Mic voulait partir à l’assaut dès que possible ; bien entendu on savait à peu près où se terraient nos adversaires et on pouvait espérer les coincer au fond de la vallée ; même sans jouer sur l’effet de surprise, nous étions suffisamment nombreux pour les déborder et régler l’affaire en deux coups les gros. Mais moi, une fois de plus je n’étais pas d’accord. Tout cela puait le piège à plein nez : pourquoi cet accrochage avec deux pelés et trois tondus qui tiraient comme des magagnes ? Pourquoi se laisser repérer dans ce cul de sac ? Pourquoi ne pas avoir continué leur fuite devant nous en silence et sans laisser de trace ? Trop facile ! Comme disait mon oncle : Ya du pied dans la godasse ! J’étais d’accord pour livrer un assaut final mais pas en jouant la partition de Marshall. Il fallait trouver autre chose. Et moi j’avais trouvé ; ne restait plus qu’à convaincre Mic de la justesse de mes conclusions et d’adopter ce que je pensais être la meilleure stratégie. J’étais sûr qu’ils nous laisseraient avancer vers eux jusqu’à un certain point à déterminer. Il devait y avoir dans notre trajectoire un moment propice à leur attaque, un lieu qui leur permettrait de prendre le dessus même en infériorité numérique. Il existait une vieille carte d’état-major suffisamment précise pour identifier cet endroit. Une étude un peu fouillée nous permit de découvrir que le sentier se rétrécissait sur une centaine de mètres où une troupe importante serait contrainte de progresser à la queue leu leu, entre deux parois verticales et impraticables. Comme un double entonnoir qui débouchait sur un terrain découvert qui s’élargissait progressivement jusqu’à reprendre les dimensions de la plaine entière ! Voilà où ils espéraient nous surprendre ! Si on s’engouffrait là-dedans on allait se faire flinguer comme des lapins, à l’aller comme au retour. Ils n’avaient qu’à attendre que notre troupe ait franchi l’entonnoir pour se croire à la fête foraine ! Une dizaine de mecs pouvaient se poster au-dessus du passage et le boucher, au moins en partie, avec des rochers balancés de là-haut. Le gros des ennemis se tiendraient dans la plaine pour viser ceux qui sortaient du défilé. La stratégie à opposer coulait de source à partir du moment où on connaissait leur projet. J’étais sûr de moi et j’avais raison.

         Par radio je demandais à Jean Bernard de situer exactement les gus qui devaient surplomber le sentier. La colline étant facile à gravir, on est arrivés derrière eux sans crier gare. Ils étaient peu nombreux, on leur est tombé dessus en silence ; arbalètes et modérateurs de son : tous par terre ! Un dispositif ingénieux d’explosifs devait expédier les rochers dans la pente et obturer le chemin. J’avais pris la tête du petit commando qui se répartit au-dessus du passage ; je restais près des engins pour attendre le moment propice à la manœuvre. On devait me prévenir avec la radio. La plaine ne formait pas un cul de sac étanche, l’ensemble de l’armée était parvenu en marchant de nuit à franchir les collines qui l’entouraient et nos troupes étaient maintenant dans le dos des soudards. Jean Bernard n’avait pas perdu de temps et donné à Mic la position de l’ensemble des reitres d’en face qui s’étaient alignés comme à la parade. Marshall avait eu le temps de recruter, ils étaient une bonne centaine, répartis à portée de l’ouverture du petit canyon ; bien armés mais en guenilles, tu parles de soldats d’élite ! Qui à genoux ou accroupis, qui debout, fusils et carabines déjà prêts à l’action ! Notre armée en furie leur est tombée sur le râble en hurlant et en mitraillant à l’envie ! La suite est délectable, tout a marché comme je l’avais prévu. Pratiquement sans riposter ils se sont précipités comme un seul homme dans le piège : averti à ce moment-là, je déclenchais les mises à feu et les explosifs firent leur œuvre, des tonnes de rochers se détachèrent de la pente pour venir interdire la sortie du boyau ! Ces pauvres connards étaient complètement à la merci des carabines de mes compagnons qui ne se firent pas faute d’organiser un bel abattoir ! Ceux qui comprenant que le ciel leur tombait sur la tête voulurent repartir d’où ils venaient furent reçu par la joyeuse fusillades des hommes de Mic. Les pauvres types se rendirent en jetant leurs armes et en levant les bras vers un ciel qui les avait abandonnés. J’ordonnais le cessez le feu immédiat. Mic qui s’amusait bien finit par faire comme moi. Je pensais que faire des morts ou des blessés ne servirait pas à grand-chose et je m’intéressais aux prisonniers. Les plus vieux, les plus esquintés furent mis à part ; on les chargea de s’occuper des cadavres qu’ils entassèrent dans des bétaillères qui les avaient transportés jusque-là et ils disparurent sans demander leur reste. Il restait une trentaine de bonshommes : je sélectionnais une bonne dizaine d’abrutis et leur demandais de se casser à leur tour avant que Mic qui regrettait le départ des autres, décide tout à coup de ne plus faire de prisonniers. Les vingt qui restaient offraient sûrement des perspectives de recrutement. Je les interrogeais rapidement et m’aperçus très vite qu’il y en avait deux ou trois moins cons que les autres qui pourraient facilement faire office de supplétifs et encadrer les autres. Celui qui me parus le plus intelligent, Jil, nous raconta par le menu la petite histoire de la bande et nous expliqua que Marshall qui surveillait les opérations à distance avait dû profiter de l’escarmouche pour aller garer ses burnes un peu plus loin. Une fois de plus je constatais qu’il nous avait devancés dans la réflexion et je me sentis d’un seul coup moins malin !