“Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination, sont les routes aimées.” René Char

Mois : septembre 2021 Page 1 of 2

13-Notre époque

         Il faut parler un peu de ce que nous étions devenus.  Un demi-siècle avant notre ère, au début des années vingt une épidémie sévère s’est déclarée à partir de la Chine ; devenue une pandémie elle a dévasté tous les pays jusqu’à ce que le développement de la vaccination et quelques traitements plus ou moins efficaces fassent cesser une expansion qui devenait exponentielle ; cela aboutit à une extinction presque totale de la flambée épidémique et la disparition du virus. Pendant à peu près cinquante ans on a pu croire que l’Histoire avait des chances de durer, malgré les conflits toujours existants et les volontés de puissances toujours à l’affut des faiblesses des autres. A la fin du siècle avec l’émergence d’un nouveau virus, on a pu croire que le premier scénario était en train de se répéter ; pandémie venue elle aussi de Chine d’où le nouveau virus cultivé en laboratoire s’était échappé. On a su très vite que cela n’était pas un accident et que les Fils de l’azur avaient trouvé la formule de l’attentat parfait pour corriger l’humanité de tous ses vices. Ils ont envahi le laboratoire, ils étaient une centaine. Ils ont libéré un virus pour lequel on savait qu’il n’y avait ni vaccin ni remède et qui se répandait à la vitesse grand V. Ils sont restés quelques heures en sa présence puis ils se sont enfuis à travers le pays et se sont mis à voyager. En quelques jours, ils ont eu le temps de contaminer un maximum de personnes ; en quelques semaines les hôpitaux du monde entier ont été débordés ; en quelques mois les morts ont été plus nombreux que les survivants. Au bout d’une année de ce régime ceux qui étaient encore debout étaient incapables de dire combien avaient échappés au massacre. Ne trouvant pas de coupables désignés ni d’ennemis déclarés, les survivalistes se sont mis à tirer dans le tas ; les bandes qui s’étaient formées spontanément se battaient entre elles sans connaître les raisons de toutes ces haines accumulées contre les autres qui n’avaient que le tort d’être là. On aurait pu croire que l’Histoire s’était arrêtée ! Nul n’aurait pu expliquer ce qui se passait. C’était comme si des hordes de nuisibles s’attaquaient à des légions de parasites ! Plus de nuance entre les hommes bestialisés transformés en machines à tuer. Partout on assistait à la mort du monde, à la fin de l’humanité, au retour des époques des préhominiens. Il n’y avait pas de raison pour que cela s’arrête, s’il y avait eu quelqu’un pour y penser, on aurait vu la fin de notre ère avec le dernier combattant debout. Heureusement, peut-être, c’est une histoire nouvelle qui a commencé à s’écrire à ce moment-là, miracle de la résilience ou pur hasard, retour de l’intelligence ou intervention divine(!) personne ne peut dire aujourd’hui comment nous en sommes arrivés là. Peu à peu quelques esprits un peu plus éclairés ont compris l’absurdité de telles escarmouches et ont mis en place un minimum de régulation. Ce n’était pas encore le temps du grand pardon et les massacres continuaient avec pour différence que les victimes étaient de plus en plus désignées par leur absence de visées futures et la bêtise de leurs activités. On essayait de discerner qui fuyait les combats pour organiser un semblant de vie normale sinon paisible, quels chefs avaient pour soucis principaux de préserver la vie et la tranquillité de leurs ouailles plutôt que de les mener aux vains combats. Les bandes ont pris des noms, des emblèmes, des signes de reconnaissance, des chefs remarquables par leur qualité de réflexion plus que par leur enthousiasme pour les tueries ; on commençait à ne plus mourir pour rien et surtout on recommençait enfin à se parler. On vit de plus en plus de réunions de chefs de plus en plus de fraternisations avant toute bataille. On se remit à élever à produire au lieu de voler, à se reproduire au lieu de violer et à remettre en place un fonctionnement quasi-familial. Des régions entières furent pacifiées, policées et sécurisées. On pouvait penser que le monde voulait enfin revivre plutôt que survivre. Je suis né à peu près à cette époque.

12-Fièvres

Je savais à peu près comment ça allait se dérouler j’avais vu un tas de gens y passer et quelques-uns s’en sortir. On a bien cru au départ pouvoir lutter en utilisant les vaccins existants, historiques ! Rien à faire ! Les chercheurs ont cherché et la plupart ont trouvé que dalle sinon la faucheuse ! On a expérimenté un tas de produits qui pouvaient marcher pour d’autres maladies et qui avaient eu quelques effets sur les bestioles de labo. Rien à faire !

J’ai commencé par m’isoler pour pas refiler la vérole aux copains et à la famille. J’avais équipé la petite maison que l’on occupait avec Mic. J’ai essayé de le foutre à la porte mais il m’a fait comprendre que ça se passerait très mal si j’insistais. Kimiko a fini par piger qu’elle ne me rendrait pas service en s’exposant près de moi et j’étais assez préoccupé pour n’avoir envie que de choses banales, pas question de se livrer au déchaînement des sens. En dehors du goût et de l’odorat, tout marchait bien et j’ai eu quelques jours pour me préparer. Je savais ce qu’il ne fallait pas avaler et j’avais regroupé tous les médocs que je pensais utiles ou qui étaient réputés tels : la colchicine (pourquoi pas), un vieux cocktail d’anticorps que le Laboratoire Roche avait élaboré des lustres auparavant, j’en avais assez pour un mois si j’arrivais jusque-là. Pareil pour les corticoïdes, j’avais autant de dexaméthasone que j’en voulais et je ne manquais pas de trucs pour douleurs et fièvres genre paracétamol, ibuprofène etc… Les antiviraux classiques ne me faisaient pas défaut et tous ces produits étaient accompagnés de protocoles écrits pour suivre la posologie adéquate ! Des trucs pour l’asthme, ou pour la démence précoce(!) ou pour l’arthrite !!!! Si le concentrateur d’oxygène ne suffisait pas, je disposais de bouteilles d’oxygène pur en pagaille et le dispositif qui va bien pour sniffer la chose. Tout était installé depuis trois jours quand je me suis retrouvé le cul par terre sans pouvoir bouger. Mic m’a foutu au pieu en rigolant, moi je trouvais moins de saveur à la mésaventure. Une semaine après il a fallu brancher le concentrateur, j’arrivais à bouffer, tout avait le goût de papier crépon et l’odeur de rien, je pouvais marcher un peu pour aller aux gogues par exemple. Devant la baraque ça défilait pour avoir des nouvelles. Petit à petit je sentais que j’étais en train de récupérer et je me disais prudemment que peut-être… C’était sans compter sur une rechute possible. Ce qui ne manqua pas ! Même scénario me voilà vautré dans un coin de la pièce et je me retrouve au plumard par l’effet magique de la poigne miqueste ! Tout recommence en plus raide et je passe la semaine à me dire que ça y est. Et puis ça repart : en trois coups les gros je me retrouve debout, vaillant, presqu’en forme. Suffisamment en tout cas pour coller Mic dans les toiles à ma place. Il prend le relais en bon camarade. Il a rien dit mais il l’a senti venir comme moi. Là je savais ce qu’il fallait faire, même si ce n’était pas gagné d’avance. Mais ce salopard était beaucoup moins éprouvé que moi et en peu de temps je l’ai sorti de là. Au résultat on est restés bloqués à peu près une semaine de plus, soit environ un mois et demi en tout. On s’est retrouvés dehors au début d’un printemps qui s’annonçait radieux, on était maintenant à l’abri de cette cochilie il ne nous restait plus qu’à reprendre nos aventures pour risquer sainement nos vies ! Moi j’en ai profité pour rattraper mon retard affectif et Kimiko m’a bien aidé. Mais comme disait Kipling, ceci est une autre histoire !

11-Bibi

         J’aime les animaux, tous plus ou moins ; par exemple j’aime un peu les chevaux, pas mal les vaches, beaucoup les chiens… Je respecte les araignées et ne les tue jamais mais nous n’avons que des rapports assez éloignés ; pareil pour les serpents ; j’ai été guéri de ma phobie herpétologique au début de mon séjour au Gabon quand j’ai massacré au fusil à pompe un python de près de trois mètres qui traversait la piste sans rien demander à personne. On était dans ce pays soi-disant à la recherche de la fille de Georgia, Andréa, elle s’était cassée avec un gabonais qui avait le triple de son âge. On a atterri à Port Gentil après dix heures de vol épuisantes assis sur le sol d’un Falcon bien conservé mais dont tous les éléments de confort étaient restés à l’aéroport de départ. Mini compagnie d’une dizaine de couillons surarmés et perclus de douleurs acquises dans ce coucou de merde ; j’ignore encore aujourd’hui ce que j’étais allé faire dans cette galère : Andréa ne me plaisait qu’à moitié et me manifestait une indifférence hautaine à laquelle je n’étais pas accoutumé ; elle avait cependant un physique absolument renversant pour ses douze ans ! Entre le tarmac et les premières maisons encore intactes, on a eu le temps de voir défiler l’équivalent d’un zoo de province au vingtième siècle. C’est là que j’ai exécuté mon boa. Un vieux briscard que j’avais surnommé John Wayne parce qu’il mesurait un mètre cinquante et pesait cent vingt kilos, s’est arrêté pour me voir faire et me dire tout calmement : T’es un vrai connard, toi ! J’ai juré ce jour-là que plus jamais je ne tuerai un serpent, quel qu’il soit, et j’ai tenu parole ; même le céraste qui, quelques années plus tard, m’a mordu et a bien failli avoir ma peau, s’en est sorti sans égratignure. Pour finir le pilote nous a rejoint en vitesse, la radio venait de le prévenir de deux choses : primo on avait retrouvé la gamine dans un boxon à dix kilomètres de chez elle, son gabonais s’était fait dessouder en essayant de la vendre à un petit voyou de derrière la montagne et secundo que toute une flopée de mercenaires de ces régions équatoriales marchait vers Port- Gentil pour nous en mettre une bonne ! Le plein fait on a décollé en catastrophe ; j’ai pas bougé de mon plumard pendant douze heures après notre retour.

         J’ai un grand setter que j’adore et qui me suit partout, il est dans la voiture en permanence et me rend au centuple l’attachement que je lui porte. Mais je crois bien avoir un faible pour un autre animal rarement apprécié tant ses qualités réelles sont masquées par un défaut récurrent auquel je crois bien devoir la vie. J’explique. Nous avons depuis toujours un grand troupeau de chèvres un peu bâtardes croisement de lorraines et de poitevines qui nous fournissent en abondance lait, fromage et délicieux chevreaux que l’on cuit à la broche ! Cybelle est passionnée par cet élevage et elle a en permanence une dizaine d’élèves qu’elle forme à cet effet et qui effectuent la plupart des tâches réclamées par cet animal rustique mais exigeant. Quelques boucs forment l’essentiel des porte couilles du troupeau et n’hésitent pas à couvrir un maximum de ces demoiselles, c’est là le passetemps qui leur convient le mieux et ils s’y adonnent avec ardeur entre deux bagarres et quelques siestes réparatrices. Parmi ces gentlemen il en est un que j’ai adopté et qui me sert de partenaire pour de nombreux jeux. C’est Bibi. Ne vous y trompez pas, c’est un vrai, pas une version édulcorée du bouc de la fable. Il est courageux, intelligent, vindicatif et particulièrement vicelard. Il garde les lieux bien mieux que n’importe quel molosse et si j’étais un cambrioleur, j’irais exercer mes talents bien loin de ses cornes. Un jour il a surpris un rôdeur qui nous avait piqué quelques poules et qui partait tranquillement pour profiter de sa bonne fortune. Bibi a foncé sur lui, l’a dépassé et s’est planté devant le portail pour l’empêcher de passer. Je pense que si l’autre avait laissé quimper et était sorti de la cour les mains vides, Bibi n’aurait pas bougé. Mais l’abruti a saisi une fourche et s’est mis à menacer le bouc qui l’a évité rapidement pour lui foncer entre les jambes. Il l’a soulevé du sol par les bienheureuses et l’a laissé retomber sur le dos, l’autre s’est roulé en boulle en se tenant le service trois pièces et l’animal s’est mis à tourner autour en lui plaçant des grands coups sur toutes les parties du corps. Il a fallu que j’intervienne avant qu’il le transforme en steak tartare. Je l’ai trimballé jusqu’à l’hospitalet où ils ont mis un moment à le reconstruire ! Bibi peut être attelé à des mini sulkys avec capotes que mon grand-père avait fabriqués pour les mômes : quand c’est lui qui s’y colle c’est beaucoup plus sportif qu’avec les poneys ou les ânes que l’on utilise habituellement. Les mômes adorent ces rodéos. Moi je m’entraîne à la cogne avec ces boucliers rembourrés dont on se sert pour la boxe et le rugby. Y a intérêt à faire gaffe car ce salopard essaye de taper par-dessus ou par-dessous pour chopper le visage ou les cannes ! On peut passer des heures à rigoler avec ce cogneur ! Je ne crois pas qu’un seul jour passé dans la vieille maison ne me donne l’occasion de rencontrer Bibi et d’échanger avec lui, des paroles et des gnons ! Et puis ce matin je trouve qu’il a changé, je lui tourne autour pour savoir ce qui ne va pas, je m’inquiète, serait-il malade ? J’interroge Cybelle et les filles qui me disent n’avoir rien remarqué ; l’animal effectivement semble avoir son comportement habituel actif et grognon. Je m’interroge de plus en plus intensément, que se passe-t-il ? En fait je finis par comprendre, tout est normal chez lui, c’est chez moi que ça déconne ! Si vous avez déjà côtoyé un bouc et dans une moindre mesure une chèvre vous avez dû remarquer la caractéristique principale de ces braves bêtes : ça pue que ça empoisonne ! Chez le bouc, ça suinte un max et dégage en particuliers des phéromones-like ce qui attire les chèvres et refoule les narines sensibles. Je ne sens plus rien ! Au petit déjeuner déjà je trouvais insipides mes œufs-saucisses-lard gras. Plus de goût, plus d’odorat, tu sais ce que cela signifie mon brave ! J’ai choppé le virus et j’ai une chance de m’en sortir si je m’y prends dès maintenant, il ne me reste plus qu’à préparer la piaule et à commencer le pauvre traitement mis en place par quelques docteurs Miracles. Ensuite ce sera à la grâce de qui vous voulez, priez pour moi, moi je ne sais pas faire !

10-Win

         Les gens qui connaissent mal les armes sont persuadés qu’il n’existe qu’une marque de carabine à levier de sous garde ils disent Winchester pour désigner tout ce qui fonctionne en abaissant la partie qui enserre la détente et forme le pontet, ce qui permet de chambrer une balle et d’armer le chien. Cette marque fonctionne dans l’esprit de tout un chacun comme on désigne tout réfrigérateur par le nom de Frigidaire. Quand on regarde vers les Etats-Unis, on voit une pléiade de marques qui utilisent le fonctionnement à répétition manuelle à levier de sous-garde : Marlin, Savage, Mossberg, Henry, Browning… Toutes ne font pas référence à Winchester et ont parfois des systèmes très différents. La grande différence tient au magasin d’alimentation qui peut-être un tube sous le canon ou un chargeur classique ; le tube a pour lui de renfermer plus de cartouches que le chargeur, mais comme elles sont alignées les unes derrière les autres, il est nécessaire d’utiliser des pointes plates ou molles pour éviter qu’en heurtant l’amorce contre laquelle elle sont appuyées, elles ne fassent partir le coup ; ce qui serait dommage pour le tireur et pour l’arme. Les Browning ont des chargeurs classiques où les munitions sont empilées, on peut ainsi chambrer des balles de très forte puissance à pointes dures. Quand nous avons découvert la cache d’armes d’une maison où tous les occupants avaient claqué, ce fut une grande fête : toutes les armes des 19ème et 20ème siècles se présentèrent à nous dans un état proche du neuf, à tel point que nous avons tout embarqué pour pouvoir choisir. A tout seigneur tout honneur je pris une Winchester classique en 30X30 qui paraissait sortir d’usine. Je disposais ainsi d’une arme fiable et pour laquelle les munitions ne manqueraient jamais. Une Savage 99 en 300, même état pour avoir un peu plus de puissance. Enfin une Browning BLR en 450 Marlin pour les gros sangliers et les gros cons !

Avec Mic j’ai tiré des milliers de cartouches à l’entraînement, dans toutes les positions et dans toutes les situations possibles. On s’entraînait à vider les chargeurs le plus vite possible en tir de saturation sans sortir de la cible, c’était presque de la répétition automatique. C’est encore avec la Savage que je me suis le mieux sorti des scénarios que nous avions imaginés. Par exemple, blessé, un bras inutilisable comment recharger et tirer avec une carabine à levier. J’arrivais à recharger en lançant la carabine en avant sur le côté pour ouvrir la culasse et en la ramenant vers moi pour la refermer ; ou bien je la faisais basculer pour l’ouvrir dans un mouvement circulaire et je la rattrapais dans un mouvement inverse, la carabine semblait décrire un cercle parfait. Je me suis parfois esquinté le poignet ou la main mais à chaque fois je me retrouvais avec la mire et le guidon bien alignés et mon tir restait très correct. Attention les vilains ça va cartonner ! On tirait après une roulade ou en dévalant une pente couchés sur le côté… Pareil pour les tirs depuis un véhicule, les cibles alignées le long de la piste attendaient notre passage, on lâchait le volant et ça pétaradait sec, les résultats restaient très encourageants. Les cibles étaient touchées à tous les coups et nous étions prêts au combat. En réel nous nous sommes sortis un jour d’un piège tendu par des malfaisants bien décidés à nous gâcher le pelage !  Ils nous attendaient en sortie de village, bien alignés de part et d’autre de la route ; on s’attendait à du grabuge et on portait des gilets pare-balles comme chaque fois que nous partions en rumba et le Hummer était spécialement équipé par les Marreau pour offrir un max de protection en cas d’orage. Ces abrutis étaient si certains de nous trouer qu’ils ne se sont pas protégés, j’avais la Win et Mic la Marlin, je crois qu’on a vidé les magasins dans ce seul passage ! Les guignols dégringolaient comme à l’exercice, je ne sais pas si un seul est resté debout, on ne s’est pas attardés ! Bien longtemps après les quelques témoins de l’affaire parlaient encore avec enthousiasme de notre exploit !

9-Victor Dit L’Ennui-joute à l’ancienne

Victor on savait qu’il n’oublierait pas. Pour bien nous montrer qu’il avait pigé à qui il avait affaire, deux jours après notre retour il nous invite à la fiesta hebdomadaire de Morane ; on sait qu’on ne risque rien dans ce cadre, la moitié des chefs de sections de la milice y était systématiquement invités. Mic se réjouissait de la chose, moi moins. Ce charognard était en train de goupiller un coup tordu et on était à coup sûr les héros de la fête ! Bien entendu il n’était pas question de se défiler, il fallait y aller ! J’étais un peu méfiant, mon camarade avait l’air surexcité à l’idée d’aller dans l’antre des malfaisants, il préparait lui aussi un sale coup et je n’avais guère envie d’en payer toutes les conséquences. Ces moments étaient propices aux grandes beuveries et aux jeux les plus violents, ils se terminaient rarement sans qu’il y ait des victimes, blessures plus ou moins graves et parfois morts que l’on qualifiait d’accidentelles ou naturelles, car comme disait l’inspecteur Triquet il est naturel de mourir quand on prend un tel coup sur la tête ! Les joutes en quatre quatre était particulièrement spectaculaires et saignantes, les candidats se tenaient sur une plateforme installée en hauteur à l’arrière des Jeeps ; Ils étaient comme dans l’ancien temps, équipés de lances et de boucliers ; cela se présentait comme les joutes de la Saint-Louis dans le canal à Sète, sauf que le jouteur qui perdait n’avait pas besoin de savoir nager ! C’était un spectacle de choix et cela soulevait l’enthousiasme de cette réunion de bâtards assoiffés d’hémoglobine ! Je me tenais à l’écart, je ne voulais pas être invité à participer au massacre. Je l’avais déjà fait mais je n’étais pas assez lourd pour m’opposer aux gros cons d’en face. A chaque fois j’étais descendu plus vite que je n’étais monté et mes vols planés n’avaient pas eu de conséquences néfastes. Par contre cette andouille de Mic se pavanait devant les tribunes et apostrophait les spectateurs pour essayer d’en persuader quelques-uns de l’affronter. En fait on voyait bien où il voulait en venir quand il se décida à interpeller Victor en se foutant de sa gueule et en le traitant de vieillard ! J’avais vu ce dernier jouter à maintes reprises et jamais tomber du perchoir, il était solide et surtout il avait un sens de l’équilibre qui surpassait tout on l’aurait cru rivé à sa planche ! Sur une dernière provocation de mon ami, on vit Victor se dresser en souriant hideusement et descendre des gradins en prenant son temps. Il avait toute une équipe qui s’occupait de lui, on le préparait au combat comme on faisait pour les gladiateurs de l’ancienne Rome. Il était enfin debout sur la tintaine une lourde lance à la main armée d’un redoutable poinçon à trois pointes et un bouclier qui avait beaucoup servi. La jeep lui fit faire le tour de l’arène et il reçut les acclamations qu’il attendait. Mic était monté sur sa plateforme presque discrètement et semblait bien léger par rapport à son adversaire. Les véhicules se firent face et la musique s’éleva aussitôt, fifres et tambourins jouant un vieil air de bataille. Quand ils se croisèrent, Victor avait bien ce ntré son coup sur le bouclier de Mic, lequel n’insista pas et sauta de son perchoir. Quatre fois nous eûmes droit au même scénario, il sautait à terre sans attendre que le choc soit plus appuyé. Il remontait aussitôt. Le vieux semblait énervé et fatigué, le public était en plein délire, pour du spectacle y avait du spectacle ! Au cinquième passage, on croyait qu’allait se rejouer la même séquence et effectivement la pointe de la lance se cala sur le bouclier de Mic avant qu’il atteigne lui-même son adversaire. Mais là devant les yeux abasourdis de la foule qui retenait son souffle et ses cris, le jeune homme qu’on donnait perdant depuis le début, s’accroupit en levant le bouclier sur lequel la pointe acérée ne s’enfonçait plus et glissait vers le bord, il pointa sa lance en avant en s’étendant au maximum et planta son trident dans les couilles du vieillard, lequel avait lâché ses armes et tentait d’écarter ce dard qui le transperçait. Les véhicules ne s’étaient pas arrêtés et Mic pesait au maximum sur son arme au point qu’on la vit jaillir du cul du pauvre type ! Il tomba lourdement sur le dos en entrainant le dard qui l’avait traversé. Son adversaire leva les bras au ciel en poussant un hurlement de triomphe. Je me demandais si nous étions vraiment débarrassés de Victor et je souhaitais intensément qu’il en crevât.

8-Victor Dit l’Ennui-Bagarre buissonnière

J’avais un tas de motifs de satisfaction, je me plaisais à l’école où madame Tilane faisait grand cas de mes dispositions et de mes compétences et où les filles semblaient toutes s’intéresser à moi ; nous étions accoutumés à consacrer les moments de loisirs à nous ébattre et à cultiver au maximum des échanges physiques dont on ne se lassait guère. J’avais choisi Kimiko comme compagne habituelle et elle consacrait l’essentiel de son temps à essayer de me faire plaisir : elle semblait surtout occupée à me donner une satisfaction de tous les instants en obtenant des jouissances qui me paraissaient infinies et pouvaient aller jusqu’à la douleur la plus délicieuse ; si bien que je pouvais me demander si je n’allais pas finir par en crever et nous dûmes freiner ces ardeurs avant qu’elles ne m’achèvent ; je ne me sentais pas mûr pour l’épectase ! Heureusement pour moi, cette jeune beauté avait en elle toutes les qualités d’esprit pour répondre à mes aspirations et nous passions de longs moments à débattre des questions du moment, à commenter nos lectures et les films dont nous nous gavions quotidiennement. Nos camarades nous servaient de public et de répondants insatiables. Seul Mic affectait ne pas trop prendre au sérieux nos débordements intellectuels, il attendait patiemment que je me dégage de ces enfantillages pour le suivre dans ses courses à travers la brousse. Il nous arrivait souvent de partir pour plusieurs jours, insensibles aux reproches qui pleuvaient à notre retour. Nous avions tant à découvrir que les quelques moments que j’arrachais aux études et aux débordements des corps ne suffisaient plus. Dans nos avancées à travers cette nouvelle jungle, nous découvrions chaque jour des merveilles… ou des horreurs. Voyez cela.

         Il se faisait appeler Bob Morane et se prenait pour un homme important alors que tous savaient la fripouille qu’il était : lâche, cruel et d’une redoutable bêtise. Il faisait l’objet d’une surveillance permanente de la part de la milice. Il avait jusque-là échappé aux déboires les plus cuisants auxquels il était promis, non par ses qualités de stratège ni par une chance insolente qui semblait ne pas vouloir l’abandonner mais par l’habileté diabolique de son second, Victor Dit L’Ennui. Voilà un personnage intéressant ! Personne ne comprenait pourquoi il protégeait Morane ! Personne ne savait ce qu’il avait dans l’esprit ni ce qui lui donnait cet air de se faire chier en permanence, de mépriser l’ensemble de ses semblables, son patron en tête ! Il parlait peu, ne se livrait jamais et regardait les autres comme s’ils étaient transparents. Par ailleurs, sans être bagarreur, il était d’une force et d’une férocité sataniques dans les combats. On l’avait vu plusieurs fois casser des reins à mains nues et déchirer des gorges avec ses doigts crochus. Drôle de zigue ! Morane faisait du trafic, il était à la tête d’un troupeau de mecs tellement crados qu’on les surnommait les dandies ! Ils prenaient le maquis régulièrement et revenaient chargés de matos et de minerais de houille qu’ils échangeaient contre des terres et des maisons encore saines. Ils avaient colonisé tout un coin de paysage où nul n’avait le droit d’entrer sans autorisation expresse de Morane. Cette activité apparente masquait disait-on un trafic beaucoup moins moral mais beaucoup plus lucratif. La houille était extraite des anciennes mines qui avaient été fermées dans le vieux temps. Chacun pouvait aller creuser dans les anciennes galeries et beaucoup de gens se chauffaient au charbon. Ceux qui ne pouvaient pas donner des objets ou de la nourriture en échange avaient tout loisir d’aller se servir dans les mines. Souvent on avait éventré les vieilles galeries à la dynamite et le charbon pouvait être extrait dans les énormes trous qui s’étaient créés, il fallait toujours descendre mais on était à l’air libre.

         Avec Mic, nous avions décidé de découvrir à quel bricolage se livraient les dandies au profit de Morane. Deux raisons à cela : c’était dangereux et cela nous servait de test pour nos futures escapades.

         Cinq heures du matin le Toy serpente entre les mélèzes suivant une piste à peine visible mais que Mic connaît par cœur. Je suis toujours étonné de voir que ces grands arbres sont descendus dans les plaines, les changements climatiques dit-on. Ils ont peu à peu remplacé les douglas et les platanes qui bordaient des routes à présent disparues. Ils ont l’avantage de préserver un sous-bois plus clair que les autres espèces qui facilite les déplacements dans ce qui est devenue une forêt là où les champs de blé s’étendaient à perte de vue. Nous sommes à la poursuite de Victor Dit L’Ennui et je trouve qu’on le suit de beaucoup trop près ; je finis par comprendre que Mic souhaite être repéré par ce gibier difficile, il rêve de l’affronter comme beaucoup d’apprentis cow-boys qui se sont cassés les dents sur un vieillard minable ! Il en a tués ou estropiés des wagons ; il préfère les laisser à moitié en vie pour qu’ils aillent raconter leurs exploits. J’ai du mal à piger ce qui motive encore ce malandrin hors d’âge qui n’a plus rien à prouver et semble mériter son blaze tellement il a l’air de s’emmerder en permanence.

  • Bon t’arrêtes tes conneries il nous a repéré maintenant, on se casse…
  • Rien du tout tu m’attends là je continue à pieds

Il agrippe la Marlin 444 et saute de la bagnole en vitesse. Je suis pas bon pour poireauter et il est hors de question que je le suive. Je prends le volant et je fais demi-tour en vitesse. J’ai repéré un embranchement un peu plus tôt et je me jette dans la minuscule trace qui grimpe à l’assaut de la colline. Tout en haut la vue est dégagée et on aperçoit par moment des bouts de la piste principale. Moi j’ai une Savage en 300 à levier de sous garde, ça suffit largement pour ce que j’ai prévu de faire si ça se gâte. J’ai la visibilité sur deux cents mètres tout autour de ma cache, j’ai planqué la bagnole dans un bosquet et personne ne peut la voir avant de se casser le nez dessus. En fait vous l’avez deviné, j’ai les jetons ! Mic est gonflé, il n’a peur de personne, moi, Victor me fout les flubes ! Et voilà que ça se met à pétarader. Je reconnais la voix de la Marlin mais ce qui lui répond me paraît beaucoup plus étoffé, on dirait du 50, Apparemment l’ennemi est bien équipé ! Le dialogue se poursuit, Mic semble avoir trouvé une bonne position de tir et ça canarde dru. Leur voiture a fait demi-tour, je m’attends à les voir surgir d’un moment à l’autre ; entre deux massifs, je les vois passer à petite vitesse, j’aperçois bien le Barrett 50 -où ont-ils trouvé ça ? -, mais il n’y a personne pour s’en servir, on dirait que mon copain a fait quelques dégâts ! Leur voiture a dépassé l’embranchement, peut-être n’aurais-je pas de visite dans l’immédiat ! Je ne bouge pas, je sais que s’il s’en donne la peine, le camarade me retrouvera sans mal ! Et les voilà de retour et encore une fois ils passent l’embranchement sans même ralentir. Peu après je les vois disparaître derrière le dernier bosquet. Je continue à attendre sans m’impatienter, tout peut encore arriver. Il y a à deux cents mètres un bouquet d’arbustes genre aliziers que je pense avoir vu bouger ; j’ai le plus gros de ces arbustes dans ma ligne de mire, si un connard sort de là je suis sûr de le tailler en pièces. Et puis la végétation se met à causer :

  • Fais pas le con l’ami, ce n’est que moi qui reviens des pâquerettes ! Il a pas parlé bien fort mais dans le silence environnant, j’ai l’impression de l’avoir à côté de moi.

Il sort de la broussaille comme une apparition et se dirige vers moi sans se presser, il boitille. Ce n’est rien qu’une légère entorse qu’il s’est faite en sautant dans le fossé quand ça a commencé à sentir le roussi. Il est tout fier, il en a flingué deux. C’est Victor qui doit être content. On s’est quand même décidés à rentrer, la chasse reprendra une autre fois.

7-La pyramide des âges

La pyramide des âges avait une drôle de gueule et d’après les quelques experts qui s’intéressaient à la chose, c’était du jamais vu, de l’inédit, de l’ahurissant ! D’abord la partie femelle connaissait une harmonie certaine, on trouvait des femmes à tous les âges de la vie et, comme déjà vu, en plus grand nombre que les hommes même si elles n’étaient pas à l’abri de l’épidémie ; les hommes montraient une répartition pour le moins surprenante : beaucoup de jeunots et de vieillards et presque rien pour les âges intermédiaires ! En fait on le constatait tous les jours si on atteignait l’âge de vingt ans sans chopper cette merde qui continuait à circuler librement on avait des chances de vivre très vieux. De même si on avait le bol(?) de tomber malade et de ne pas claquer on pouvait compter vivre tout aussi vieux que les précédents. Mais peu de mecs se sortaient d’une atteinte du virus et peu aussi arrivaient à vingt ans. De plus on avait constaté que selon les origines, on n’était pas à égalité : les méditerranéens s’en tiraient pas mal, ils claquaient moins que les gens du nord ; les populations arabes semblaient être dans la même catégorie que les méridionaux, les africains noirs et les polynésiens par contre s’en sortaient très mal, l’Afrique était dévastée et Tahiti et la Nouvelle Calédonie des champs de ruines où peu de survivants erraient à la recherche de va savoir quoi… Curieusement il y avait des exceptions, Madagascar, l’Australie, la Nouvelle Zélande avaient perdu beaucoup moins de population que leurs voisins plus ou moins éloignés. Ceux qui supportaient le mieux ces misères, c’étaient les japonais, les autres peuples d’Asie dans leur ensemble étant soumis au même régime que les populations européennes. Ce bordel atroce avait eu des conséquences sur les sociétés de survivants : on ne vivait plus comme avant et les valeurs sociales étaient bouleversées. On l’a vu plus haut, le prix de la vie avait changé en même temps que la mort devenait la banalité quotidienne. Les gens s’étaient endurcis et dans le même élan avaient pris l’habitude de s’entraider !

On s’occupait beaucoup des vivants. Les gamins étaient couvés dans des gynécées de fortune, on dormait par terre sur d’énormes futons, filles et garçons, corps mélangés recouverts de tas de couvertures et d’édredons ; personne n’avait froid ! Au résultat, l’éveil sexuel des garçons était difficile à dater. Je n’ai dans mon souvenir aucune trace de sortie de virginité ! Je me rappelle les sexes de fillettes plus ou moins glabres et plus ou moins congestionnés qui se frottaient à moi, s’offraient à ma bouche ou à ma zezette qui n’en pouvait mais ! Quand eu-je ma première érection ? Ma première émission de semence ? Je ne revois qu’un mélange de chairs tendues ou alanguies, des langues qui s’attardaient sur toutes les parties de mon corps, des bouches impatientes qui me gobaient me suçaient et réclamaient des baisers de plus en plus prolongés et gourmands. Je me retrouvais tout trempé, turgescent ou flaccide, ne sachant plus de quoi j’avais envie, ni si j’avais encore envie de quoi que ce soit. Coincé par les désirs de ces apprenties femelles qui découvraient leur sensualité en direct sur les ventres et les reins d’apprentis Casanova . En proie aux délicieux tourments de la chair offerte à satiété, je jouissais sans savoir vraiment ce qui se passait entre nous, sans comprendre qu’à l’âge ou j’aurais dû encore pisser au lit j’étais en train de devenir un mec à part entière ! Petit à petit on se domestiquait aux plaisirs de la peau, des muscles, des tendons, on se transformait en spécialistes de l’anatomie, en reconnaissant à coup sur les recoins qu’on n’aurait pu nommer mais qu’on avait appris à désirer et vers lesquels on se dirigeait de préférence. On se mit à choisir et à retrouver le plaisir dans ces choix, on avait quelques partenaires d’élection, d’érection, on savait qui pour la fellation, qui pour la minette et qui pour la sodomie, on savait avec qui s’endormir après des excès de jouissances partagées ; au matin on se réveillait dans des bras que l’on sentait aimant et on pouvait recommencer ou jouir de l’instant de douceur qu’offrait le petit jour complice et attendri ; ou bien les deux !

Au résultat, entre dix et onze ans j’étais presque adulte, dans ma tête d’ailleurs je l’étais, comme en plus j’avais la chance d’être plutôt grand et costaud, on m’aurait facilement donné quinze ou seize ans ; ça aussi ça m’arrangeait bien en m’ouvrant l’accès à toutes les facilités et les plaisirs dont jouissaient les adultes, je pouvais boire, jouer aux cartes, me bagarrer et jurer comme trente-six charretiers… et surtout découvrir que tout ça c’était des conneries et qu’il y avait moyen d’employer sa vie à des choses beaucoup plus intéressantes, comme acquérir de plus en plus de connaissances et découvrir le monde et les moyens de le transformer à notre profit. Si l’école a été essentielle pour ma formation, Mic m’a guidé dans la nature où il avait tout à me faire découvrir. Nous étions comme les doigts de la main et ne faisions rien l’un sans l’autre. C’est beaucoup pour cela que ma vie à dérivé et que j’ai commencé à déconner sérieusement : je voulais tout tout de suite sans comprendre ce que cela représentait pour mon avenir qui s’annonçait pour cela plutôt sombre ! D’ailleurs j’ai entamé le reste de ma vie en étant persuadé que tout ça allait tourner court, je venais juste de chopper cette vérole moderne qu’ils avaient baptisé Covid 119 B !

6-La milice

La Milice dite Petite armée fut initiée par mon père, madame Georgia et Arnaud. Ils étaient chacun à la tête de bandes organisées qui s’étaient formées presque spontanément au début des évènements et dont la tâche première était l’autodéfense et la lutte contre les hordes de cinglés terrorisés par l’épidémie qui réagissaient en s’attaquant aux faibles et aux isolés incapables de se défendre. La plupart de leurs victimes étaient déjà à moitié mortes, virus ou /et conditions de vie épouvantables, demi-vies suicidaires, alcools que l’on trouvait en masse un peu partout, médocs pillés dans les pharmacies désertées… on avalait tout avec des résultats plus ou moins heureux : pour un veinard qui avait trouvé de quoi éteindre pendant des lustres toute crainte et tout désespoir, des masses d’imbéciles se détruisaient l’estomac ou ne s’arrêtaient plus de pisser ou de chier suite à la prise par poignées de diurétiques ou de laxatifs. On rigolait bien en massacrant ces épaves qui crevaient dans leur merde, se noyaient dans leur pisse ou rendaient l’âme en vomissant !

On racontait qu’avant de se mettre en ménage avec Arnaud, madame Georgia avait eu une passade pour mon père, chose que je n’ai jamais vérifiée mais qui pouvait expliquer leur rapprochement et la fusion des trois groupes de combattants. Toujours est-il qu’en peu de temps une véritable force de l’ordre naquit de cette fusion et la répression s’abattit avec férocité sur les sauvages incapables d’opposer une réelle résistance à ce bulldozer qui les laminait. On investissait les lieux où se perpétraient les crimes et la plupart du temps on agissait en flagrant délit. Il n’y eut point d’arrestations ni de jugement, point de procès : les rencontres se soldaient par des exécutions sommaires et sans pitié, on ne s’embarrassait pas de détails ceux qui fuyaient étaient tirés comme des lapins et ceux qui, couverts du sang de leurs victimes, faisaient mine de se rendre étaient immédiatement passé par les armes. Certains, plus intelligents, plus calculateurs, ou lassés des massacres sans rime ni raison, avaient compris que la fête était terminée. On en vit de plus en plus se présenter avec armes et bagages pour être enrôlés dans la milice. Avec succès pour la plupart ; mais ceux que l’on connaissait de réputation, les ordures qui s’étaient particulièrement illustrés dans les joyeux massacres d’antan, on les parquait dans des enclos d’où on les extrayait un par un pour aller faire une dernière ballade en compagnie de spécialistes de la dératisation.

La petite armée était devenue grande, les trois chefs historiques, les super préfets avaient formés un état-major de sous-lieutenants qui faisaient fonctionner la machine. La milice était devenue exemplaire par sa discipline et par le courage et la loyauté de ses troupes. L’ensemble des combattants, célibataires, étaient logés dans l’ancienne caserne d’un RPIMA quelconque dont on avait oublié les hauts faits. Modernisée, la caserne accueillait indifféremment les garçons et les filles qui partageaient avec ardeur les tâches quotidiennes ; ils mangeaient ensemble, dormaient dans les mêmes dortoirs aménagés de façon à respecter un minimum d’intimité mais se douchaient ensemble et pouvaient s’ils le souhaitaient pratiquer librement le coït, ce que l’on considérait comme essentiel à leur équilibre psychique. Si un combattant envisageait de se marier on lui attribuait un des bungalows qui avaient été bâti tout autour de la caserne et un accès aux jardins communaux où chacun pouvait à sa guise faire pousser ce qu’il voulait, salade ou cannabis, nul n’était chargé de surveiller les récoltes. La milice gérait une énorme ferme : des hectares de céréales, un troupeau immense, un moulin, des fours, un abattoir… une école avait été construite où chacun était libre d’aller, gosse ou adulte. Bibliothèque, cinémathèque, centre de conférence… Rajoutez ce qui vous vient à l’esprit, y en a !

Je savais que mon père aurait souhaité me voir postuler et ses amis n’auraient sûrement pas été contre. Cybelle était déjà adulte et lancée dans la vie avec son magicien, moi j’avais juste l’âge qui convenait, l’intelligence suffisante et l’habileté au maniement des armes qui allait avec. Il y avait pourtant un hic : rentrer dans les rangs de la milice, c’était au sens propre rentrer dans le rang et ça, ça me faisait royalement chier ! De plus Mic me poussait au cul pour qu’on foute le camp suffisamment loin pour échapper à l’influence de nos parents et amis et qu’on se mette à vivre à cent à l’heure. Et cela je vous l’ai déjà dit, ça m’allait très bien. On va voir tout ça un peu plus loin !

Page 1 of 2

Fièrement propulsé par WordPress & Thème par Anders Norén