Le combat était prévu pour le mardi matin au lever du jour, nous étions dimanche et Mic qui avait officialisé sa participation, continuait à picoler comme si rien ne le gênait aux entournures ; on ne pouvait pas revenir en arrière et me titulariser pour cet affrontement ; on en passerait par là où il voulait qu’on passe et bizarrement il avait exigé un certain nombre de contraintes qui selon lui devaient rendre le combat vraiment intéressant : ils seraient complètement à poils(!), ils n’auraient pas d’arme à feu ni de couteau, un simple bâton de trente centimètres en buis durci, ils auraient le droit de se badigeonner avec tous les produits imaginables : huiles, graisses, bouses, purins divers ou rien du tout…, le pugilat ne s’arrêterait qu’avec la mort d’un adversaire ou des deux. Pas de découpage en rounds, on irait jusqu’à la fin d’un seul élan. Tous les coups étaient permis de la morsure aux couilles jusqu’à l’étouffement avec le rectum ! Tout ça promettait large ! L’autre avait tout accepté sans discuter ; à mon avis il avait tort ! Mon camarade lui avait préparé de l’imparable et du vicieux, il ne le connaissait pas comme moi, je prévoyais de l’inédit, du saignant, mais jusque-là je pigeais pas ou il voulait en venir. Le lundi soir il s’arrêta de biberonner et s’enferma chez lui avec Dragul, le compagnon de ma sœur, voilà qui promettait de la franche rigolade ! C’était le meilleur des beaufs avec moi mais je ne crois pas qu’un seul rigolo ait pu lui manquer et survivre plus d’une journée. Il ne se contentait pas d’embaumer les cadavres, il en fabriquait aussi ! Impossible de savoir ce qu’ils foutaient derrière cette porte obstinément fermée et terriblement frustrante à regarder !

La lice où devait se dérouler l’action était à proximité et de là où nous étions je voyais à la fois la baraque de Mic et l’espèce de stand où devait se tenir son adversaire avant la bataille. La milice entourait complètement le périmètre, Arnaud se tenait à côté de moi, il voulait que tout se passe sans heurt avec la foule d’excités qui se massaient tout autour. Au moment où Marshall se pointait couvert d’une vaste cape et suivi par un paquet de corniauds, la porte de la maison s’ouvrit brutalement et Dragul sortit le premier en tirant une sorte de chariot recouvert d’une grande bâche qui masquait notre héros soucieux de ménager le suspense ou la pudeur du public ! Face à face ils n’avaient pas encore exhibé leurs muscles, ce fut Mic qui inaugura la présentation il se glissa souplement sous la bâche et se présenta aux spectateurs dans toute sa majesté : il était couvert d’une sorte de graisse épaisse, marronnasse et assez malodorante ; ça avait la couleur et l’odeur mais impossible d’identifier précisément la substance. Son adversaire avait fait plus simple il se dénuda et arracha quelques gloussements ravis chez les groupies qui le suivaient habituellement. Il est vrai qu’il était remarquablement musclé et de dimensions flatteuses pour ce que convoitaient les donzelles. Il faisait un peu plus d’effet que la maigre statue merdeuse qui se tenait devant lui ! On leur fit choisir les bâtons parmi une dizaine de spécimens que je pensais identiques. Tandis que mon ami passait un temps fou à choisir, hochant la tête secouant ses épaules, prenant et reposant les objets comme si cela avait une importance quelconque, son concurrent prit le bâton sans même le regarder, manifestement incommodé par l’odeur révoltante qui émanait de notre paladin. Un des sous-préfets devait assurer l’arbitrage, je pensais qu’il n’aurait pas de difficultés particulières vue que tous les coups étaient permis ! Il convoqua les belligérants devant le public qui d’un seul coup s’était calmé. Lui aussi montrait une sensibilité particulière aux fragrances épouvantables qui lui venaient par bouffées. Il les laissa très rapidement l’un devant l’autre et j’ai bien cru qu’il allait partir en courant.

Le grand Marshall commença à tourner autour de son ennemi en faisant jouer le bâton entre ses doigts, notre merdeux n’avait pas bougé, il se contentait de suivre les évolutions de l’adversaire du coin de l’œil. Très rapide malgré sa corpulence, celui-ci se fendit comme en escrime et chercha le ventre de Mic qui évita sans peine cette première attaque qui fut suivie d’une foule d’autres tentatives d’estocades, aussi vaines que la première. On aurait dit deux danseurs en pleine démonstration d’agilité et qui réglaient leurs pas l’un sur l’autre. Cela dura un moment, jusqu’à ce que le bâton de Marshall érafle le côté de notre camarade, faisant une trainée blanchâtre sur sa peau. Aucun souci, il se jeta à son tour en avant et toucha l’autre à l’estomac ; là ça saignait. Je commençais à comprendre les hésitations dans le choix des bâtons, il cherchait le plus pointu. On les vit ainsi continuer leur valse-hésitation en touchant alternativement les corps qui commençaient à montrer quelques traces de plus en plus marquées. On les sentit légèrement fatigués dans le ralentissement des coups et les quelques faux pas dans l’échange. Ce que l’on vit nettement ce fut la décision du plus grand quand il modifia sa stratégie. Il avait compris qu’à ce jeu il se fatiguerait plus vite que le poids léger d’en face et il commença à se rapprocher pour arriver au contact ; vue la différence de poids et de muscles il avait tout à gagner dans une étreinte qu’il pouvait aisément rendre mortelle. Moi j’observais mon pote dont le comportement s’était modifié au diapason de ce qu’il voyait faire devant lui ! Il avait manifestement pigé la manœuvre et agissait en conséquence. Je le vis très nettement s’enfoncer son instrument au niveau de l’ombilic, y jeter un coup d’œil et se mettre en position d’attente pour recevoir l’assaut inévitable. Le grand avait lâché son arme qui l’aurait gêné dans l’étouffement qu’il avait programmé, il se lança furieux à l’assaut de son frêle opposant ; ce dernier au lieu de se défiler comme il en avait l’habitude, se contenta de lever les bras en tenant fermement son bâton. Le bruit de l’air qui s’échappait de ses poumons couvrit le léger gémissement de son assaillant qui venait de se voir planter le bout de bois dans le dos. Presque immédiatement, l’enlacement mortel s’affaiblit, les bras musclés devinrent inopérants et Marshall s’écroula en arrière, la bouche grande ouverte et les yeux exorbités il fut pris de convulsions qui se répétèrent à intervalles réguliers scandés de relâchements complets de tous les muscles jusqu’à ce que la mort l’immobilise enfin dans un dernier râle. Je connaissais les symptômes, Mic aidé de Dragul avait bien préparé la potion qui se logeait dans une petite vessie collée dans le nombril et cachée par l’épaisseur de merdouille qui avec l’odeur avait empêché un hypothétique observateur de dénoncer la ruse !