Quand je suis sorti de la caisse en accordéon, j’ai perçu au loin comme une rumeur et des démarrages d’engins : je savais que mon petit cirque avait réveillé quelques malfaisants et qu’il était temps de garer ses joyeuses, nos amis allaient se pointer. J’avais le choix, soit je faisais demi-tour et je me retrouvais avec la chasse à courre dans le dos, très vite rejoint par les bagnoles. Je pouvais tout aussi bien partir à droite ou à gauche, avec le risque d’être pisté par les malotrus : la terre était meuble de part et d’autre de la route et je laisserais un boulevard qu’ils n’auraient qu’à suivre pour me rejoindre à pied, à cheval ou en brouette ! En fait je n’avais qu’une solution et j’espérais qu’ils ne tiendraient pas le même raisonnement que moi. Je me mis en route immédiatement dans la direction du prieuré, j’allais les croiser et c’était à moi d’exploiter le léger avantage que ça devait me donner. D’abord je les verrais arriver de loin, les phares et les bruits de moteurs. Les couverts du bord de piste étaient largement suffisants pour cacher le bonhomme : un bond et on ne pouvait deviner ma présence ! Je les savais suffisamment cons pour prendre n’importe quels véhicules et dans la précipitation j’étais sûr qu’il y aurait quelques ennuis mécaniques et des retardataires qui allaient m’offrir sur un plateau de quoi me déplacer sans fatigue. J’avais encore le 38 dans la main et je me sentais capable de leur jouer quelque tour dont ils se souviendraient. Les premiers ne tardèrent guère à se pointer et ils passèrent devant mon abri improvisé comme des fusées. Au milieu du silence qui suivit je perçus les toussotements caractéristiques d’un camion entretenu par le garage Branleurs et fils ! Lui est passé comme un fantôme cacochyme il devait bien taper le vingt à l’heure ! Tout cela ne m’intéressait guère et j’étais résolu à aller jusqu’à la base pour piquer un trast quelconque susceptible de me ramener chez moi. Je marchais bien un kilomètre de plus. C’est en général dans ces moments-là que le grand coup de bol te fait la surprise. Une Range presque neuve était arrêtée au milieu de la route et je voyais distinctement les deux étourdis en train de s’agiter en pleine lumière : ils avaient installé des projos pour bosser sur l’engin qui souffrait d’une simple crevaison. Y en avait un qui marnait à remonter la roue de secours, l’autre le regardait faire, n’attendant que le coup sur la tronche dont il se réveillerait peut-être, mais je n’avais pas l’intention de rester pour voir ça. J’y mis toute mon énergie et ça a fait un drôle de clock dans la nuit silencieuse et étoilée. Qu’esse y a ? Il avait fini de remonter sa roue et s’apprêtait sagement à poser l’enjoliveur ; Je lui ai collé la même dose et je les ai alignés dans le fossé pour ne pas dénaturer le paysage. Le Range était en parfait état, ils avaient dû piquer ça à un soigneux qui du coup me rendit un fier service. Je connaissais le coin par cœur, une petite bifurcation me permit de contourner le prieuré sans alerter les quelques nouilles qui étaient restés là et je ne mis guère de temps à reprendre la route inverse et à rejoindre mes pénates et mon paternel séjour. De retour je m’aperçus qu’on me cherchait partout et je dus m’expliquer avec Mic qui croyait déjà à coup vicieux de ma part ! Merde alors ! Et vous croyez qu’en apprenant la vérité il s’est excusé ? Mon cul oui ! Il s’est une fois de plus contenté de se bidonner, le salopard !