Je m’attendais à ce que ça renâcle, coince et proteste véhémentement, sûrement pas à ce silence même pas tendu qui suivit l’annonce de la condamnation du coupable. Lui-même ne disait rien et continuait à faire la fiesta comme s’il ne s’était rien passé. J’ai essayé de parler en douce avec lui, inter nos, pour scruter le fond de sa pensée : bonjour le noir complet ! Il avait l’air presque fier de se faire virer, comme s’il jouait les Mahomet ou les Moïse, s’il réinventait d’un seul coup l’Hégire, l’Exode et toutes les formes d’exil ! Putain ! Je n’en revenais pas ! Il n’avait même pas l’air de préparer un coup en vache ! Pour ma part j’avais décidé de le suivre, moins par routine que par calcul ; je me sentais plus utile avec nos troupes que si j’étais resté sur place à faire du lard. Je savais que je reviendrais un de ces quatre et Cybelle et Gradul étaient persuadés de me revoir. Mon mage préféré avait eu une conversation assez vive avec Mic, ce qui voulait dire qu’il fallait que je revienne intact de nos conneries sinon y aurait de la viande collée aux murs. Là, personne n’avait envie de rigoler, le sorcier ne parlait jamais pour ne rien dire et ne menaçait pas en vain. Ceci étant si en sa présence on écoutait religieusement ses paroles, l’insouciance habituelle reprenait le dessus dès qu’il avait le dos tourné et plus personne n’aurait été capable de citer ses mots jusqu’à ce que son retour agisse sur les mémoires les plus infidèles et là ça chiait des bulles et tous ces braves couillons avaient le tracsir !

Le harem du boss s’était mis à rassembler les affaires et à charger les remorques comme s’il partait en camping. J’avais donné des ordres pour vérifier l’état de nos véhicules, de notre armement et préparer tout ce qui nous servirait pour un itinéraire assez accidenté : il n’y avait pas de routes dans cette direction et les rares pistes étaient peu ou pas entretenues. Personne n’allait là-bas. Nous y avions fait quelques incursions les mois passés, dans les temps encore troublés que nous traversions. Quelques escarmouches avec des vilains qui s’étaient risqués à nous affronter, quelques petits massacres de demis sauvages qui vivotaient de rapines et se bouffaient entre eux quand le gibier était rare. Rien de franchement exaltant. Les fermiers sédentaires restaient indifférents à nos querelles, ils n’intervenaient que s’ils se sentaient menacés ; nous ne les menacions jamais, nous avions besoin d’eux. Nous n’imaginions pas, à cette époque, qu’un jour on pourrait s’installer dans ce pays.

 D’un autre côté, les collines de Glades ce n’était pas l’enfer et même par certains côtés c’était plus riche qu’ici : les rares occupants géraient des troupeaux de moutons immenses, de vaches moins importants mais pas négligeables ; des chevaux, des chèvres … Leurs fermes, ou la volaille ne manquait pas, regorgeaient de grain et de paille. Assez accueillants nous n’aurions pas à nous battre pour nous installer. Au contraire je pensais que ces braves fermiers seraient assez contents de se sentir protégés par notre réputation qui n’était plus à faire : on pouvait les purger des parasites qui bourdonnaient autour de leurs richesses.

Avant la fin de l’ultimatum nous avons pris la route, caravane immense et bigarrée avançant à travers ce qu’on n’aurait pas pris pour un jour de fête. Ceux qui nous regardaient partir sans manifester joie ni tristesse ne nous faisaient rien regretter. La milice nous a escortés loin en avant pour se retirer en silence quelques heures plus tard. Là aussi ni fleurs ni couronnes, adieu les connards ! Une nouvelle vie commençait pour nous, je vous en dirais quelques mots !