Il nous avait sauvé la mise et en théorie j’aurais dû lui en savoir gré, comme Mic qui ne tarissait pas d’éloges quand il parlait de lui. Pour moi, cependant, je l’avais toujours en travers ! Ce mec me plaisait de moins en moins. Patiemment j’attendais la suite. En fait il prit de plus en plus d’importance dans le groupe et ne tarda pas à nous rejoindre à la tête du commandement, son influence grandissait et il finit par me remplacer peu ou prou aux côtés de Mic. Moi je m’en tapais, peu attaché à un pouvoir assez illusoire et qui était fait d’un tas d’obligations et de responsabilités qui me pesaient de plus en plus. Je retrouvais une liberté de mouvements et de pensée qui, je m’en rendais compte à présent, était essentielle à mon bien être et à mon goût de la vie. Je renouais avec l’insouciance de ma prime jeunesse et j’en était vraiment ravi.

Comme il séduisait tout le monde et qu’il avait un succès effarant avec les nanas j’aurais dû me préparer à être victime de ses manigances. Or je fus le premier surpris quand je me rendis compte que Kimiko était plus qu’attirée par le phénomène ! Je l’ai déjà dit, la profusion de filles disponibles et la facilité d’y accéder avaient fait disparaître la vieille jalousie de nos ancêtres qui avait seulement survécu sur le plan littéraire et artistique ; c’était une vieillerie attendrissante, surannée, et qu’on avait de plus en plus de mal à comprendre. En fait c’était même un de mes motifs de rigolade préféré et l’objet de plaisanteries un peu éculées mais qui nous faisaient marrer quand même. En fait c’est la déception qui m’envahit à cette nouvelle que Mic se fit une joie de m’annoncer ! Je la pensais plus maline et incapable de succomber à ce qui n’aurait pas dû être une tentation pour une fille aussi fine et intelligente. Cela dit, je mis mes ressentiments de côté et enfermais immédiatement Kimiko dans l’oubli avec toutes celles qui l’avaient précédées ; je gardais pour elles et pour elle une certaine tendresse un peu désincarnée, l’odeur fanée des jolis souvenirs. Mais dans cette démarche j’avais oublié une chose : Kimiko était réputée m’être librement réservée, on ne touchait pas à la femme d’un autre avant qu’elle ne se libère elle-même de façon quasi officielle et publique. Marshall avait délibérément violé cette règle qui pour être non écrite était respectée de tous. Il ne faisait rien pour rien et il y avait derrière ça une volonté affirmée d’affrontement. Toutefois je me trouvais démuni face à une situation inédite et Kimiko était la première fautive en l’occurrence. Je pouvais faire fi de tout ça et opposer une indifférence que je ressentais par ailleurs mais je risquais de perdre la face et de me voir ostracisé par l’ensemble de nos camarades. Bref j’étais drôlement emmerdé. Mic, lui, était au comble du bonheur il adorait les conflits et était très excité à l’idée que je me trouvais dans une impasse, sans réponses à toutes les questions que soulevait la situation ; d’autre part il n’avait pas encore oublié notre complicité passée et n’était pas prêt à passer complètement dans le camp Marshall. Surtout, s’il était à moitié cinglé, il était resté très réfléchi et traitait encore les choses intelligemment ; il sentait bien que Marshall, s’il se débarrassait de moi à qui s’attaquerait-il ensuite ? Mais les choses se sont précipitées et ont permis à tous de découvrir la vraie nature de ce saligaud. Minuit, j’étais chez moi, énervé et perplexe face à cette merde qui m’était tombée sur la gueule, je voulais agir mais dans quel sens le faire ? Je ne pouvais m’attaquer à lui s’il ne se montrait pas directement menaçant et d’autre part l’opinion la mieux partagée mettait tous les torts sur le dos de la fille, la première à violer la règle ! Quand on parle du loup…les lampes extérieures s’étaient toutes allumées en même temps, on arrivait par le sentier en marchant. Quand elle s’est approchée, en gémissant, j’ai failli pas la reconnaître, elle était à moitié dénudée par les gnons qu’elle avait reçus, manifestement fustigée ou rouée de coups la mâchoire de traviole, les yeux fermés et sanguinolents, l’oreille gauche à moitié arrachée ; ses bras et ses mains l’avaient mal protégée, ils étaient couverts de bleus et d’entailles, deux doigts au moins avaient l’air cassés. Quand elle m’a aperçu, elle s’est mise à hurler, elle n’arrivait pas à parler. Comme un con, j’osais pas la toucher, heureusement Cybelle qui n’était pas encore couchée est arrivée pour prendre les choses en main ; elle a appelé son mari et tous deux ont entrainé Kimiko dans le labo où ils la déshabillèrent et la plongèrent dans un bain d’eau tiède rempli de produits normalement destinés aux cadavres ; ils m’ont expliqué que le résultat était aussi efficace sur des corps en vie et effectivement la blessée se calma tout de suite et on me mit à la porte pour s’occuper de celle qui en avait besoin. Je me suis servi un Jack Daniels raisonnable et je pris le téléphone pour appeler Mic.