La pyramide des âges avait une drôle de gueule et d’après les quelques experts qui s’intéressaient à la chose, c’était du jamais vu, de l’inédit, de l’ahurissant ! D’abord la partie femelle connaissait une harmonie certaine, on trouvait des femmes à tous les âges de la vie et, comme déjà vu, en plus grand nombre que les hommes même si elles n’étaient pas à l’abri de l’épidémie ; les hommes montraient une répartition pour le moins surprenante : beaucoup de jeunots et de vieillards et presque rien pour les âges intermédiaires ! En fait on le constatait tous les jours si on atteignait l’âge de vingt ans sans chopper cette merde qui continuait à circuler librement on avait des chances de vivre très vieux. De même si on avait le bol(?) de tomber malade et de ne pas claquer on pouvait compter vivre tout aussi vieux que les précédents. Mais peu de mecs se sortaient d’une atteinte du virus et peu aussi arrivaient à vingt ans. De plus on avait constaté que selon les origines, on n’était pas à égalité : les méditerranéens s’en tiraient pas mal, ils claquaient moins que les gens du nord ; les populations arabes semblaient être dans la même catégorie que les méridionaux, les africains noirs et les polynésiens par contre s’en sortaient très mal, l’Afrique était dévastée et Tahiti et la Nouvelle Calédonie des champs de ruines où peu de survivants erraient à la recherche de va savoir quoi… Curieusement il y avait des exceptions, Madagascar, l’Australie, la Nouvelle Zélande avaient perdu beaucoup moins de population que leurs voisins plus ou moins éloignés. Ceux qui supportaient le mieux ces misères, c’étaient les japonais, les autres peuples d’Asie dans leur ensemble étant soumis au même régime que les populations européennes. Ce bordel atroce avait eu des conséquences sur les sociétés de survivants : on ne vivait plus comme avant et les valeurs sociales étaient bouleversées. On l’a vu plus haut, le prix de la vie avait changé en même temps que la mort devenait la banalité quotidienne. Les gens s’étaient endurcis et dans le même élan avaient pris l’habitude de s’entraider !

On s’occupait beaucoup des vivants. Les gamins étaient couvés dans des gynécées de fortune, on dormait par terre sur d’énormes futons, filles et garçons, corps mélangés recouverts de tas de couvertures et d’édredons ; personne n’avait froid ! Au résultat, l’éveil sexuel des garçons était difficile à dater. Je n’ai dans mon souvenir aucune trace de sortie de virginité ! Je me rappelle les sexes de fillettes plus ou moins glabres et plus ou moins congestionnés qui se frottaient à moi, s’offraient à ma bouche ou à ma zezette qui n’en pouvait mais ! Quand eu-je ma première érection ? Ma première émission de semence ? Je ne revois qu’un mélange de chairs tendues ou alanguies, des langues qui s’attardaient sur toutes les parties de mon corps, des bouches impatientes qui me gobaient me suçaient et réclamaient des baisers de plus en plus prolongés et gourmands. Je me retrouvais tout trempé, turgescent ou flaccide, ne sachant plus de quoi j’avais envie, ni si j’avais encore envie de quoi que ce soit. Coincé par les désirs de ces apprenties femelles qui découvraient leur sensualité en direct sur les ventres et les reins d’apprentis Casanova . En proie aux délicieux tourments de la chair offerte à satiété, je jouissais sans savoir vraiment ce qui se passait entre nous, sans comprendre qu’à l’âge ou j’aurais dû encore pisser au lit j’étais en train de devenir un mec à part entière ! Petit à petit on se domestiquait aux plaisirs de la peau, des muscles, des tendons, on se transformait en spécialistes de l’anatomie, en reconnaissant à coup sur les recoins qu’on n’aurait pu nommer mais qu’on avait appris à désirer et vers lesquels on se dirigeait de préférence. On se mit à choisir et à retrouver le plaisir dans ces choix, on avait quelques partenaires d’élection, d’érection, on savait qui pour la fellation, qui pour la minette et qui pour la sodomie, on savait avec qui s’endormir après des excès de jouissances partagées ; au matin on se réveillait dans des bras que l’on sentait aimant et on pouvait recommencer ou jouir de l’instant de douceur qu’offrait le petit jour complice et attendri ; ou bien les deux !

Au résultat, entre dix et onze ans j’étais presque adulte, dans ma tête d’ailleurs je l’étais, comme en plus j’avais la chance d’être plutôt grand et costaud, on m’aurait facilement donné quinze ou seize ans ; ça aussi ça m’arrangeait bien en m’ouvrant l’accès à toutes les facilités et les plaisirs dont jouissaient les adultes, je pouvais boire, jouer aux cartes, me bagarrer et jurer comme trente-six charretiers… et surtout découvrir que tout ça c’était des conneries et qu’il y avait moyen d’employer sa vie à des choses beaucoup plus intéressantes, comme acquérir de plus en plus de connaissances et découvrir le monde et les moyens de le transformer à notre profit. Si l’école a été essentielle pour ma formation, Mic m’a guidé dans la nature où il avait tout à me faire découvrir. Nous étions comme les doigts de la main et ne faisions rien l’un sans l’autre. C’est beaucoup pour cela que ma vie à dérivé et que j’ai commencé à déconner sérieusement : je voulais tout tout de suite sans comprendre ce que cela représentait pour mon avenir qui s’annonçait pour cela plutôt sombre ! D’ailleurs j’ai entamé le reste de ma vie en étant persuadé que tout ça allait tourner court, je venais juste de chopper cette vérole moderne qu’ils avaient baptisé Covid 119 B !