A l’aube du deuxième jour quand la caravane s’ébranla après un petit déjeuner rapide, il se mit à pleuvoir sans discontinuer. La mutation climatique nous a habitués à ce genre de surprise ; ça pouvait changer du tout au tout sans avertissement : en moins de temps qu’il fallait pour en parler on passait de la canicule à la mousson, des plaisirs nus de l’été aux rigueurs en roupane de l’hiver le plus rude, du Gabon à la Suisse ! là ça royait comme un troupeau de bovidés atteints d’énurésie et rien n’indiquait que ça devait s’arrêter, s’apaiser, ralentir ou au moins devenir moins violent. En catastrophe il nous fallut abandonner la plaine et gagner les hauteurs environnantes, les chemins ayant disparus et le terrain se dérobant sous nos pneus, la chenille se mit à ramper de travers en laissant parfois des morceaux à la traîne et stationna sur les crêtes rocheuses qui offraient, sinon un abri, de quoi poser nos roues sur le dur. On se remit à progresser au pas en choisissant les parties les plus solides du sol qui ruisselait et voulait embarquer nos pauvres machines pourtant équipées pour les tâches les plus rudes. Trois guides marchaient à l’avant du cortège et adoptaient l’itinéraire le moins risqué, les passages qui semblaient plus sûrs que d’autres, les épaulements les plus aptes à retenir l’engin qui aurait bien voulu se vautrer dans la pente. Il n’y eut pas de victimes mais le déluge calmé nous laissa avec un train mobile amputé de douze éléments : huit 4X4 et quatre camions. Ils étaient trop esquintés pour être récupérables sur le moment et nous dûmes répartir la charge et les équipages naufragés dans les bagnoles qui roulaient encore. On reviendrait peut-être un jour récupérer les épaves. De temps à autre un des guides descendait vers la plaine voir si l’éclaircie avait libéré des voies praticables ; notre progression de lambins se poursuivit pendant des heures. Ce que nous n’avions pas calculé c’était l’écart qui se creusait entre l’itinéraire parfait adopté au début et nos errances au gré des parties les plus roulables des crêtes aux cheminements fantaisistes. Si bien qu’au retour du soleil, redevenus secs et optimistes nous pûmes nous faire une idée de ces trajectoires erratiques qui avaient été notre lot pendant toutes ces longues heures à traînasser au sommet de ces monticules. On sortit les boussoles et un vieux mataf son sextant. On se pencha avec assurance sur les cartes d’état-major aux plis cassés qui décrivaient un territoire depuis longtemps oublié et dont les repères étaient enfouis sous les couches de sédiments ou de vieilles glaises qui avaient effacé les reliefs. Pas facile tout ça ! Notre principale découverte ne tarda pas à émerger dans les consciences, nous avions maintenant une certitude : on était complètement paumés !          Tout ce que je pouvais dire c’est qu’on s’était écartés largement vers l’est de la piste principale que nous étions sensés suivre jusqu’au bout et que de collines en collines on avait fini par se retrouver dans un coin inexploré depuis des lustres et que pas un d’entre nous ne connaissait. Bien entendu au moment où nous en aurions eu vraiment besoin, pas un autochtone, pas un indigène, pas un rat pour nous aiguiller et nous remettre dans le droit chemin ! On était sur un haut plateau assez pouilleux et sec, piqué de loin en loin par des arbustes rabougris, genre arganiers ou câpriers, on voyait de-ci de-là des flaques d’eau peuplées de barges et de courlis qui gueulaient et s’enfuyaient à notre approche ; quelques vols de colverts et de nombreux lapins qui rejoignaient fissa le paternel logis avant de ramasser du plomb dans le râble ! Ma foi on ne crèverait pas de faim ! Le plateau tel qu’on pouvait le voir se bornait à l’horizon d’une barre rocheuse et était parfaitement plat ; il nous permit de regagner le temps perdu dans le début de la journée ; on ne savait pas vers où nous allions mais on y allait très vite ! Nous approchions vraisemblablement d’un point d’eau ou d’une rivière car l’herbe verdissait devant nous et nous vîmes bientôt des troupeaux de moutons et de vaches. Attention les gugusses ça sent le local, le natif, l’originaire ! Mic donna le signal de ralentir et nous avançâmes au pas pendant un bon moment. Brusques coups de freins, on avait failli rouler sur les toits des baraques qui affleuraient le sol, ici on vivait sous terre ! Un certain nombre de personnages curieux et remplis de curiosité finirent par se montrer dans les cours en sous-sol qui entouraient les habitations. C’était le même genre de lieux de vie qu’on voyait dans le sud de la Tunisie jusqu’au vingt et unième siècle, cela ressemblait à des photos de Matmata sans les toits. Hommes et femmes vêtus de tuniques en lainages légers, blancs, très nets. Quelques antiques flingues, des bâtons divers et des sortes de machettes courbes à la malaise. Une population au teint mat, très métissée, et comme nous une répartition inégale des âges : quelques vieillards et, pour la plupart, des jeunes et des enfants. Silencieux au départ ils se mirent à parler tous en même temps ! Un boxon pas possible ! Je levais la main en criant s’il vous plait, coupure de son, quelqu’un comprend-il ce que je dis ? un vieillard (le chef ?) s’approcha avec un demi sourire, manifestement il se foutait de ma gueule c’est facile tu parles comme nous ! rires et nouveau boxon, cela commençait bien !