Le dernier point sur lequel je dus insister concernait les véhicules. Mic avait raison on trouvait de tout partout et en état divers, il n’y avait qu’à se servir. Mais cette profusion même entraînait une faiblesse cardinale : nous n’avions pas besoin de Ferrari ni de BMW, nous devions avoir des véhicules pratiques en état parfait et pour lesquels le carburant et les pièces détachées étaient faciles à trouver ; et surtout il nous fallait les mécanos pour aller avec ! Là ce n’était pas du luxe, nos vies dépendaient de notre mobilité et nos montures devaient être au top en permanence. Il fallut convaincre les frangins Marreau de nous équiper! Pas faciles les frérots, sourcilleux, colériques et insatisfaits sur tous les plans. Si tu déplaisais, t’étais viré du garage sans espoir de retour, si tu insistais, c’était le grand orchestre de clefs à molette qui jouait Le vol du marteau dans sa version la plus sanglante ; il pouvait pleuvoir des outils en masse et j’ai vu un tas de connards sortir en courant de l’antre des deux loustics sous un déluge de limes, tournevis, pinces, leviers, serre-joint et autres perceuses électriques. Pour ajouter à la panique, ils avaient deux grands chiens croisés au hasard des rencontres d’une férocité sans égal. Quand leurs maîtres faisaient la colère ils entraient dans la danse sans invitation et beaucoup d’anciens clients ont bien failli y laisser les valseuses. Moi j’étais reçu comme un prince par les clébards et leurs maîtres ! Ils devaient leur première installation à un prêt à fonds perdus contracté chez mon père, chose qu’ils n’ont jamais oublié. Nés Vertovitch, ils avaient changé de nom en revenant d’un de leurs nombreux périples en BJ40 au cours desquels ils s’enfonçaient très loin dans le sud ; on disait qu’ils étaient allés jusqu’en Afrique, mais comme ils n’en parlaient jamais…Admirateurs des pionniers des courses africaines, ils avaient une documentation énorme sur le Paris-Dakar et une sorte de délire religieux les animait quand ils évoquaient leurs héros. Les frères Marreau avaient à l’époque gagné le surnom de Renards du désert et donc ceci expliquait cela. Là encore j’ai dû parlementer longtemps pour obtenir leur participation à nos raids. Ils voulaient venir eux aussi, mais moi je ne les voulais pas sur le terrain. J’ai acheté leur adhésion en leur livrant une centaine de Toys qu’on est allé torpiller vers la frontière espagnole sur leurs indications : ils se souvenaient bien de cette espèce de camp retranché entièrement dédié à Toyota. On est revenus avec une dizaine de camions chargés de véhicules neufs après avoir massacré une garnison de sauvages, réputés massacreurs et anthropophages qui étaient célèbres dans leur coin pour accumuler les viols et les meurtres et terroriser les populations ; on avait l’impression d’être des petits saints à côté de ces charognards qui, semble-t-il, vivaient entre eux sans femmes ni enfants ; on n’a pas vérifié on s’est contentés de tirer dans le tas et d’en tuer le plus possibles. Ils étaient habitués à une absence de résistance dans leurs razzias, et n’avaient jamais rencontré des gens comme nous ; il en est resté très peu pour se souvenir de notre passage. A notre retour les frères nous accueillirent avec ce qui pouvait passer pour une grande satisfaction et des grimaces pour tous sourires. Nous étions dotés de véhicules fiables et nous avions hérité des trois meilleurs mécanos du garage.