J’aime les animaux, tous plus ou moins ; par exemple j’aime un peu les chevaux, pas mal les vaches, beaucoup les chiens… Je respecte les araignées et ne les tue jamais mais nous n’avons que des rapports assez éloignés ; pareil pour les serpents ; j’ai été guéri de ma phobie herpétologique au début de mon séjour au Gabon quand j’ai massacré au fusil à pompe un python de près de trois mètres qui traversait la piste sans rien demander à personne. On était dans ce pays soi-disant à la recherche de la fille de Georgia, Andréa, elle s’était cassée avec un gabonais qui avait le triple de son âge. On a atterri à Port Gentil après dix heures de vol épuisantes assis sur le sol d’un Falcon bien conservé mais dont tous les éléments de confort étaient restés à l’aéroport de départ. Mini compagnie d’une dizaine de couillons surarmés et perclus de douleurs acquises dans ce coucou de merde ; j’ignore encore aujourd’hui ce que j’étais allé faire dans cette galère : Andréa ne me plaisait qu’à moitié et me manifestait une indifférence hautaine à laquelle je n’étais pas accoutumé ; elle avait cependant un physique absolument renversant pour ses douze ans ! Entre le tarmac et les premières maisons encore intactes, on a eu le temps de voir défiler l’équivalent d’un zoo de province au vingtième siècle. C’est là que j’ai exécuté mon boa. Un vieux briscard que j’avais surnommé John Wayne parce qu’il mesurait un mètre cinquante et pesait cent vingt kilos, s’est arrêté pour me voir faire et me dire tout calmement : T’es un vrai connard, toi ! J’ai juré ce jour-là que plus jamais je ne tuerai un serpent, quel qu’il soit, et j’ai tenu parole ; même le céraste qui, quelques années plus tard, m’a mordu et a bien failli avoir ma peau, s’en est sorti sans égratignure. Pour finir le pilote nous a rejoint en vitesse, la radio venait de le prévenir de deux choses : primo on avait retrouvé la gamine dans un boxon à dix kilomètres de chez elle, son gabonais s’était fait dessouder en essayant de la vendre à un petit voyou de derrière la montagne et secundo que toute une flopée de mercenaires de ces régions équatoriales marchait vers Port- Gentil pour nous en mettre une bonne ! Le plein fait on a décollé en catastrophe ; j’ai pas bougé de mon plumard pendant douze heures après notre retour.

         J’ai un grand setter que j’adore et qui me suit partout, il est dans la voiture en permanence et me rend au centuple l’attachement que je lui porte. Mais je crois bien avoir un faible pour un autre animal rarement apprécié tant ses qualités réelles sont masquées par un défaut récurrent auquel je crois bien devoir la vie. J’explique. Nous avons depuis toujours un grand troupeau de chèvres un peu bâtardes croisement de lorraines et de poitevines qui nous fournissent en abondance lait, fromage et délicieux chevreaux que l’on cuit à la broche ! Cybelle est passionnée par cet élevage et elle a en permanence une dizaine d’élèves qu’elle forme à cet effet et qui effectuent la plupart des tâches réclamées par cet animal rustique mais exigeant. Quelques boucs forment l’essentiel des porte couilles du troupeau et n’hésitent pas à couvrir un maximum de ces demoiselles, c’est là le passetemps qui leur convient le mieux et ils s’y adonnent avec ardeur entre deux bagarres et quelques siestes réparatrices. Parmi ces gentlemen il en est un que j’ai adopté et qui me sert de partenaire pour de nombreux jeux. C’est Bibi. Ne vous y trompez pas, c’est un vrai, pas une version édulcorée du bouc de la fable. Il est courageux, intelligent, vindicatif et particulièrement vicelard. Il garde les lieux bien mieux que n’importe quel molosse et si j’étais un cambrioleur, j’irais exercer mes talents bien loin de ses cornes. Un jour il a surpris un rôdeur qui nous avait piqué quelques poules et qui partait tranquillement pour profiter de sa bonne fortune. Bibi a foncé sur lui, l’a dépassé et s’est planté devant le portail pour l’empêcher de passer. Je pense que si l’autre avait laissé quimper et était sorti de la cour les mains vides, Bibi n’aurait pas bougé. Mais l’abruti a saisi une fourche et s’est mis à menacer le bouc qui l’a évité rapidement pour lui foncer entre les jambes. Il l’a soulevé du sol par les bienheureuses et l’a laissé retomber sur le dos, l’autre s’est roulé en boulle en se tenant le service trois pièces et l’animal s’est mis à tourner autour en lui plaçant des grands coups sur toutes les parties du corps. Il a fallu que j’intervienne avant qu’il le transforme en steak tartare. Je l’ai trimballé jusqu’à l’hospitalet où ils ont mis un moment à le reconstruire ! Bibi peut être attelé à des mini sulkys avec capotes que mon grand-père avait fabriqués pour les mômes : quand c’est lui qui s’y colle c’est beaucoup plus sportif qu’avec les poneys ou les ânes que l’on utilise habituellement. Les mômes adorent ces rodéos. Moi je m’entraîne à la cogne avec ces boucliers rembourrés dont on se sert pour la boxe et le rugby. Y a intérêt à faire gaffe car ce salopard essaye de taper par-dessus ou par-dessous pour chopper le visage ou les cannes ! On peut passer des heures à rigoler avec ce cogneur ! Je ne crois pas qu’un seul jour passé dans la vieille maison ne me donne l’occasion de rencontrer Bibi et d’échanger avec lui, des paroles et des gnons ! Et puis ce matin je trouve qu’il a changé, je lui tourne autour pour savoir ce qui ne va pas, je m’inquiète, serait-il malade ? J’interroge Cybelle et les filles qui me disent n’avoir rien remarqué ; l’animal effectivement semble avoir son comportement habituel actif et grognon. Je m’interroge de plus en plus intensément, que se passe-t-il ? En fait je finis par comprendre, tout est normal chez lui, c’est chez moi que ça déconne ! Si vous avez déjà côtoyé un bouc et dans une moindre mesure une chèvre vous avez dû remarquer la caractéristique principale de ces braves bêtes : ça pue que ça empoisonne ! Chez le bouc, ça suinte un max et dégage en particuliers des phéromones-like ce qui attire les chèvres et refoule les narines sensibles. Je ne sens plus rien ! Au petit déjeuner déjà je trouvais insipides mes œufs-saucisses-lard gras. Plus de goût, plus d’odorat, tu sais ce que cela signifie mon brave ! J’ai choppé le virus et j’ai une chance de m’en sortir si je m’y prends dès maintenant, il ne me reste plus qu’à préparer la piaule et à commencer le pauvre traitement mis en place par quelques docteurs Miracles. Ensuite ce sera à la grâce de qui vous voulez, priez pour moi, moi je ne sais pas faire !