complètes à la bibliothèque, je voulais tout lire et mater tous les films qui s’alignaient dans les rayons, j’adorais les westerns et les films de guerre mais je ne renâclais point à visionner des œuvres plus ambitieuses, si bien que j’ai dû revoir une quantité de chefs d’œuvre auxquels je n’avais rien pigé en première vision ; je pouvais échanger avec madame Tilane tout ce qui me passait par la tête, elle connaissait tout sur tout et je crois que même en continuant ma vie durant à lire et à regarder des films je n’atteindrai jamais son niveau de connaissance. J’avais une intelligence tout à fait commune mais ma mémoire était exceptionnelle et j’avais la passion des études ; je lisais de plus en plus de livres, de plus en plus difficiles et avec l’aide de la maîtresse et des filles qu’elle avait formées, j’animais un cercle de réflexion qui était devenu célèbre dans les contrées environnantes ; j’allais sur ma douzième année et Mic était toujours dans mes pattes. Pour lui les études étaient une perte de temps, il avait deux ans de plus que moi mais ses connaissances étaient bien moindres. Sauf sur un point. Là où je lisais des mots, des textes et des ouvrages de plus en plus recherchés lui lisait les arbres, les herbes, les oiseaux et les papillons. Dans la forêt la plus obscure et après des trajectoires tortueuses et alambiquées qui me voyaient complètement paumé et déshérent, lui retrouvait notre chemin et ne se trompait jamais sur la route de retour. Je ne l’ai jamais vu hésiter ni réfléchir il marchait droit jusqu’à la clairière que je reconnaissais et nous atteignions l’orée bien plus tôt que je ne pouvais l’imaginer. Nous étions revenus à une époque antérieure au Moyen Age !  La nature désertée par les hommes avait repris ses droits, il n’y avait plus personne pour déboiser, bétonner et dénaturer les paysages. En quelques années les arbres avaient poussé, les broussailles envahissaient les sous-bois et les rares chemins qui serpentaient parmi les arbres étaient tracés par les bêtes qui s’étaient multipliées. Avec les cervidés et les cochons sauvages qui foisonnaient dans les bois, les prédateurs étaient revenus, on croisait régulièrement des hardes de loups et les lynx étaient de plus en plus nombreux ; les chats harets s’étaient multipliés et par un effet de sélection naturelle, ils étaient de plus en plus balèzes : à la chasse on en rencontrait souvent et ça me faisait tout drôle de voir un greffier aussi grand que mon setter anglais ! De cette époque je n’ai retenu qu’une chose, je trouvais le temps de tout faire, études et courses dans les campagnes désertées avec Mic, à croire que je ne dormais jamais ! Et puis fatalement, un goût de liberté nous vint à l’esprit qui ne se satisfaisait plus de cette vie trop statique et on a foutu le camp !

Cela ne s’est pas fait d’un seul coup ; c’était un genre d’école buissonnière au départ qui inquiétait peu les adultes qui nous encadraient, nous étions jeunes et cela finirait bien par nous passer. En fait nous savions très précisément ce que nous faisions et ce que nous voulions faire pour la suite. Primo, il fallait préparer le coup minutieusement et commencer par un recrutement réfléchi. On ne voulait pas partir tous seuls mais on ne voulait pas non plus enrôler n’importe qui. Il fallait choisir soigneusement les quelques salopards qui devaient constituer la base de notre future équipée. Il valait mieux pour tout le monde que je m’occupe de près de la mise en place de cette sorte de conscription, Mic par ses choix aurait réussi à former une armée d’abrutis assoiffés de sang. Une sorte de nid de frelons ! L’époque était propice à ce genre de choses, on mourait si facilement que la vie avait peu de valeur aux yeux des jeunes que nous voulions entraîner avec nous. Certains, en dehors de l’école connaissaient notre réputation, ils s’étaient déjà présentés pour partir avec nous. Il y avait des profils que nous étions d’accord pour élire, en particulier les spécialistes en quelque chose. Par exemple on a eu tout de suite une petite équipe de cuistots. Ces mecs étaient capables de chasser, cueillir, préparer et servir de quoi nourrir un régiment. Comme dit plus haut l’époque fourmillait de gens malades, en voie de guérison ou subclaquants, situation tout à fait à même de mobiliser une pléiade de guérisseurs, infirmiers ou soignants plus ou moins ratés : on a vu des gamins sortir du coaltar des patients dont on n’aurait pas parié un kopeck sur l’espérance de vie. Pendant les grosses empoignades ces toubibs à la manque avaient sauvés un tas de blessés quasiment mourant, n’hésitant pas à opérer sur le champ de bataille et à trimballer les gueules cassées sur des civières en courant sous la mitraille. Le plus rigolo c’est que des deux côtés on respectait ces docteurs qui soignaient indifféremment les gens de leur troupe et ceux des troupes ennemies. Très important, j’avais sélectionné d’excellents armuriers formés par maître Hyeronimus en personne. Lequel m’avait sollicité pour nous suivre dans nos aventures. J’avais des relations particulières avec Hyeronimus, j’étais un des rares à lui parler directement même ses meilleurs clients n’avaient pas le droit de l’approcher, ils passaient tous par sa fille ou son gendre. Bien entendu j’avais refusé sa candidature en prétextant que nous aurions besoin de lui à l’arrière et qu’il était trop précieux pour que nous risquions de le perdre. En fait je crois qu’il était encore plus dingue que Mic et d’ailleurs ils ne pouvaient pas s’encadrer. Hyeronimus avait du mal à accepter mon attachement pour Mic et ça aurait fait du grabuge si je m’étais avisé de les confronter. Nous c’était la grande aventure. Cybelle avait fait de nous des experts en armes et en tir. On trouvait des armes partout et pendant des années les munitions n’ont pas manqué : il suffisait d’aller chez le premier armurier du coin et de se servir. Comme dans tous les petits métiers les rares survivants avait pris le temps de former des jeunes et les fabriques se sont remises à tourner pour refaire les munitions les plus courantes on trouvait sans mal du 22, du 9mm, du 44, du 45, du 38/357 et des balles pour carabines les plus usitées, 30X30, 7,64 ou 270 par exemple.

Mic qui était assez frêle, avait adopté un Taurus Tracker à canon long en 22 LR, moi j’arborais avec fierté un Smith et Wesson 686 en 357 magnum que j’appris très vite à maîtriser. J’avais comme deuxième arme un Judge en 410 Magnum et 45 Long Colt, qui me servait pour tirer la grenaille à courte distance, le 45 pouvait suppléer au 357 en cas de besoin. Nous avions décidé sagement de privilégier le révolver, le pistolet étant plus fragile, pensions-nous. J’adorais tirer et sans me vanter je n’avais peur de rien ni de personne. Mon attitude était telle que j’avais rarement l’occasion de tirer sur quelqu’un et j’obtenais facilement tout ce que je désirais sans recourir à la violence qui me paraissait toujours un peu gratuite. Mic lui, ce n’était pas du tout la même chose, Mic ce qu’il aimait avant tout c’était tuer.       Notre bande avait subi de nombreux revers depuis quelques temps, nous avions perdu un bon tiers de nos effectifs, les miliciens tiraient de mieux en mieux. Nous avions de grosses difficultés pour trouver le carburant pour nos 4X4 super gourmands. Dans l’immédiat on s’était repliés sur un monticule artificiel, genre crassier ou terril à sommet aplati où quelques illuminés avaient, il y a longtemps, bâti une sorte de fort à présent à demi en ruine ; consolidé et entouré de remparts en bois installés à la va comme je te pousse, le lieu était idéal pour se protéger ; et rester coincés comme des cons à plus pouvoir sortir, cernés que nous étions par une troupe beaucoup plus nombreuse que nous et constituée de professionnels aguerris et persuadés d’être les légitimes représentants de la force publique et de la légalité ; ils l’étaient plus ou moins, sachant qu’un certain nombre parmi eux avaient commencé leurs activités dans nos rangs ! Pour l’instant ce qui mobilisait la bande c’était que nous commencions à manquer de tout et que nous envisagions de faire une sortie désespérée et sanglante de ce lieu devenu hostile. Enfin quand je dis nous, je ne me sens pas vraiment concerné, je peux à peine bouger la tronche.

Je ne m’explique pas pourquoi cette belle amitié a tourné en eau de boudin, la raison la moins déraisonnable était que Mic était devenu encore plus cinglé qu’il ne l’était au départ et que même lui ne pouvait dire ce qui se passait dans son esprit malade. Toutes les idées qui me venaient à l’esprit ne débouchaient sur rien, nous n’avions pas de rivalité particulière, le fric n’existait plus les filles étaient toutes consentantes et la jalousie avait disparu des tablettes ; d’ailleurs je pensais que Mic était pédé, je l’avais vu au pieu avec autant de jeunes garçons que de nanas ; je pensais que tout cela lui était aussi indifférent qu’à moi : que m’importe avec qui tu baises si on reste copains pour la vie ! Eh bé c’était bel et bien fini et j’étais dans une sacrée merde. Et cependant je ne désespérais pas du tout. Je connaissais tout des pratiques de Mic et je savais comment me sortir de cette bouse sans y laisser trop de plumes.

« Alors mon pote, ça roule ? » Il me regarde avec son air rigolard dressé devant moi les jambes écartées comme s’il allait me pisser dessus !

« Tu ne crois pas qu’une petite explication s’impose ?

« Y a rien à expliquer tu dois savoir pourquoi t’es là…

« Ben non justement, à croire que t’es devenu dingue !

Ça il n’aime pas et je me ramasse un coup de latte dans les burnes… voilà qui me coupe le sifflet pour un moment.

« On lève le camp, toi tu restes ici la milice s’occupera de te faire de belles obsèques.

« Tu sais ce qui va se passer si tu fais ça, tu vas avoir Cybelle au cul pour le restant de ta vie qui sera forcément courte…

Ça non plus il aime pas, Cybelle lui fout la trouille comme à tout le monde (pas à moi !) et il sait que je dis vrai elle ne le lâchera plus s’il porte la main sur moi. Surtout qu’elle n’est plus seule et que son mec est largement aussi dangereux qu’elle. Il trouve le temps de fanfaronner mais je sens bien qu’il est gêné aux entournures.

« Tu crois t’en sortir avec ces conneries ? Je viens te dire adieu dans quelques minutes.

1-L’an 13

Je vais sur mes treize ans, j’ai encore un peu de mal à voir ce que je vais faire de ma vie. D’ailleurs dans l’immédiat c’est à la prolonger que je dois m’attacher, on verra après ce que je veux en faire.

Cloué au sol, quatre piquets et les poignets et les chevilles attachés, je peux juste bouger la tête. Mic O Kiffe connait son affaire. Je l’ai vu agir ainsi avec un tas de mecs, mais c’étaient tous des ennemis, je n’imaginais pas être un jour le sujet de l’histoire ! Je ne vois pas clairement comment on en est arrivés là ; jour après jour il a changé d’attitude envers moi, la chaleur de nos premiers rapports avait peu à peu fait place à de la retenue, puis de la froideur pour finir par une hostilité qu’il ne masquait plus. J’aurais dû comprendre et foutre le camp. Mais comprendre quoi et partir pour où ? Rentrer chez moi ne m’aurait pas protégé et l’aide de ma demi-sœur, dernière survivante de ma famille, n’aurait pas suffi à me garder de la bande qui m’aurait traqué sans relâche sur ordre de Mic ; et la milice me recherchait avec autant d’acharnement qu’elle poursuivait Mic et les autres. Le préfet Arnaud avait connu toute ma famille il était un des plus proches amis de mon père. Son autorité tenait plus à sa longévité qu’à son élection à la tête de la milice. Un des rares survivants à avoir dépassé la soixantaine, craint et respecté, il me traquait depuis plus d’un an quand j’avais décidé de suivre Mic dans sa carrière de forban et que nous semions la terreur et la désolation dans toute la contrée.

J’aimais et admirais Mic depuis très longtemps nous étions voisins et copains dès la maternelle quand la grande pandémie avait démarré et qu’on s’était retrouvés orphelins en un clin d’œil. Ma demi-sœur s’était évidemment chargée de nous à la crémation de ma mère morte peu de temps après mon père ; Cybelle, seule survivante dans tout le quartier avait appris à se battre et nous protégeait avec une constance et une férocité telle que les quelques sales cons qui trainaient dans le coin n’osaient plus s’approcher de la maison. Elle tirait mieux et plus vite que tous ces abrutis et quand elle en a laissé un certain nombre sur le carreau, il n’y avait plus de volontaires pour lui chercher des noises. Elle avait fait quelques exemples ; je me souviens du grand Jourdu, elle l’avait pendu à la poutre de sa véranda à cent mètres de chez nous, lui avait écarté les jambes avec des cordes et l’avait émasculé avec les cisailles du jardin. Elle avait surveillé le coin jusqu’à ce qu’il cesse de crier et ne bouge plus. Puis elle était allée chercher trois de ses copains pour qu’il nous débarrasse de sa charogne. Plus personne ne s’est approché de notre quartier qu’on disait tenu par une sorcière, jusqu’à ce que nous quittions les lieux pour former notre bande.

Ma sœur s’est mariée peu après notre départ et elle a créé une petite boîte avec son mari, une sorte de mage assez connu à l’époque, Dragul ; ils exploitent une invention de mon père pour accélérer et rendre plus pratique la crémation ; ils se débrouillent très bien. Il faut dire que dans notre système d’échange, la pratique systématique de l’incinération est un commerce qui rapporte bien, bruler des cadavres c’est s’assurer un quotidien quasi luxueux, les gens étaient prêts à donner n’importe quoi à celui qui les débarrassait des corps rapidement et sans barguigner : au début de la pandémie, les macchabés se multipliaient à croire qu’ils se reproduisaient ! Il arrivait souvent qu’on était obligé de cramer des dizaines de citoyens dans la journée pour désencombrer les rues et les maisons. Tous les rituels liés aux obsèques avaient cessé, on n’enterrait plus, les veillées, discours et cérémonies avaient disparu, les rescapés avaient autre chose à faire que s’occuper des morts. Mêmes le peu de curés qui subsistaient avaient de quoi s’occuper pour survivre et ne se sentaient plus obligés de marmonner quelque requiescat pour des amoncèlements de dépouilles plus ou moins fraiches, les croques morts n’avaient plus de boulot, ils se débrouillaient pour donner un coup de main aux incinérateurs et ils pouvaient, sur demande, fournir des récipients pour donner aux éventuels héritiers qui pouvaient au choix agrémenter leurs dessus de cheminée avec l’urne de la vieille ou aller sur un paysage choisi pour disperser les cendres du tonton ou de la tatie ; attention au sens du vent on peut en bouffer ou en prendre plein les carreaux de cette saloperie ! Durant la grande époque des premières vagues de la pandémie, le boulot n’a pas manqué, ça tombait comme à Gravelotte, et puis tout doucement ça s’est calmé, on manquait pas de clients mais il y en avait beaucoup moins et de plus en plus on avait affaire à des amateurs –accidents, maladies diverses, vieillissement, quelques meurtres…- les pros de la pandémie commençaient à se faire rares même s’il y en avait encore pas mal.

D’une façon générale, les femmes avaient mieux résisté aux atteintes du virus, elles en mouraient bien moins souvent que les hommes et, guéries, elles étaient quasiment à l’abri de toute rechute. Dix ans après le début de l’épidémie, l’Europe comptait environ un dixième de la population qui avait survécu, sur ce nombre les quatre cinquièmes étaient des femmes. Quelques esprits plus aventureux que les autres étaient allés voir ce qui se passait ailleurs : peu avant de mourir, mon père avait organisé avec Arnaud une expédition en avion vers le sud pour voir ce qui restait des populations autour de la méditerranée ; en Espagne et en Italie on comptait la même proportion de survivants qu’ici, ils s’organisaient comme ils pouvaient ; pour ce qui pouvait être observé en Afrique du nord c’était la même chose ; des contacts ont été pris avec ces populations et nous continuons à correspondre et à échanger avec elles. Ils ont poussé jusqu’à Dakar où ils ont bien failli tous y rester ; dans ces lieux de désolation des bandes mal organisées agressaient systématiquement tous ceux qui étaient à portée. Dans la majorité des cas c’était des femmes et de jeunes enfants armés jusqu’aux dents et hyper excités, qui attaquaient sans crier gare et avec un mépris du danger tel qu’ils étaient extrêmement difficiles à combattre. Ils avaient l’habitude de charger nus et en hurlant, ça foutait vraiment les molettes !  L’expédition a quitté en catastrophe le Sénégal y laissant la moitié de son effectif. Mon père blessé à l’épaule par un coup de lance hasardeux qui avait hélas atteint son objectif fut considérablement affaibli, il en profita pour attraper le virus et mourir avant de revoir nos rivages. Il fut remplacé dans son rôle de chef par Madame Georgia qui l’avait secondé jusque-là. Elle était très robuste et courageuse et elle est restée dans nos mémoires comme une héroïne à vénérer. Accessoirement elle vivait avec Arnaud qui éprouvait pour elle une adoration quasiment mystique. A sa mort il n’a plus jamais regardé une femme. Le retour de cette expédition fut fêté comme il convenait et Arnaud devint un des personnages les plus importants de notre société, il fut de son vivant le héros d’une épopée, écrite et mise en musique par le grand artiste Hugo Strauss. Tous les ans à la même date nous célébrons le retour des héros et mon père n’est pas oublié dans ces réjouissances. Je n’en tire ni plaisir ni fierté, mon père ne me manquait guère et le peu de souvenirs que j’avais de lui ne pouvait remplacer l’amour que j’avais pour ma mère à laquelle je pensais tous les jours. Mon admiration pour Arnaud était largement tempérée par la trouille qu’il m’inspirait. Je savais qu’il me recherchait activement et à plusieurs reprises il se rapprocha si bien de moi que je me suis cru perdu ; à chaque fois l’aide de Mic me tira d’embarras.

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