Splendeur et misère des courtisanes

Il est temps pour nos lecteurs d’en apprendre un peu plus sur le caractère et les mœurs de Lucien, d’essayer d’approcher la vérité d’un personnage complexe et tourmenté dont la place dans cette société corrompue et fausse mérite d’être précisée et explicitée.

         Tout d’abord cette scène que j’ai volontairement ôtée du texte définitif pour ne pas induire en erreur le lecteur inattentif. Dans la loge obscure il est debout en retrait des regards avec Blondet. Le journaliste le serre de près, il lui flatte le dos et descend vers les reins d’une main insistante. Il s’insinue dans les chausses et devient rudement caressant, il écarte les fesses et introduit son majeur dans l’intimité moite qui s’offre comme un baiser. La main gauche a saisi et mis à nu le vit cambré et commence à le manipuler comme un jouet, le brandiller, calotter, décalotter. Ce moment n’a rien d’unique et rappelle pour le jeune homme ces séances d’études en hiver quand le poêle exacerbait les sens des collégiens par la chaleur cuisante qu’il dégageait ; ils étaient cachés par le pupitre et le petit Jean-Pierre aux yeux de fille le faisait jouir dans le mouchoir qui finissait empesé et cartonneux. Blondet comme lui n’aimait que les femmes, mais ils se sentaient femmes, ils prisaient fort l’abandon et la mollesse du genre et pouvaient s’adonner à la sodomie considérée comme le vice insurpassable. Ce soir-là il laissa les traces spongieuses de sa volupté sur le dossier de la Marquise B* qui n’avait que le tort de n’être pas là.

         Vautrin, on le sait n’aimait pas les femmes. Esther était pour lui quantité négligeable et n’avait en sa faveur que l’amour de Julien, sans lequel elle aurait sûrement été la victime désignée du forçat. Quand il la trouva dans un état de pamoison, étendue dans sa mansarde, à demi asphyxiée, elle était nue et désirable pour le premier vaurien venu. Il faut croire que le faux prêtre n’était pas intéressé car il ne regarda même pas ces seins et cette fleur magnifiques, objets des convoitises du tout Paris. Sa rapacité n’allait pas là ! Lui-même n’arrivait pas à apprécier la qualité des sentiments qu’il éprouvait à l’égard de Lucien. L’aimait-il à l’égal d’un fils ou d’un amant ? Un soir d’été lourd d’orage et de menaces diverses, il avait trouvé le jeune homme entièrement nu sur son lit et profondément endormi, sous l’effet d’un hypnogène dont il ne sortirait que plusieurs heures après la prise. Herrera avait essayé de le réveiller sans succès ! Il l’avait recouvert d’un drap, gêné par sa nudité qui le troublait comme jamais.

 Il le veilla et se mit en tête de recenser ses turpitudes passées avec de jeunes garçons. Au bagne déjà il avait eu des relations tendres avec une tante, le jeune Théodore Calvi. Son corse, surnommé Madeleine, ils couchaient ensemble et passaient des nuits l’un dans l’autre jusqu’à l’épuisement. Vautrin ne put jamais l’oublier et après la mort de Lucien il parvint à le retrouver mais ne put le sauver de l’échafaud. Trompe-la-Mort ne cessa jamais d’avoir des relations avec des jeunes gens, et, s’il ne put séduire Rastignac, il soumit Lucien à sa volonté de fer. En Espagne, quand il vola l’identité du moine Herrera, il eut l’occasion comme ses confrères de faire défiler dans son lit une foule de moinillons trop heureux de profiter d’un bienfaiteur qui ne demandait que quelques caresses et pénétrations en échange de toutes les douceurs dont il les couvrait. Ces gosses devenaient riches et débauchés et se pliaient à toutes ses abjections. Revenu en France, à Paris, il allait régulièrement chez Madame Adèle qui proposait indifféremment des filles et des garçons à peine pubères à l’appétit de qui pouvait payer. Vautrin ne manquait de rien sauf de tendresse passionnée. Il avait conscience que l’attachement de Lucien était plus de la servilité que de l’amour, il aurait pu en profiter mais jusqu’à ce soir-là il n’en avait rien fait.

Et puis nous y voilà, ses pensées obscènes l’avaient mis dans un état de tension telle qu’il fallait s’en libérer. Il fit glisser doucement le drap sur le corps de l’inconscient et se remplit jusqu’à l’âme du spectacle merveilleux qui s’offrait à lui. Lucien avait un corps gracieux et délicat, de dos on l’eut pris pour quelque Odalisque tant la courbe de ses reins était douce et efféminée. Les grosses pattes du faux prêtre se posèrent sur toute cette gracieuse incarnation de la statuaire antique. Il caressa les lobes en les écartant légèrement pour poser son visage de singe au milieu de ces splendeurs. Dans son sommeil artificiel Lucien réagit et commença à se raidir. Sur le dos à présent il montrait une virilité triomphante qui rendit fou le pauvre forçat. Il avala tout entier ce qui se tendait vers lui et saisi les bourses qu’il malaxa longuement. Il téta longtemps cette merveille, gobant tour à tour la hampe et les couilles en salivant d’abondance.  Levant haut sa soutane, il se dévêtit et présenta à l’ouverture tendre et rosée une chose tordue et lourde de deux pouces d’épaisseur sur dix de long qu’il eut bien du mal à faire entrer. Il haletait et mit un temps infini pour se libérer. Dans son rêve Lucien finit par atteindre un plaisir qu’il n’aurait peut-être jamais eu s’il avait été totalement conscient. Vautrin mit toute sa science à soulager l’intimité du jeune homme qu’il croyait avoir forcée. Il lui administra un clystère avec de l’archangélique et lui massa longuement l’anus avec des onguents. Ce qu’il ne savait pas c’est que monsieur de Rubempré était rompu depuis longtemps à la pénétration anale : il en avait vu de plus rudes que les attributs pourtant conséquents de l’abbé !

On le sait, Lucien était par sa grâce et sa beauté l’objet de bien des convoitises, faible par nature il jouissait de se laisser entraîner par les esprits forts qui l’entouraient. Sous la coupe de Vautrin, il s’était laissé persuader que son avenir devait passer par un mariage arrangé avec Clotilde de Granlieu laquelle tomba assotée sur le champ à leur première rencontre. Le petit poète n’était pas très malin mais sa fréquentation des femmes les plus remarquables de Paris lui avait donné une forte expertise dans les domaines où la sensualité règne en maitresse exigeante et despotique. Madame de Maufrigneuse lui avait enseigné les finesses du comportement avec les femmes du monde, en passant le relais à la comtesse de Cerisy elle lui donnait une deuxième instructrice en ces matières, encore plus savante et libre car le comte s’était fait le complice attentif de ses relations avec son jeune amant. Lucien si bien entouré était devenu un autre Casanova auquel pas une dame, de la jouvencelle à la plus mûre des douairières, n’aurait su résister, il aurait pu mettre sur son sofa les plus belles maitresses de la capitale. S’ajoutait à cela une habileté charnelle extraordinaire acquise au contact des plus savantes prostituées du siècle, Coralie et Esther en premier plus une kirielle de catins qui se pressaient à sa porte. Il avait commencé cette carrière de séducteur dans les bosquets de la campagne angoumoise, se dégrossissant dans les bras de très jeunes paysannes facilement dévergondées et de ces petites Bovary qui s’ennuient en province. Avec Esther comme nous allons le voir, les relations tenaient du chef d’œuvre. Elle n’était pas une gaupe ordinaire ni la première gourgandine venue. Elle avait de la race et une grâce naturelle qui lui donnait le pouvoir de dépasser toutes les limites sans perdre cette innocence qu’elle garda jusqu’à la tombe. Son pouvoir sur Lucien était extraordinaire, il se fût damné pour elle si elle l’eût exigé. Comment comprendre alors cette rage à vouloir la quitter pour une Clotilde sans relief ni intérêt autre que de lui apporter la fortune et une position dans le monde qu’il n’aurait pu espérer sans cela ? Tout était là bien sûr. Vautrin l’avait sous sa coupe et le sacrifice d’Esther était inscrit dans ses projets. D’autant plus que la jeune personne avait accepté le plus rude : se livrer à Nucingen qui bavait de concupiscence et était prêt à se dépouiller pour accéder au corps tant désiré.

En attendant, le jeune poète n’avait pas perdu de vue son projet de séduction. Clotilde déjà bien appâtée était prête à tout pour obtenir la main de son soupirant, décidée à se donner à lui et à perdre sa décence dans le premier lieu qui se prêterait à la chose, lit, canapé, herbe tendre ou fossé. Cela ne tarda pas, au cours d’une promenade dominicale où pour une fois il n’y avait nul chaperon, elle se retrouva nue sur la paillasse du jardinier, dans une cabane abandonnée bien à propos. Dieu qu’elle était disgracieuse ! Ossue et hirsute, pointue de toutes ses attaches, sans rondeurs ni douceurs, les aisselles fournies autant que son ventre qui présentait une couverture sombre et large qui couvrait en partie ses cuisses. Un peu décontenancé, son compagnon la retourna sans ménagement pour découvrir un pauvre croupion d’adolescent où la luxuriance de la toison cachait entièrement les évasures étriquées. Il dût s’aider manuellement pour trouver la rigidité qui convenait à son assaut. Il ne souhaitait pas prendre la virginité de cette pauvre demoiselle et il visa le haut en s’enduisant de salive. Il eut bien du mal à se loger dans cet orifice étroit et rebutant, elle, qui devait souffrir mille tortures, peinait à retenir ses cris et gémissait bouche close et dents serrées. Il se répandit sans tarder et sorti sans regarder les traces de sang et de saletés qui ornait à présent son organe. Il faut rendre à Clotilde cette justice que croyant faire plaisir et ne comprenant que peu ce qui motivait Lucien, elle lui offrit à toutes occasions de recommencer ; il finit par s’y faire et en peu de temps, Clotilde n’eut plus mal et tira de ces explorations une satisfaction profonde !

Peu de nos lecteurs le savent mais au tournant du siècle, il y avait dans Paris quatre artisans spécialisés dans la fabrication de ces objets que les prostituées utilisent couramment et que les anciens appelaient olisbos. Au faubourg Saint Germain, Le plaisir nouveau offrait en vitrine les réalisations de maître Jeanmaire, propriétaire et seul vendeur de la petite échoppe. On y trouvait   une collection importante de ces instruments, du plus simple en bois tourné au plus complexe avec mécanisme, en métal, en passant par les traditionnelles imitations, fort réalistes par ailleurs, en cuir travaillé, teint et graissé. Cette boutique avait la clientèle de toutes les prostituées du quartier latin et du Marais. Esther eut recours à cet artiste qui avait réalisé à partir d’un dessin de Camusot un exemplaire unique et ingénieux. Camusot était le procureur en titre et accessoirement l’amant -en titre aussi- d’Esther avant qu’elle ne le quitte pour tomber dans les bras de notre jeune poète. En ébène veiné de vert foncé et tourné à la perfection il avait été copié sur un exemplaire vivant, érigé et bien doté, le vit du nègre Honoré. Il faudra un jour conter la vie et les aventures de ce gentleman natif de la Côte des Mangues, produit typique de ce que l’Afrique peut offrir de plus extraordinaire à l’humanité. Nous y reviendrons. Ce godemichet fut donc baptisé et devint le Grand Honoré. Il était coupé dans le sens de la longueur et creusé comme on eût construit deux petites pirogues. Les deux parties était reliées entre elles par deux oreilles qui formaient poches hermétiques faites de cette nouvelle matière tirée de l’hévéa qu’on venait d’inventer, le caoutchouc. Judicieusement collées, les cavités permettaient en soufflant à l’arrière de l’engin d’en doubler la section. Ainsi d’une imitation de sexe déjà imposante on pouvait faire une énormité capable de remplir à éclater les cavités les plus déformées par l’âge ou les habitudes de pénétration les plus sévères. La pire des trimardeuses en fin de carrière était sûre d’être comblée par cet outil ! En fait seuls Esther et Lucien pouvaient jouir de l’utilisation de cette merveille de technicité. Ils en alternaient les usages et le poète pouvait se vanter d’avaler entièrement ce dispositif déployé à l’extrême. Europe se chargeait du gonflage quand tous deux étaient occupés à saillir et les deux amants rassasiés jouissaient de conserve pendant l’acte.

Nous parlons ainsi des moments où la passion amoureuse des jeunes gens les poussaient à la recherche de sensations de plus en plus épicées. Ils étaient capables dans ces moments des pires turpitudes, utilisant largement les ressources de la technique, les substances aphrodisiaques frelatées et les partenaires les plus savants ou dépravés. Leur nid d’amour semblait à ces moments de désordre absolu un vrai lupanar, un bordeau de dernière catégorie où régnaient stupre et margaille. Cependant, en temps normal, de longues accalmies les réunissaient dans des étreintes beaucoup plus sages et amoureuses où il la pénétrait avec douceur et où ils appréciaient un face à face classique et apaisé qui pouvait durer longtemps avant une délivrance absolument divine qu’ils partageaient comme au premier temps de leur idylle.

La fin de l’aventure était là, Esther savait qu’elle avait perdu Lucien qui allait épouser Clotilde. Elle était revenue à son ancienne vie d’hétaïre et se préparait à remplir ses obligations à l’égard du baron auquel elle avait promis les trésors de son corps et qu’elle lanternait depuis des mois. Il était contraint de se livrer aux manipulations de ses chambrières que sa femme convoquait régulièrement pour décharger Monsieur de ses tensions. Madame de Nucingen prenait soin de son mari par intérêt d’abord : il n’était plus avare depuis que sa maîtresse rétive le saignait régulièrement. Il amassait de plus en plus et distribuait en conséquence, la baronne en profitait largement. Elle se laissait séduire par des saute-ruisseaux qu’elle faisait capturer directement dans la rue : ces gamins se retrouvaient au paradis en quelques minutes, devant une grande dame parfumée et nue qui leur présentait ses fesses à bout touchant et les lestait d’une bourse bien dodue. Ils auraient volontiers réédité la chose quotidiennement ! Le baron n’était intervenu dans ce petit commerce que pour demander la permission d’assister aux séances pendant que sa bonne préférée, Ninon, lui faisait dégorger les quelques gouttelettes d’humeur qui lui restaient. La baronne avait hâte que cette petite bête d’Esther libère les sens de son mari qui devenait de plus en plus frénétique dans cette attente. Le jour vint enfin.

Esther annonça au baron qu’il devait se préparer pour la cérémonie qui aurait lieu avant le souper, soit avant qu’il se consacre à une digestion difficile fruit de ses goinfreries et de sa potomanie irréfrénable. Elle prit un bain et se parfuma longuement. Elle avait exigé qu’il fût lavé et frotté par Ninon et qu’elle l’accompagnât jusqu’à sa chambre où elle devait le tenir nu en l’attendant. Enfin ils furent face à face. Le baron serait tombé si sa bonne ne l’avait retenu. Flaccide et fripé son instrument n’apportait rien à sa gloire. Les deux femmes se regardaient et avaient bien du mal à s’empêcher de rire. Squelettique et livide il disparaissait à côté de Ninon rose et bien en chair. Elle attendait que la maîtresse agisse et se contentait de soutenir le pauvre épouvantail toujours aussi inerte. Esther s’approcha et respira profondément pour retenir son souffle et éviter l’haleine de saurien de son futur amant. Elle lui souffla doucement dans la bouche et s’empara de son membre avec fermeté et délicatesse. Elle pratiqua le mouvement lent et alterné en usage dans ces instants de bonheur. Sur un signe que Ninon saisit immédiatement il se retrouva avec une main experte qui lui maniait le fondement et un index agile qui lui fouillait l’anus. Il eut ainsi une réaction. Elles durent s’acquitter de gestes de plus en plus violents pour qu’enfin elles obtinssent une fermeté apte à la pénétration. Esther se tourna et Ninon fit avancer le barbon qui put s’introduire dans le creux qui mobilisait tous ses désirs depuis de longs mois. Là il trouva la vigueur nécessaire à la fornication et s’agita en rythme désordonné vite interrompu par un râle qu’on eût pu croire d’agonie. Monsieur le baron venait de jouir. Esther refusa le geste de Ninon qui voulait lui donner le plaisir que le baron avait confisqué, elle se jeta en avant franchit la porte du cabinet de toilette et sauta dans le bain qu’elle avait préparé à cet effet, elle se prépara à une longue purification.

Le vieux Nucingen qui n’avait rien compris se prépara à avoir cette félicité régulièrement dans la suite de ses amours. Il se trouva bien crétin quand quelques heures après on lui apprit la mort de sa maîtresse qui avait fuit la vie pour fuir le baron.