La Milice dite Petite armée fut initiée par mon père, madame Georgia et Arnaud. Ils étaient chacun à la tête de bandes organisées qui s’étaient formées presque spontanément au début des évènements et dont la tâche première était l’autodéfense et la lutte contre les hordes de cinglés terrorisés par l’épidémie qui réagissaient en s’attaquant aux faibles et aux isolés incapables de se défendre. La plupart de leurs victimes étaient déjà à moitié mortes, virus ou /et conditions de vie épouvantables, demi-vies suicidaires, alcools que l’on trouvait en masse un peu partout, médocs pillés dans les pharmacies désertées… on avalait tout avec des résultats plus ou moins heureux : pour un veinard qui avait trouvé de quoi éteindre pendant des lustres toute crainte et tout désespoir, des masses d’imbéciles se détruisaient l’estomac ou ne s’arrêtaient plus de pisser ou de chier suite à la prise par poignées de diurétiques ou de laxatifs. On rigolait bien en massacrant ces épaves qui crevaient dans leur merde, se noyaient dans leur pisse ou rendaient l’âme en vomissant !

On racontait qu’avant de se mettre en ménage avec Arnaud, madame Georgia avait eu une passade pour mon père, chose que je n’ai jamais vérifiée mais qui pouvait expliquer leur rapprochement et la fusion des trois groupes de combattants. Toujours est-il qu’en peu de temps une véritable force de l’ordre naquit de cette fusion et la répression s’abattit avec férocité sur les sauvages incapables d’opposer une réelle résistance à ce bulldozer qui les laminait. On investissait les lieux où se perpétraient les crimes et la plupart du temps on agissait en flagrant délit. Il n’y eut point d’arrestations ni de jugement, point de procès : les rencontres se soldaient par des exécutions sommaires et sans pitié, on ne s’embarrassait pas de détails ceux qui fuyaient étaient tirés comme des lapins et ceux qui, couverts du sang de leurs victimes, faisaient mine de se rendre étaient immédiatement passé par les armes. Certains, plus intelligents, plus calculateurs, ou lassés des massacres sans rime ni raison, avaient compris que la fête était terminée. On en vit de plus en plus se présenter avec armes et bagages pour être enrôlés dans la milice. Avec succès pour la plupart ; mais ceux que l’on connaissait de réputation, les ordures qui s’étaient particulièrement illustrés dans les joyeux massacres d’antan, on les parquait dans des enclos d’où on les extrayait un par un pour aller faire une dernière ballade en compagnie de spécialistes de la dératisation.

La petite armée était devenue grande, les trois chefs historiques, les super préfets avaient formés un état-major de sous-lieutenants qui faisaient fonctionner la machine. La milice était devenue exemplaire par sa discipline et par le courage et la loyauté de ses troupes. L’ensemble des combattants, célibataires, étaient logés dans l’ancienne caserne d’un RPIMA quelconque dont on avait oublié les hauts faits. Modernisée, la caserne accueillait indifféremment les garçons et les filles qui partageaient avec ardeur les tâches quotidiennes ; ils mangeaient ensemble, dormaient dans les mêmes dortoirs aménagés de façon à respecter un minimum d’intimité mais se douchaient ensemble et pouvaient s’ils le souhaitaient pratiquer librement le coït, ce que l’on considérait comme essentiel à leur équilibre psychique. Si un combattant envisageait de se marier on lui attribuait un des bungalows qui avaient été bâti tout autour de la caserne et un accès aux jardins communaux où chacun pouvait à sa guise faire pousser ce qu’il voulait, salade ou cannabis, nul n’était chargé de surveiller les récoltes. La milice gérait une énorme ferme : des hectares de céréales, un troupeau immense, un moulin, des fours, un abattoir… une école avait été construite où chacun était libre d’aller, gosse ou adulte. Bibliothèque, cinémathèque, centre de conférence… Rajoutez ce qui vous vient à l’esprit, y en a !

Je savais que mon père aurait souhaité me voir postuler et ses amis n’auraient sûrement pas été contre. Cybelle était déjà adulte et lancée dans la vie avec son magicien, moi j’avais juste l’âge qui convenait, l’intelligence suffisante et l’habileté au maniement des armes qui allait avec. Il y avait pourtant un hic : rentrer dans les rangs de la milice, c’était au sens propre rentrer dans le rang et ça, ça me faisait royalement chier ! De plus Mic me poussait au cul pour qu’on foute le camp suffisamment loin pour échapper à l’influence de nos parents et amis et qu’on se mette à vivre à cent à l’heure. Et cela je vous l’ai déjà dit, ça m’allait très bien. On va voir tout ça un peu plus loin !