La pandémie a démarré sans prévenir : le premier jour ou ce qu’on a cru être le premier jour, on s’est retrouvés avec des tonnes de malades, les hôpitaux ont été immédiatement débordés les gens sont restés chez eux et se sont mis à crever comme des bêtes. On découvrait des maisons entières sans âme qui vive, les quelques résistants qui n’avaient pas perdu l’esprit ont réagi comme il se doit en cherchant des raccourcis pour se débarrasser des corps qui encombraient le paysage ; mon père m’avait raconté comment avec une poignée de citoyens ils s’étaient mis à brûler un maximum de cadavres pour essayer de gagner du temps et de préserver au mieux les miraculés qui n’avaient pas encore été touchés. Il avait eu l’idée de remettre en route les vieux incinérateurs d’ordures, c’était peu respectueux mais en fait il n’y avait rien ni personne à respecter, il n’y avait de place que pour les actions les plus rapides et les plus efficaces. Les centrales fonctionnaient nuit et jour, le ciel était garni de gros panaches noirs et à la tombée du jour on apercevait les lueurs qui émanaient de ces lieux infernaux. La campagne déserte résonnait des meuglements désespérés des vaches qui n’avaient pas été soignées et qui attendaient des mains habiles pour traire leurs pis congestionnés. Des volontaires s’étaient chargés de mener des troupeaux entiers vers des centres de traites abandonnés. Les animaux en surnombre étaient abattus et les viandes traitées et mises en conserve ou en chambres froides. Tout fonctionnait encore, ne manquait que la main d’œuvre ! Partout on découvrait des scènes d’apocalypse ; par exemple à deux pas de chez nous, les porcs affamés avaient défoncé les portes qui les empêchaient de sortir pour se nourrir, ils avaient dévoré les macchabés qu’ils trouvaient un peu partout et il ne restait plus grand-chose à brûler quand les ramasseurs de cadavres s’étaient pointés. De toutes les masures abandonnées des hardes de bestiaux et des nuées de volailles s’échappaient pour gagner les forêts environnantes et se nourrir ou servir de nourriture. En peu de temps les cours de fermes se sont vidées, celui qui voulait un poulet, une pintade, une oie, une dinde, un lapin, un cochon… n’avait plus qu’à décrocher la vieille pétoire du pépé et s’enfoncer dans ce qui redevenait une jungle ; il n’y avait pas à courir, en lisière de bois on rencontrait à peu près tous les volatiles et il ne fallait pas aller beaucoup plus loin pour trouver un lapin redevenu de garenne ou un goret qui se prenait pour un phacochère ! A partir de là, je crois que plus personne n’eut faim dans notre région, les maladroits pouvaient compter sur les plus habiles ou les plus sanguinaires pour les fournir en viandes diverses. Pour le quotidien un système d’échange s’était installé qui permettait d’avoir à manger contre de menus objets ou des services divers. Les gens redécouvrirent les agréments du potager et du verger et il fallut peu de temps pour que les marchés reprennent vie autour des villages au trois quart inhabités ! Jamais les compétences ne se sont perdues et tout fonctionnait à la va comme je te pousse, même dans les domaines les plus pointus. En peu de temps les activités diverses ont repris, avec beaucoup moins de monde pour s’en occuper et des délais qui s’étaient considérablement allongés ; on réapprit la patience et le temps fut largement laissé au temps. Si bien qu’enfin on s’aperçut que des progrès s’étaient fait jour et que la recherche s’était lentement remise en marche. Des jeunes gens qui jusque-là n’avaient montré que peu de goût pour les activités intellectuelles ou d’ingénierie, se mirent à fabriquer de nouvelles machines et à découvrir de nouvelles pistes de progrès. Alors que les carburants ne manquaient pas, les voitures ayant de moins en moins d’utilisateurs, une bande de gamins qui croyait-on s’amusaient dans un labo avaient découvert le moyen de fabriquer de l’hydrogène de façon économique et pas loin d’être écologique. De nombreux groupes s’étaient consacrés à mettre en place un système d’échange un peu plus élaboré que celui qui s’était spontanément créé. De vieilles formules furent réactivées comme les SEL ou les perles du club Med et on ne désespérait pas de trouver le fonctionnement qui satisferait tout le monde sans revenir à l’égoïsme d’antan : les notions d’accumulation et de richesse n’avaient pas disparues pour autant mais elles étaient discréditées, l’ensemble de la population n’avait pas envie d’être riche !

Tout cela m’allait très bien mais finissait par être un peu frustrant, j’avais envie d’actions violentes et de transgression. Ceci étant, comment devenir bandit dans une société où le fric avait disparu et où il n’y avait plus de richards à dévaliser ? Comment devenir hors la loi quand la loi n’existait plus ou sous la forme dévaluée que lui avait donnée la milice. Je crois qu’il est temps que je vous explique ce qu’était cette milice et les ambitions qui la portaient depuis son fondement.