Mon compagnon de Tubuaï, il y est  resté

Todo sobre Toto

La genèse

Il est temps que je vous entretienne de Toto. Plusieurs raisons à cela : le sujet est intéressant et il aime qu’on s’intéresse à lui ; d’ailleurs il regarde ce que j’écris par-dessus mon épaule. Et puis beaucoup parmi vous ne le verront jamais qu’en photo puisque destiné à rester sur son île il ne me suivra pas dans mes futurs exils. Et comme ceux dont je parle plus haut sont trop casaniers, ou loin, ou fainéants, ou pauvres, ou carrément indifférents, je leur donne une chance de connaître un peu ce drôle de petit garçon avec un gros nez dixit Peppermint Patty, que ceux qui ne connaissent pas Peanuts fassent un pas en avant !-, son histoire et sa vision du monde.

Mais, chers lecteurs, revenons plutôt en arrière. Il y a quelques mois de cela, je m’arrête, comme presque tous les jours chez la wallisienne pour acheter quelques salades et de quoi mettre au potage. Thérésa est une charmante -quoique légèrement hirsute, merci d’être velue !- et enjouée sexagénaire qui vend des légumes et possède une harde de clebs multiraciaux. Il en est de toutes les couleurs ; ils ont quand même quelques caractéristiques locales et récurrentes, assez chafouins, plutôt bas de poitrine, hauts de cul et pattes torses ; les mâles ont un équipement surdimensionné et les femelles la mamelle alanguie et facilement débordante. Je soupçonne quelque hound ou artésien importé d’avoir laisser des traces génétiques non récessives dans l’île. Petits, il n’est rien de plus joli à voir ! Ce jour-là, il y en a un qui sort un peu du lot : il me fixe, l’œil rond et le fouet baladeur. Plutôt mal soigné, pas gras, poil rêche et ronds de pelade sur le flanc et la tête, il est aussi bancroche, manifestement bousculé par un conducteur pressé, touché au niveau de la hanche, il a une patte arrière raide et légèrement atrophiée. Pour l’instant, c’est pas un prix de Diane. On voit bien qu’il ne fait pas l’objet de soins attentifs et que dans le struggle for life, il est plutôt mal barré ! Je suis séduit mais lucide. « Le veux-tu ? » m’alterque mère Thérésa. « Ne puis, hélas ! Trop occupé à vagabonder , je n’aurais que faire d’un boulet fourru ! » rétorqué-je. Elle : « Il s’appelle Toto ! » Moi : « C’est pas grave ! » Elle revient à la charge : «  Si tu le souhaites, tu peux le prendre en pension et me le retourner quand tu sillonneras la planète ! » Me voilà tenté : « Or ça, Thérèse, toi qui rit quand on t’apaise, mais que voilà une proposition qui pourrait m’agréer ! » C’est ainsi que j’ai pris Toto en dépôt et qu’à chaque voyage, j’ai la possibilité de le remettre dans son ancien biotope. Mais corrigeons un peu : Micheline qui tient mon ménage d’une main ferme et deux fois par semaine a fini par s’attacher au canis lupus familiaris tubuensis, au point d’exiger la garde du ci-devant pendant mes absences, ce qui fait qu’en ces circonstances il a droit au séjour chez tatie Micheline, moelleux et cocoonesque à souhait.

Il est libre Toto

Dans mes souvenirs les plus lointains, l’image familiale n’est entière que par la présence du chien. Chez mes parents les périodes sans chien ne duraient jamais plus de quelques jours. Mon père se donnait comme alibi la nécessité d’un compagnon de chasse ; pudeur de sa part : non chasseur il eut trouvé mille autres raisons pour avoir son épagneul ! Plus tard, j’ai repris la chose à mon compte et avec la complicité bienveillante de mes compagnes, j’ai eu le bonheur et le souci permanent d’une présence canine dans mes maisons. Mais il s’agissait de bêtes utiles qui gagnaient leur pain sur les territoires sauvages que je battais d’un mollet ferme et nerveux. Il s’agissait de bêtes obéissantes et dociles, casanières et dépendantes. Mes chiens, nos chiens, une sorte de servage à quatre pattes dont l’existence était vouée à suivre le maître à la chasse et à divertir le reste de la famille. Quelque chose à aimer, quand même, en plus dans la parentèle.

Toto, lui, n’est pas à moi,il fait ce qu’il a envie quand il en a envie, même s’il préfère le faire avec moi. Car, tout de même , il a la rage de me suivre partout ou je vais, que cela me plaise ou non. Si je souhaite le faire sortir pour la nuit, il s’incruste ; si au contraire, ayant à faire en des lieux où les animaux ne sont pas admis, je voudrais le voir à l’intérieur, il campe sur la terrasse, sourd à mes ordres pourtant péremptoires ! Je sors, il est déjà devant la voiture, baluchon sur l’épaule ! Je prends ma canne à pêche, il est le premier au lagon. Je suis sur l’ordinateur ? Une truffe bien fraîche se pose sur ma cuisse et un mufle obstiné réclame sa flatterie. Je cuisine ? Passionné qu’il est ! C’est Drucker devant le Coffe ! Dans mon fauteuil je l’ai quasiment toujours à portée de caresse. Pourtant, le matin surtout, il aime musarder autour de la maison. Il va voir sa voisine, lice blanche et immaculée, beaucoup plus âgée que lui, elle lui fait quelques grâces hautaines dont il a l’air de se régaler. En sa compagnie, il gambade, ils n’hésitent pas à passer la route et pousser jusqu’au lagon d’où ils reviennent ruisselant et encore plus énervés. Dans ces moments si je le rappelle, il me regarde m’égosiller et m’oppose un refus d’obtempérer assez ferme, encore qu’ accompagné d’un balancement caudal en signe d’excuse. Il est sous le charme d’une vieille maîtresse, je ne fais pas le poids !

Il est libre, Toto ! C’est la première fois que j’ai un chien anar ! Un Kropotkine à pattes, un Bakounine velu, un Proudhon aux longues oreilles ; Ferré disait que les anarchistes étaient la plupart espagnols, chez Toto ça se voit surtout à la proéminence des castagnettes !

Tout à fait hors de propos : vous avez écouté la version de Mama Béa Tekielski de cette chanson de Ferré ?

Il aime.

Manger. Cela le passionne, il est très fort pour trier : dans la pâtée, il ne laisse que les légumes et les aulx, même très cuits, pour le reste, tout y passe ! Il pourrait être né en 1945, comme moi, toujours affamé et fatigué !

Dormir. Partout, sur le flanc, sur le ventre, le dos, n’importe où, fauteuil, pavé, coucouche, bagnole-siège ou benne-, tas de sable des voisins surtout en plein soleil, herbe fraîche, plage humide… y a qu’un truc qui l’intéresse pas, le plumard ! Curieux ce mec !

Courir. Quand on le regarde, avec sa patte gauche raide et qui ne touche guère le sol, on ressent bien la joie qu’il éprouve à pratiquer l’exercice. Il court avec sa copine, ses éventuels copains, devant moi en grognant comme un forcené sur la plage, pour rien, pour tenter de voler dans les plumes des quelques poulets qui se hasardent à venir le narguer à sa gamelle. J’ai vu des poules voler comme des faisanes, des poussins comme des cailles ! Quand il revient il irradie d’autosatisfaction, on sent qu’il s’est acquitté là d’une tâche importante !

Poser. Il se prend souvent pour Snoopy- pour Peanuts, un pas en avant j’ai dit !- quand il imite le coyote : cul levé, cou bien rentré dans les épaules, regard en dessous un peu fixe, un peu vide. Des fois il te foutrait la trouille c’con-là !

Il aime pas.

Quand Micheline prend le balais.

Quand on veut le caresser en avançant vers lui.

Quand on essaye de l’attraper.

Quand on essaye de lui mettre un collier. Micheline a failli l’étrangler quand elle s’est entêtée à vouloir l’attacher avec une corde. Roland m’a dit que sans son intervention, elle ne serait pas parvenue à lui éviter la strangulation.

Quand je le laisse seul.

Quand je lui interdis de descendre de la bagnole ; d’ailleurs il descend quand même.

Quand on s’approche de la maison.

Le gai Toto a du avoir une prime jeunesse pas très drôle, je lui ai donné une adolescence et un début d’âge adulte plutôt heureux. Il a récupéré sa robe de gala, toutes les traces de pelade ont disparues, il est bien dodu et luisant, nourri de poisson –c’est bon pour le sous-poil !- et de tout ce que je mange. Il est gâté, jamais grondé. On lui parle avec affection et intérêt. En retour, il me fait marrer, me rend au centuple l’intérêt que je lui porte et égaye l’atmosphère de la maison en permanence. C’est l’affaire du siècle !