Le Grand Meaulnes

Je ne suis pas fait pour la grande aventure amoureuse. Mes désirs sont calmes et mes envies raisonnables. Toute la fougue du jeune homme est en moi mais ne me domine pas. Si je me compare avec mes camarades, je n’ai pas envie d’être un deuxième Jasmin Delouches, qui n’hésitait pas à exhiber ses avantages déployés devant nous en proférant des horreurs sur les gamines du cours complémentaire et sur Gilberte Poquelin en particulier. Malheureusement pour lui, ces soi-disant victimes de ses appétits savaient se refuser et il n’était jamais allé plus loin qu’un baiser mal appliqué et quelques attouchements récompensés par des gifles retentissantes ! Je sais de première main que Gilberte était capable de se défendre avec succès contre les initiatives d’un garçon assez faiblement bâti et maladroit dans les luttes. Jasmin était très sollicité par ses sens et manifestait les symptômes d’une sensualité permanente et exigeante. Si je n’avais pas surpris son secret, je n’aurais pas compris pourquoi il traversait des moments de tranquillité qui juraient avec son quotidien fait de tension irrépressible. Nous étions une petite bande qui comprenait en plus de nous deux, Cottin et ce lourdaud de Boujardon.

Le cinquième était le fils de l’adjoint. Il s’appelait Denis et était d’humeur très douce, féminine. Il avait un physique diaphane et une voix de soprano qui faisait si on n’y prenait garde penser à une jeune fille. Il était glabre et aucune ombre ne soulignait sa lèvre supérieure. Il recherchait régulièrement ma compagnie et sa douceur et son intelligence me plaisaient beaucoup, il me semblait souvent être en présence d’une jeune femme quand nous devisions en étude ou en promenade. Quand nous nous dévêtions pour passer nos maillots avant la baignade, nous étions assez fiers de présenter nos villosités : pubis velus et aisselles garnies faisaient l’admiration muette de Denis. Il était absolument dépourvu de poils, mais marquait par une légère tension qui tendait à dresser son membre long et pale qu’il appréciait particulièrement le spectacle de ces petits mâles innocemment impudiques.

A la troisième sortie, tous étaient dans l’eau et profitaient de la douceur de l’été et de la fraîcheur de l’eau quand il me vint à l’idée que Jasmin n’était pas avec nous, ni Denis d’ailleurs. Je me méfiais de Jasmin qui à plusieurs reprises avait brutalisé notre ami trop faible pour se défendre ; sans aller jusqu’aux coups il était volontiers insultant et brusque dans ses gestes. Je pénétrais dans la saulaie à leur recherche. Après coup je me suis rendu compte que je venais chercher une preuve de l’ambiguïté de leurs rapports. Je débouchais dans la petite clairière où s’offrit à ma vue un spectacle que n’aurait pas renié le dieu Pan : Denis s’était penché sur le tronc d’un petit saule dégarni qu’il serrait de ses deux mains, son partenaire se collait frénétiquement à son dos en lui donnant des coups de butoir violents et rythmés. Nus tous deux ils haletaient en proie à une jouissance intense. Le contraste entre ce corps harmonieux au membre dressé d’une pâleur délicate et l’académie simiesque et sombre qui l’assaillait était d’une violence inouïe. Il le tenait par la poitrine en pétrissant ses tétons et lui baisait la nuque en gémissant doucement. Je restais caché dans le bosquet et assistais au final. Denis râlait en émettant une abondante et floconneuse pluie de liquide séminal et sur son dos le membre sombre durci et luisant entre les fesses trempées, Jasmin finissait de jouir en grognant comme un porc lubrique. Au beau milieu de ce déchaînement amoureux, Denis tourna vers moi son visage inondé de bonheur et me fit un sourire plein de délicatesse. Je regagnais rapidement les rives du Cher en me jurant de garder pour moi ce à quoi je venais d’assister…

…La scène m’avait profondément ému et si je n’avais aucun goût pour les mâles, Denis m’avait séduit par sa féminité exacerbée. Je suis parti en avant précédent le groupe dont je ne souhaitais pas la compagnie. Je fis un détour par chez les Poquelin pensant rejoindre Gilberte qui devait être seule à cette heure de la journée. Un mot sur cette personne pour laquelle j’éprouvais les sentiments les plus tendres. Agée de huit ans, elle avait été forcée par son oncle qui sortait d’une adolescence agitée. C’était un voyou sans foi ni loi qui devait finir tragiquement, abattu par des miliciens qui le chassaient après qu’il eût assassiné toute une famille du comté de Sénice. Un matin il avait coincé la gamine qui dormait encore et en l’étranglant à moitié l’avait pénétrée à plusieurs reprises déchirant son sexe et son anus et la laissant ensanglantée et sans connaissance. Elle avait mis des jours à se remettre et avait profondément changé à la sortie du dispensaire. Le malfaisant avait prudemment disparu du village où on ne le revit jamais plus. La petite poursuivit son adolescence sans manifester ni rancœur ni regret, elle regrettait seulement d’avoir perdu la possibilité d’être mère un jour. Dès qu’elle fut remise de ses douleurs et qu’elle retrouva sa liberté d’action elle se livra au commerce du sexe pour qui voulait bien la gratifier de quelques subsides. Avec discrétion et constance elle vendait ses charmes qui s’affirmaient à ceux qui voulaient une aventure sans risque et relativement peu onéreuse. Le corps de Gilberte était à la portée des moins riches et si personne n’en parlait tous savaient que dans le village se cachait une merveille qui soulageait les moins bien gâtés par la nature ou les hommes que leurs sens entraînaient à des excès dont leur épouse ou leur amie ne pouvait se charger. Je voyais Gilberte de temps à autre quand mon humeur exigeait un soulagement sans retard. C’était bien le cas aujourd’hui où le spectacle que m’avaient offert mes camarades m’avait rempli de troubles désirs. Comme de coutume elle m’accueillit avec joie faisant passer son habit léger par-dessus sa tête en tombant dans mes bras. Elle eut le temps de me dénuder en partie et je la pris avec hâte et me libérais presque immédiatement. Puis sans baisser ma garde je m’appliquais à lui donner le plaisir auquel elle était accoutumée et qui venait vite envahir ses sens. Epuisés nous nous endormîmes en sueur et serrés l’un contre l’autre, heureux…

…Je n’ai guère eu d’aventures amoureuses sortant de mon ordinaire de jeune homme sans originalité ni vice particulier. Je l’ai dit je ne suis pas attiré par les amours entre garçons, je préfère les rapports les plus classiques entre homme et femme, même si je conçois que pour certains il n’y a rien de plus ennuyant. Pourtant deux faits méritent d’être relatés qui émaillent mon parcours de façon inhabituelle. Nous dormions dans le grenier de l’école et comme l’isolation des lieux était défectueuse, nous avions froid en hiver et transpirions en été. Un matin d’août le soleil à peine levé accablait le lieu d’une touffeur écrasante. J’étais seul, Meaulnes étant en visite chez sa mère. Nu sur les couvertures je dormais encore très profondément de ce sommeil accablant dont je ne sortais qu’avec peine en un long moment de demi-songe où je ne savais pas si j’étais encore dans le rêve ou la réalité. J’avais dix ans. Mon institutrice de cours complémentaire était en plein travail sur mon membre qu’elle broutait comme une chèvre le chardon ! Mademoiselle Pistone, italienne un peu velue d’origine, n’avait rien pour induire le désir, mais comme elle était à l’époque la seule représentante de ce sexe encore assez jeune et bien formée, elle présidait le plus souvent à mes manipulations solitaires d’adolescent. Là elle me tétait de façon fort savante et je me réveillais en pleine satisfaction pensant projeter sur mon corps dénudé cette liqueur brûlante qui sourdait de moi. Je sortis du sommeil en trouvant sur mon ventre un visage tendre et doux qui me contemplait avec adoration. Il me fallut un temps infini avant de reconnaître Denis qui me souriait en me disant des mots câlins et vibrant de désir. Je me redressais brutalement et me tins au-dessus de lui prêt à le frapper. Il fermait les yeux en attendant les coups. Il savait qu’il était en tort, coupable de m’avoir poussé dans des recoins où je me refusais à aller. Il m’avait piégé et il comptait sur une vengeance qu’il acceptait d’avance. Je passais mon caleçon et respirait profondément en le regardant. Il avait compris qu’il échappait à un châtiment mérité et qu’il regrettait peut-être. Il était nu abandonné sur mon lit le sexe à demi dressé et quelques traces de mon plaisir encore semées sur ses joues et ses lèvres. Les yeux brillants il était au bord des larmes. Je le mis debout et l’aidait à se rhabiller, il se pressait contre moi comme un poney qu’on selle il me serrait dans ses bras en pleurant. Je ne voulais pas le brutaliser mais tout cela ne me plaisait guère. Nous n’avons pas échangé un mot et je l’ai mis à la porte sans plus tarder…

…Il n’y eut qu’un épisode un peu tendancieux entre le grand Meaulnes et moi et encore on doit le voir comme un échange amical et viril plus que comme un moment d’obscénité partagée. C’était le même été un peu plus tard. Au milieu de la nuit, à la lueur d’une pleine lune qui éclairait le grenier comme un jour gris d’automne. Nous nous étions endormis sous un drap fin qui avait glissé et nous étions à présent nus sur les lits humides de transpiration. Je ne dormais plus, la lune me fait ça, j’avais les yeux ouverts et je me tournais vers mon camarade qui lui semblait profondément assoupi. Nous nous étions déjà déshabillés ensemble et connaissions nos corps par cœur. Celui d’Augustin était quasiment parfait. Il avait des muscles harmonieusement répartis et tout en longueur, aucune de ces boulles tendineuses qui déformaient souvent le corps des athlètes. Il avait un pénis long au gland largement découvert et entouré d’un duvet blond et moussu qu’on retrouvait sur ses fesses parfaites et délicatement creusées, quand il se tournait pour cacher en partie cette nudité qu’il n’aimait pas exhiber. Il se dénudait avec naturel et sans ostentation. Moi j’étais un peu plus pudique et me cachais le plus possible en me dévêtant. Cette nuit il était allongé sur le dos et son membre était érigé triomphalement. La lueur jouait sur son corps et son sexe flambait de désir, la tête en était incarnate et la hampe sombre et grenue semblait pleine à éclater. Son rêve devait être torride et pressant car il se saisit de la main droite et commença doucement à la faire aller et venir, recouvrant et découvrant la cime qui rougissait et durcissait en cadence. Je me levais et m’approchais pour mieux voir. Sans m’en rendre compte ma main s’empara de ma verge et je commençais à exécuter en rythme avec lui une sorte de danse rituelle. Je me sentais sauvage et prêt à éclater. Nous avons eu ensemble notre plaisir, je recueillais dans un mouchoir l’averse un peu collante, lui déversa le flot sur son ventre creusé. Il émit largement le double de substance que j’avais répandue. Il me regardait à présent, l’œil goguenard et complice. Je lui prêtais mon mouchoir et retournais au lit. Jamais nous ne fîmes allusion à ce qui s’était passé cette nuit-là et notre amitié demeura intacte et sans tache.