J’étais dans une période marmotte je pouvais passer des nuits de onze ou douze heures sans même aller pisser. Sommeil paisible sans adjuvants. J’étais du style buveur d’eau, l’alcool ne m’apportant guère de satisfactions en dehors du goût de certains vins ou de certaines eaux de vie dont j’usais modérément ; contrairement à mes camarades qui pouvaient dès leur jeune âge picoler en professionnels. Mic était, je crois, à l’aube d’une carrière d’alcoolique épanoui. Il buvait du gin au goulot, ce qui n’arrangeait pas son comportement. Cela dit je m’en tapais complètement, j’étais pas son foie !

         Si j’avais le sommeil tranquille je pouvais être réveillé par le vacarme d’une plume qui heurterait le plancher. Pourtant cette nuit-là rien ne m’avertit avant de sentir sur ma joue la caresse d’un guidon de révolver et d’entendre un ricanement en sourdine : Tu te lèves sans faire de boucan ou tu vas chercher ta gueule sur le mur d’en face. Je sais toujours quand il faut obéir à une demande aussi joliment formulée ! Il m’a fait traverser la piaule en slibard, en sortant l’air était frisquet. Il avait laissé son carrosse assez loin de la baraque et quand je me suis installé sur le siège en skaï j’étais frigo-frigo ! Décidément je n’avais pas fait fort en recrutant ce connard de Jil, je ne pensais pas que Marshall avait assez de force d’âme pour développer une quelconque loyauté chez ses sous-fifres ! Je me préparais à argumenter : Il n’avait rien à gagner dans cette aventure, se mettre Mic en travers pour rendre service à une planche pourrie, ce n’était pas malin. Il était en train de choisir le camp le plus faible et sortirait sûrement perdant de l’histoire. Pourquoi s’emparer de ma modeste carcasse ? Si c’était pour faire pression sur le chef, c’était raté d’avance, il ne lèverait pas le petit doigt pour me sortir le cul des ronces. De toute façon on ne pouvait faire confiance à Marshall, passé maître dans l’art de laisser ses copains dans la bouse pour s’en sortir les fesses propres. Jil me laissait parler sans en casser une, il n’écoutait qu’à moitié. Quand je m’arrêtais pour respirer un coup : C’est toi qui perds ton temps, je suis le cousin du susdit et je sais ce que je fais… Lassé de perdre mon temps en bavardage, je me saisis d’une vieille couvrante qui traînait sur la banquette, m’installais comme pour pioncer et me mis à gamberger sur la situation. J’étais relativement reposé et en pleine possession de mes moyens, alors que mon ravisseur avait dû passer la nuit à guetter. Il se tenait à bonne distance et me braquait en permanence, il finirait par fatiguer. Vu la direction prise j’étais à peu près sûr de savoir où nous allions : à deux heures de là, il y avait une société de voyous sans organisation qui se regroupaient dans le vieux prieuré de Bouluc. Je voyais bien l’autre salopard se mettre à leur tête en leur promettant la lune. Je savais que dans le nombre de ceux que nous avions recrutés il y en avait qui venaient de ce coin-là. Il avait déjà dû les embobiner et essayer de mettre un peu d’ordre dans leur bordel. Je lui souhaitais bien du courage ! En attendant il fallait que je me tire de ce guêpier pour retourner chez nous et utiliser la somme d’infos que j’avais dès maintenant à ma disposition. Fallait pas trop tarder le prieuré était à deux pas. Je faisais semblant de roupiller en guettant du coin de l’œil le lascar qui jouait les sioux en continuant à me menacer de sa pétoire. Il avait un vieux Smith en 38 Spécial qui avait beaucoup servi. L’avantage du révolver quand on est dans ma situation, c’est qu’il est plus facile à neutraliser quand on s’en empare qu’un automatique dont le mécanisme est entièrement caréné. La bagnole était une vieille Renault Clio relativement étroite, tendant le bras j’étais largement au contact du conducteur. Devais pas me louper, il y avait un tas d’éléments qui jouaient en ma faveur : il était fatigué j’étais en plein boum, il devait tenir le volant fermement et se servir de sa main faible pour le soufflant, il devait penser que je dormais, et surtout il avait armé le révolver dont le chien était relevé, à mon avis c’était une connerie. Tout a fonctionné comme je l’avais prévu : ma main est partie comme une balle pour se loger en arrière de la carcasse, il pressa la détente et le bec du chien s’enfonça profondément entre mon pouce et mon index, de la main gauche j’avais saisi le volant que je braquais à fond, en me poussant avec les jambes je lui collais le coup de boule du siècle ! On était sur une route étroite bordée de vieux platanes, la Clio en choisit un qu’elle se chargea d’embrasser, je faillis passer à travers le pare-brise mais je tenais bon des deux mains, lui s’est mangé le volant qui dut lui péter le sternum ; quand la bagnole s’est arrêtée il respirait vraiment mal. Je pus m’emparer du flingue et lui en collait une entre les deux yeux, je pouvais pas le laisser souffrir ! J’avais mal partout et saignais abondamment de la main mais j’étais assez content de moi !