Victor on savait qu’il n’oublierait pas. Pour bien nous montrer qu’il avait pigé à qui il avait affaire, deux jours après notre retour il nous invite à la fiesta hebdomadaire de Morane ; on sait qu’on ne risque rien dans ce cadre, la moitié des chefs de sections de la milice y était systématiquement invités. Mic se réjouissait de la chose, moi moins. Ce charognard était en train de goupiller un coup tordu et on était à coup sûr les héros de la fête ! Bien entendu il n’était pas question de se défiler, il fallait y aller ! J’étais un peu méfiant, mon camarade avait l’air surexcité à l’idée d’aller dans l’antre des malfaisants, il préparait lui aussi un sale coup et je n’avais guère envie d’en payer toutes les conséquences. Ces moments étaient propices aux grandes beuveries et aux jeux les plus violents, ils se terminaient rarement sans qu’il y ait des victimes, blessures plus ou moins graves et parfois morts que l’on qualifiait d’accidentelles ou naturelles, car comme disait l’inspecteur Triquet il est naturel de mourir quand on prend un tel coup sur la tête ! Les joutes en quatre quatre était particulièrement spectaculaires et saignantes, les candidats se tenaient sur une plateforme installée en hauteur à l’arrière des Jeeps ; Ils étaient comme dans l’ancien temps, équipés de lances et de boucliers ; cela se présentait comme les joutes de la Saint-Louis dans le canal à Sète, sauf que le jouteur qui perdait n’avait pas besoin de savoir nager ! C’était un spectacle de choix et cela soulevait l’enthousiasme de cette réunion de bâtards assoiffés d’hémoglobine ! Je me tenais à l’écart, je ne voulais pas être invité à participer au massacre. Je l’avais déjà fait mais je n’étais pas assez lourd pour m’opposer aux gros cons d’en face. A chaque fois j’étais descendu plus vite que je n’étais monté et mes vols planés n’avaient pas eu de conséquences néfastes. Par contre cette andouille de Mic se pavanait devant les tribunes et apostrophait les spectateurs pour essayer d’en persuader quelques-uns de l’affronter. En fait on voyait bien où il voulait en venir quand il se décida à interpeller Victor en se foutant de sa gueule et en le traitant de vieillard ! J’avais vu ce dernier jouter à maintes reprises et jamais tomber du perchoir, il était solide et surtout il avait un sens de l’équilibre qui surpassait tout on l’aurait cru rivé à sa planche ! Sur une dernière provocation de mon ami, on vit Victor se dresser en souriant hideusement et descendre des gradins en prenant son temps. Il avait toute une équipe qui s’occupait de lui, on le préparait au combat comme on faisait pour les gladiateurs de l’ancienne Rome. Il était enfin debout sur la tintaine une lourde lance à la main armée d’un redoutable poinçon à trois pointes et un bouclier qui avait beaucoup servi. La jeep lui fit faire le tour de l’arène et il reçut les acclamations qu’il attendait. Mic était monté sur sa plateforme presque discrètement et semblait bien léger par rapport à son adversaire. Les véhicules se firent face et la musique s’éleva aussitôt, fifres et tambourins jouant un vieil air de bataille. Quand ils se croisèrent, Victor avait bien ce ntré son coup sur le bouclier de Mic, lequel n’insista pas et sauta de son perchoir. Quatre fois nous eûmes droit au même scénario, il sautait à terre sans attendre que le choc soit plus appuyé. Il remontait aussitôt. Le vieux semblait énervé et fatigué, le public était en plein délire, pour du spectacle y avait du spectacle ! Au cinquième passage, on croyait qu’allait se rejouer la même séquence et effectivement la pointe de la lance se cala sur le bouclier de Mic avant qu’il atteigne lui-même son adversaire. Mais là devant les yeux abasourdis de la foule qui retenait son souffle et ses cris, le jeune homme qu’on donnait perdant depuis le début, s’accroupit en levant le bouclier sur lequel la pointe acérée ne s’enfonçait plus et glissait vers le bord, il pointa sa lance en avant en s’étendant au maximum et planta son trident dans les couilles du vieillard, lequel avait lâché ses armes et tentait d’écarter ce dard qui le transperçait. Les véhicules ne s’étaient pas arrêtés et Mic pesait au maximum sur son arme au point qu’on la vit jaillir du cul du pauvre type ! Il tomba lourdement sur le dos en entrainant le dard qui l’avait traversé. Son adversaire leva les bras au ciel en poussant un hurlement de triomphe. Je me demandais si nous étions vraiment débarrassés de Victor et je souhaitais intensément qu’il en crevât.