J’étais décidé à affronter Marshall malgré sa supériorité évidente. Je n’avais pour moi, peut-être, que ma facilité à découvrir les faiblesses des autres et à les exploiter sans ménagements. Aux coups de vice j’étais loin d’être à la traîne face à un adversaire qui en connaissait un rayon dans ces domaines et qui était sûr de lui dans toutes les circonstances. C’était d’ailleurs cet aspect de mon ennemi que je comptais exploiter. Je l’avais vu se battre à de multiples reprises et à chaque fois il dominait son adversaire sur le plan physique et ne comptait que sur sa force pour le plier. Il n’avait nul besoin de ruser et sa technique était celle de l’éléphant face au lion, il écrasait, déchirait, piétinait, la différence de poids faisait tout. Il recevait des coups qu’il se gardait d’esquiver et encaissait tout comme un vieux boxeur face à des débutants. Il s’en sortait avec quelques blessures superficielles qu’il exposait comme des médailles. Même les lames les plus effilées, affutées comme des rasoirs et les lances les plus pointues, les piques les plus acérées et maniées par des experts n’étaient jamais venues à bout de ce bulldozer surexcité. Je l’ai vu casser deux zigotos en deux alors qu’il avait un bras traversé par une dague et le flanc percé par un pilum à l’ancienne ! A la lutte, je ne pense pas qu’il avait de rivaux, il vous retournait un bras ou vous déboitait un genou avant de vous briser les reins et de vous exploser le bide la main ouverte. Je l’ai vu étriper vivante une amazone qui le surclassait en taille et en poids : les doigts tendus il lui avait percé l’estomac et tiré toute la tripaille sur le sol elle hurlait et battait des bras comme un hélicoptère pendant qu’il lui piétinait le foie et le gros colon. Et toujours ce rire homérique qui lui rejetait la tête en arrière et qui ne s’éteignait qu’à la fin des combats, ces barrissements de joie cruelle devant le sang des vaincus qu’il accompagnait de chants guerriers plus que centenaires poussés d’une voix de basse profonde, comme certains chantaient dans les églises ! Vous l’avez pigé, même si j’étais prêt à l’affronter sur le champ, ce mec me foutait une trouille bleuâtre !

         J’avais donc décidé d’y aller et j’en faisais part à ce vieux Mic qui n’était pas du tout d’accord : c’était à lui de s’y coller, moi j’allais me faire détailler façon steak comme à la boucherie ! J’étais lourd et lent et bien moins costaud que l’autre con. Mon camarade se disait sûr de son affaire, le raging bull ne tiendrait pas dix minutes face à lui : quand il en aurait terminé on pourrait faire des blagues à tabac avec la peau de ses roustons. Il lui mettrait de force un jéroboam dans le trou du cul et boirait le champagne par les autres orifices ! (J’aurais aimé voir ça). On offrirait sa charogne aux vautours et aux porcs en espérant que ça ne les empoisonne pas et on le clouerait dépecé sur la porte de la vieille église pour éloigner les goules et les succubes qui traînaient parait-il dans le coin ! Le programme était vaste et je n’arrêtais pas de me marrer en écoutant les conneries du copain. Il aurait déliré comme ça toute la nuit s’il n’avait pas décidé d’aller annoncer la nouvelle à Arnaud : c’est lui qui affronterait le vilain, moi je me contenterais de regarder et d’applaudir. Comme je ne pouvais pas laisser faire ça, je tentais de me lever pour l’empêcher de partir. Il me regardait rigolard, comme quand il avait fait une mauvaise plaisanterie et qu’il en observait les effets pour en goûter tout le suc. J’avais le cul collé au siège, les yeux qui commençaient à se fermer je me sentais tout mou et je compris seulement là qu’il m’avait foutu un mickey finn dans la limonade et que j’allais en avoir pour des heures à sortir du coaltar, l’hydrate de chloral ça ne pardonne pas !