“Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination, sont les routes aimées.” René Char

Mois : octobre 2019

Bonjouourrrr !

Voilà qui sent sa DRH et sa formation en entreprise à plein pif !

Faut que je raconte, c’est trop beau. Je suis au rayon produits vaisselle d’un Leclerc quelconque. Un mec qui aime les pastilles, là il se régale : t’en as avec deux, trois, quatre trucs dedans qui te mettent la vaisselle comme neuve et qui sentent  bon, qui te prolongent  la vie de ton Wihrpool jusqu’à fatiguer, t’es sûr de crever avant ton lave-vaisselle ;  t’en as avec une boule rouge au milieu du bleu, qui fait toute la différence, au citron, à la menthe, avec des trucs en plus que tu y as pas pensé, comme ces nouvelles capotes que t’as même plus besoin de partenaire tellement c’est sophistiqué ! Moi bon con de sommateur  je  m’applique à comprendre ce qui me va le mieux pour éviter les auréoles sur le cristal, pour économiser du sel et empêcher ma bécane de s’escaner sous une masse de calcaire. Je regarde les prix au kilo, je m’étonne que ce soit moins cher avec du parfum en plus et je m’extasie sur les tarifs du bio qui te lave rien du tout mais qui sauve la grosse boule bleue dont on est tous responsables comme dit Jolycohnhulot. Bref j’en arrive à la conclusion habituelle dans ces occurrences : je prends ce qui me tombe sous la main, incapable de discerner objectivement le meilleur dans cette profusion de marques, d’emballages  et de produits. Je suis émerveillé à chaque fois qu’un malin m’explique, l’air de celui à qui on ne la fait pas, que les hypers c’est mieux que le hard discount parce qu’il y a plus de choix ! C’est quoi cet univers où l’avalanche de produits et la multiplicité des offres  empêche de choisir ? Vivent Lidl, Aldi et les pommes de terre frites !                             

  Bon, tu piges dans quel état j’arrive vers les caisses, énervé et plein de réflexions acides qui ne demandent qu’à s’exprimer, manque que l’interlocuteur… justement en voilà un, plutôt trice que teur : la vraie pro, coiffée Madonna  après le concert, blazer rouge sapeur, serré sur une hypermastie boudinante, l’air pensif, toute prête à se faire chier pendant ses six heures en temps choisi– sic !-, pour un salaire mozambicain ; moi je pense que ces travailleuses ont droit à notre sympathie et en général je fais assaut de bonhommie et d’humour empathique, je me dis que mon passage dans leur ruelle en sera plus léger et m’efforce de provoquer quelques risettes ; il m’arrive parfois de faire un triomphe et d’obtenir un éblouissant sourire, une répartie ironique ou même un franc éclat de bidonnage qui peut mener au fou-rire ! Donc j’arrive à la caisse, tout rayonnant  et fier de la plaisanterie qui va assurément dérider cette brave travailleuse. Je commence ma phrase, on me coupe illico en m’assénant un BONJOURRRR !!! retentissant pour dire à tout le magasin que ce connard de client est même pas poli et que ça lui fera une drôle de leçon pour l’avenir. On a dû lui dire que le premier truc à faire c’est de saluer le client, ça m’étonnerait qu’on lui ait enseigné l’art d’insulter le dit client rien qu’en lui disant bonjour ! Enfin c’est tant pis pour moi, ça m’apprendra  à gaspiller ma sympathie pour soulager l’humanité souffrante comme disaient nos grands parents voltairiens : Poignez vilain il vous oindra, oignez vilain il vous poindra !

My friend Larry, crazy guy !

Ce texte, il ne le lira pas, trop modeste pour recevoir un compliment quelconque, je ne vais donc pas lui infliger cette épreuve                                                                                               Il est arrivé en Polynésie il y a quarante ans, hippie ! Son ambition : vivre sans travailler, élevage, culture, cueillette, va savoir… Aujourd’hui il vivote, endetté et accablé par un boulot de merde : il tient avec une désinvolture bougonne la seule station-service de l’île de Tubuaï, Australes. Une fois de plus je dois rendre à César, ce qui appartient à César et à Michel Fischer ce qui lui revient. Dès le début il a su éveiller ma curiosité pour ce personnage indéfinissable et pas facile à approcher. Lawrence Miller travaille quelques heures par jours seulement, mais cela lui coûte : il ouvre le bureau le matin de bonne heure, là, il s’efforce de mettre de l’ordre dans la comptabilité la plus merdique qui soit et il occupe le créneau 16h/18h quand il tient jusque-là et qu’il n’est pas en rupture de stock ; en fait la station fonctionne surtout grâce à Mira qui sert les clients avec compétence et grand souci de justice : avec elle tous sont égaux face à la pénurie ! Entre temps il est entièrement mobilisé par ses spécialités. Car c’est un spécialiste reconnu dans certains domaines : la météo d’abord, il est paraît-il incollable sur les cyclones, on peut dire qu’il est bien placé pour cela ! La préhistoire polynésienne, vous ne le prendrez pas en défaut sur les herminettes et les hameçons en arêtes ! L’ampélographie, il a planté différents cépages dans un petit champ qu’il possède sur la route traversière et il a acheté un traité du 19ème siècle en une dizaine de volumes plus joufflus que les tomes de la vieille encyclopédie Larousse et qu’il prétend avoir lu intégralement. Moi, je le crois. Enfin il est internationalement reconnu comme un des experts qui font autorité sur la reliure du XVIème au XVIIIème siècle français. J’ai vu sa correspondance avec quelques furieux de tous les continents et j’ai surtout pu tenir en main des choses étonnantes : un couvre livre gravé aux armes de François Ier, des traités d’anatomie dorés à l’or fin et enluminés à la main ! Plein de trucs tous plus curieux les uns que les autres car il se moque du contenu si la reliure est belle et authentique. Ce qui ne l’empêche pas de lire parfois ces ouvrages surtout les bizarres ! Il achète la plupart du temps sur e-bay, ça vous en bouche une surface ça ! Peintre, rocker, photographe, équipier sur voilier autour du monde, chauffeur de maître, astrologue, implementologue( !)- je crois que c’est un expert dans l’étude des outils et ustensiles de la Polynésie ancienne-, versé dans tous les onirismes et les obscurantismes possibles. Il aime les vieilles américaines, il a deux Pontiac des années soixante, une maman presque centenaire et riche qui vit à Toronto où il séjourne de temps à autre pour recharger son compte en banque en faisant le taxi ! Mais si !                                                             

Le plus difficile c’est d’entrer en relation avec lui, il est extrêmement soucieux de son indépendance et n’approche pas qui veut de ses tanières. Il semble très réservé quant aux popaas qui vivent sur l’île et ne cherche jamais le contact. En fait c’est le Hold’em qui nous a réuni. C’est un vieux joueur de poker fermé, comme moi, et s’il était très réticent au début à l’idée de se convertir à la religion actuelle, comme moi, il  s’y est mis, et avec  bonheur par la suite. A la fois classique et agressif, il est souvent déçu par des bad bits assez fréquents ; c’est à la table un compagnon courtois et plein d’humour, connu pour son expression favorite quand il est relancé, battu ou qu’il a révélé un bluff bien mené : Crazy guy ! Depuis mon départ il a abandonné le poker, se refusant de jouer avec certaines personnes : Still no poker, can’t play with poker with guys like the doctor, life is too short. Nous nous sommes beaucoup fréquentés à la fin de mon séjour à TubuaÏ ; il a eu la gentillesse, lors de la visite de Marie, de nous guider sur les lieux où l’on ramasse les herminettes ; il m’a fait en cadeau de départ l’offre d’un spécimen très rare et poli avec une finesse particulièrement délicate. J’avais mes entrées à la station et chez lui, il venait régulièrement à la maison,  j’en ai largement profité, tant était grand le plaisir que nous avions à deviser et à échanger des propos désabusés et rigolos sur la vie et les femmes ! A présent il s’est lancé dans un trip interminable sur Second Life, où il a deux avatars, un mâle, sans grand intérêt et une femme magnifique et sexy qui lui fait rencontrer une multitude d’autres femmes, virtuelles ou réelles ! Suite à mon dernier message, il a livré une réflexion flatteuse pour moi : ps Google has trouble translating your wonderfully articulate French

 Crazy guy !

 son site:        http://www.insidemystery.org/about.html

Le Bômi

C’est pas pour me vanter mais j’ai développé toute une réflexion sur un des états de notre organisme les plus difficiles à domestiquer, le moment où le corps  vous  échappe, affaibli, débile, prêt à mourir, près de la mort, la main qui tremble, le genou qui flanche, le froid qui s’installe dans l’estomac, la sueur mauvaise qui perle autour des lèvres décolorées, un peu d’arythmie et de tachycardie, le teint qui se plombe et les intestins qui se nouent au bord de la diarrhée. Cet état a ses lettres de noblesse, Sartre en fait un premier roman sur le malaise que provoque la conscience de la gratuité de l’existence, Frédéric Dard a écrit des pages immortelles sur ses manifestations visqueuses et jaillissantes dans plusieurs aventures du commissaire San Antonio, c’est un des thèmes récurrents de South Park et dans les albums de Titeuf un des personnages est emblématique de la chose, il en porte le surnom.

Nausée, envie de vomir, gerbe, beurk, comme il vous plaira de désigner la chose, ma mère disait : J’ai, tu as, il a le bômi  en traînant sur le ô.

Le bateau fait 7mètres cinquante, c’est un Rhéa, beau et rassurant, racé. Fabriqué par une boîte de La Rochelle qui est célèbre pour ses réalisations soignées ; un vrai pêche /promenade confortable et puissant, quille longue, Nanni diesel de 200 cv. Sorti de la marina de Salé, on longe la côte jusqu’à Harhoura, la mer n’est pas mauvaise, houle courte de un mètre, vent assez doux ; quatre pêcheurs dont le capitaine Najib, sympa et compétent ; il faut une petite heure pour être sur le lieu de pêche. On fera une cinquantaine de poissons, essentiellement des sars (dînent-ils à l’huile ?), taille standard, 25/30 cms, un ou deux maquereaux, moi une jolie palomette, pugnace et têtue qui refuse un moment de monter dans le bateau et quelques épineuses bestioles qui figureront bien dans une soupe confectionnée par Fathia sous ma surveillance sourcilleuse et pédagogique  et que nous dégusterons le lendemain, avec rouille et croutons – je m’entraîne toujours pour le championnat des mecs qui écrivent les phrases les plus longues-. Je suis tout heureux de renouer avec la palangrotte et les captures de taille modeste. Tout pour faire une journée idéale et empreinte de camaraderie virile et bavarde, émaillée de réflexions intelligentes sur la fidélité de nos compagnes quand l’un de nous semble prendre plus de poissons que les autres. Las, c’est sans compter sur le bômi ! Sorti du port ça commence, estomac glacé je me demande si le petit dej va pas me faire un retour fulgurant et inopportun, ça se calme à moitié quand je prends l’air lointain et que je me mets dans l’attitude du mec qui scrute l’horizon et qui se demande… ça ne s’arrange pas quand je m’avise de monter une ligne ou d’escher avec un poulpe qui a connu des jours meilleurs et dont les fragrances ne sortent pas de chez CK. L’horreur parfois, l’oubli souvent quand une prise ploie le scion qui tressaute ou se courbe fortement sans secousses selon l’espèce qui vient de se faire piéger. Journée terrible d’alternance de malaise et de pur bonheur ; connement je suis assez fier de moi, j’ai réussi pendant tout ce temps -8 ou9 heures quand même- à cacher mon état à mes compagnons. Il y a quelques années de cela on m’aurait entendu seriner à longueur de temps : putain les mecs j’ai la gerbe ! Oh là ça va pas ! Oh con j’ai le bômi ! Là, pas un mot, les dents serrées, le sourire carnassier du vrai loup de mer, la réflexion pour faire rire toujours prête et le flageolement interne soigneusement camouflé !

C’est pas pour me vanter…

                        Choses vues entre Asilah et Souk El Tnine-autrement nommé Sidi El Yamani-.

Pour l’instant je loue une petite maison de village à un quart d’heure de la mer. C’est un gros bourg célèbre pour son marché du lundi (Tnine, deuxième jour de la semaine ; il y a quelques années (trente !), j’avais une maison à Souk El Arba, marché du mercredi). Quand on quitte Asilah vers le sud, on peut prendre la nationale, l‘autoroute –drôle d’idée !-,  ou faire un détour par une petite route beldi au charme étonnant, on traverse une zone de collines et de plaines bornée à l’horizon par les dentelles du Rif, je ne m’en lasse pas.                             Ce pays est étonnant, je retrouve intactes des sensations que j’ai connues il y a longtemps et je me laisse surprendre par les changements partout visibles. Au milieu des années 80, une sécheresse mortelle accablait les campagnes, le roi organisait des marches de prières pour demander la pluie. Là, tout est vert, le jaunissement des près commence à peine à s’installer. J’avais quitté un Maroc ou le français était en perte de vitesse, maintenant je dois chercher longtemps pour trouver quelqu’un qui me comprenne, je vais faire des progrès en arabe et en espagnol. Dans la rue, les femmes voilées étaient très rares, peu d’entre elles couvraient leurs cheveux. Aujourd’hui c’est assez fréquent mais c’est largement compensé par l’attitude des jeunes qui se promènent en couple se tenant par la main, les épaules ou la taille ; sur la plage, des filles en bikinis ont parfois la tête couverte ; dans le bled la femme a gardé l’habit berbère traditionnel, robes amples sur pantalon, bottes en caoutchouc et grands chapeaux de pailles. Les bourricots sont partout, surchargés comme toujours, faussement résignés et indifférents aux Hummers qui les dépassent en klaxonnant. En fait ce qui est resté intact, c’est le contraste violent et partout constaté entre du médiéval et de l’ultramoderne.

            Anecdote révélatrice et judicieusement placée : Je circule dans Asilah, j’ai rendez-vous avec un propriétaire pour visiter un logement. Je suis sur une quatre voies, je dois rebrousser chemin ; une ouverture pour mon demi-tour, évidemment une Uno est garée contre le trottoir, juste là ou ça va bien pour m’empêcher de passer sans manœuvrer. Petite marche arrière, en grommelant et en faisant quelques signes au taximan qui s’en cogne totalement. Je repars et j’entends des pouets ! pouets ! anémiques et répétés je n’en fais guère cas et poursuit ma route un moment sans m’apercevoir que je suis pris en chasse par une Hyundaï hors d’âge qui a du mal à me suivre, je ralentis pour voir un furieux au volant qui me fait une queue d’anchois et me serre contre le trottoir en continuant son concert de klaxon. Il écume et je suis prêt à me garder contre une possible violence physique. Curieusement il écume en anglais : Get out of your car, we are going to the police, you ceci and you cela !  Toujours  dans la langue de Birkin il me dit que sa femme parle français  et va m’expliquer quelle vilénie j’ai bien pu commettre pour mériter au moins la pendaison immédiate. Dans sa voiture, il y a une grosse dame et un garçonnet d’une dizaine d’années, les yeux écarquillés et manifestement terrorisé par son géniteur.  Il semblerait qu’en reculant j’ai percuté l’avant de sa limousine fière et néanmoins coréenne. Il a effectivement un gnon à l’avant au milieu d’autres gnons et moi j’ai une petite coloration bleu-vert sur mon pare-chocs arrière. Je lui assure que je n’ai rien senti ni entendu – en britton : pas étonnant avec ta grosse BM !-, et que je n’ai aucunement l’intention de m’enfuir, prêt à faire acte de responsabilité, ma carte verte à la main. Il a redescendu la pression mais vue son assurance et la violence de sa démarche, je me dis qu’il doit être connu et suffisamment bien placé pour me faire des emmerdes. Car au Maroc comme ailleurs, les altercations avec un mec qui a un minimum de pouvoir, sont de vraies emmerdes, donc je m’attends au pire. Il me demande de le suivre jusque chez le loueur ! En fait ce truc ne lui appartient pas, il l’a loué ! Trois kilomètres plus tard, l’agence de location. Un mec sort, il l’air important de celui qui dirige mais il a aussi l’air de celui que ce genre de broutille ennuie profondément. Il se penche, tire sur le bout de plastique qui se ballade à l’avant de la coréenne et fait un geste insouciant de dénégation. J’apprends en anglais que l’avant avait bugné déjà plusieurs fois et que c’était kif walou ! Que j’étais libre et mis quasiment hors de cause. J’accepte les excuses multiples de l’ancien écumant, il continue de parler anglais mais il m’embrasse en marocain, deux fois ! La grosse dame me fait un sourire, le môme a l’air drôlement soulagé. Moi aussi. Voilà comment ça peut se terminer, ici.

            Si j’avais plus de temps je vous dirai aussi à quel point les filles de ce pays peuvent être splendides. On dirait que Baudelaire s’est promené dans Asilah ! N’oubliez pas ceci : celui qui à l’âge de cinquante ans n’a pas relu Baudelaire a bien mérité sa Rollex ! Cela s’intitule A celle qui est trop gaie Pour ma part, je veux bien jouer le rôle momentané du passant chagrin :

Ta tête, ton geste, ton air
Sont beaux comme un beau paysage ;
Le rire joue en ton visage
Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles
Est ébloui par la santé
Qui jaillit comme une clarté
De tes bras et de tes épaules.

Sinon, ça va ?

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