C’est la fin de l’été, il fait encore chaud. Très chaud. Il semble bien que le climat ait changé ! On est en pleine action. A pinces, on a été obligé de laisser les véhicules en bas de la colline. Façon de parler : plus on grimpe plus c’est une montagne qui s’offre aux arpions martyrisés, avec les pinfles qui roulent sous les semelles pour bien t’aider à en chier. Des mômes qui vivent là ont repéré des va et viens de mecs bizarres et armés : ça va les mains vides, ça vient chargés comme des mules. Les gamins trop contents de balancer nous ont avertis de la chose ; on a vérifié, apparemment ça a l’air juteux ; mais les mecs se méfient et on a bien du mal à les suivre sans se faire chopper. C’est notre quatrième tentative et je commence à en avoir marre de crapahuter dans la touffeur des sous-bois au lieu de faire la sieste bien au frais. Qui sont ces mecs, que trimballent-ils ? Aujourd’hui c’est moi qui assure avec quatre soldats bien entraînés à en baver et à fermer leurs gueules. Quand même on voit bien qu’ils s’interrogent : qu’est-ce qu’on fout là à cavaler derrière des gus inapprochables et dont les activités, si on les sent suspectes, sont surtout mystérieuses ! La canicule ça fait se poser plus de questions. En face ils n’ont pas l’air de souffrir, on sent qu’ils ne sont pas du coin, qu’ils connaissent mieux que nous ce type de climat : plutôt petits, ils ont le teint plus mat, les muscles noueux et semblent animés d’une résistance à toute épreuve. Impressionnés qu’on est par ces types bizarres et si on est prêts à en découdre on a l’estomac un peu serré, comme alourdis par un malaise indéfinissable. On est juste sensés les suivre et ne pas intervenir quoiqu’il advienne ; surtout ne pas se faire surprendre et vérifier sans arrêt qu’ils ne se doutent de rien. Justement je sens au fond de mes tripes qu’on l’a dans le fion, à leurs changements de rythme, à leur allure de moins en moins naturelle je vois bien qu’il ne faut plus insister et qu’on va à la catastrophe ! Je m’arrête brutalement et fait signe aux autres de rebrousser chemin. Je me retourne. Ils ne sont plus que trois ! On n’a rien vu ! On ne prend pas le temps de s’interroger, on fonce, on court presque. On n’a pas fait cent mètres qu’on retrouve le manquant : cloué en hauteur sur un grand chêne ! Il est à poil, la poitrine traversée par un pic de mineur, éventré, les yeux et la bouche grands ouverts. On ne ralentit pas, ce n’est vraiment pas le moment les balles commencent à siffler, le tac tac des mitraillettes nous inciterait plutôt à accélérer. Un des gars est en tête à la sortie du bois, il efface une rafale qui le coupe presque en deux, moi je serre à gauche pour rester à couvert et je cavale en parallèle avec la lisière, ça continue à asperger. Le troisième à morfler, le plus jeune, se retrouve avec un bras inutilisable et sur lequel les balles ont tracé un motif intéressant il fait mine de s’arrêter, je le choppe par son aile intacte et l’entraîne avec moi le plus vite possible. Entre temps le quatrième larron s’est planqué derrière un arbre et arrose libéralement le paysage arrière, j’entends gueuler illico deux de nos poursuivants ; ça braille de l’étranger mais on comprend quand même que ça n’est pas content et que ça souffre ! Notre camarade renvoie la purée une deuxième fois et nous rejoint, en face ça s’est calmé, plus de tac tac ni de zinzon on dirait que la guerre est finie. On sort de là un peu sonnés en portant à moitié notre blessé. Une partie de nos troupes alertées par les tirs nous rejoint tout de suite et nous ne mettons pas un siècle à rejoindre les bagnoles.

         Résultat :  le tringlot a récupéré son bras un peu tatoué mais encore fonctionnel ; les cadavres des deux victimes sont transportés jusqu’à la plaine où une crémation d’honneur leur est offerte. Les trafiquants ont disparu sans laisser de blessé ni de mort sur les lieux. Ils ne sont jamais revenus, on ne les a jamais revus, on ignore aujourd’hui encore à qui nous avons eu affaire. Et merde comme dit Mic, j’aurais bien aimé savoir !