Ce pépère aux allures de chef commença son récit à voix basse, il avait un léger défaut d’élocution qui faisait siffler les S et les CH j’aimais assez cette façon qu’il avait de choisir son vocabulaire et de poser ses mots comme pour donner de l’ampleur à son histoire. De prime abord je ne voyais rien d’original dans son récit : des gamines impubères mais plus délurées que les autres avaient disparu sans donner de nouvelles, cela depuis quelques mois ; la plupart avaient des sœurs, cousines, amies qui affirmaient ne rien savoir de l’affaire. Toutes les hypothèses pouvaient être retenues : enlèvements, mais par qui ? Personne ne manquait à l’appel et les parages n’étaient pas fréquentés par des rôdeurs ni des fripouilles amateurs de pucelles. Meurtres suivis de disparitions de cadavres, enterrements, crémations, cannibalisme, mais là aussi par qui ? Toutes les morts étaient naturelles ; depuis le reflux relatif de l’épidémie, on ne déplorait que des décès accidentels ou dus à d’autres pathologies, personne n’aurait eu l’idée de lever la main sur quiconque et à fortiori sur des gamines traditionnellement protégées. Les disparitions avaient eu lieu pendant la semaine blanche : tous les quarante-cinq jours on consacrait une semaine entière à ne pas bouger des maisons ; on observait un jeûne assez strict et on employait ces heures paisibles à méditer et prendre soin de son corps : des stations prolongées dans les baignoires et des massages partagés aux huiles parfumées, je n’ai pas vérifié si elles étaient essentielles ! Comme l’observance de ces règles n’avait rien de contraignant, les gamines avaient eu largement le temps de s’esbigner et de faire des bornes sans qu’on s’aperçoive de leur absence et sans traces évidentes à suivre, la poussière ne gardant pas longtemps les marques de pas. Pépère insista sur la mobilisation générale qui suivit chacune de ces disparitions et c’est là que la belle mécanique se mit à grincer : les quatre accompagnateurs ne paraissaient pas tout à fait d’accord avec ce point du récit. Un grand maigre qui suivait le rapport de son copain avec scepticisme, intervint vivement Non non non, tout le monde ne sortait pas en battue pour récupérer les filles, beaucoup restaient chez eux…d’autres attendaient le retour des patrouilles pour sortir à leur tour. Quelques mamans survivantes auraient peut-être leur mot à dire mais on ne les écoutait pas, elles étaient mises à l’écart et faisait l’objet d’un ostracisme sans faille. Elles jouissaient de la même liberté que l’ensemble de la population mais on ne s’adressait jamais à elles. Les quelques gérontophiles qui les fréquentaient pour entretenir leur capacité reproductive ou parce que ça les faisait goder de sauter celles qu’ils considéraient comme vieilles, n’échangeaient rien avec elles sinon de la bouffe et du cul.  On a fini par entendre ce qu’ils ne disaient pas : ils avaient besoin de nous pour parler aux anciennes. Je me suis dit que ça allait être fastoche, une petite visite au harem et voilà les réponses ! J’étais prêt à y aller quand un petit gros qui n’avait rien dit jusque-ici : Oh là oh là vous ne pouvez pas y aller comme ça ! Vous êtes un homme elles ne vous diront pas un mot ! Et vous allez être obligé d’en couvrir une demie douzaine avant qu’elles vous laissent repartir ! Il se bidonnait en disant ça mais je voyais bien qu’il avait raison et que ma démarche risquait d’être stérile si mes actions ne l’étaient pas ! Ils se mirent à parler tous en même temps ! Cette société souffrait d’un grave défaut, heureusement qu’ils étaient fondamentalement pacifistes ! Personne n’écoutait personne et ils étaient foutus de jacter pendant des heures sans répondre aux questions ! Ils ne pensaient pas ils bourdonnaient, comme un essaim ou une ruche devenue cinglée ! Mes petites camarades qui s’étaient bien amusées jusque-là commençaient à en avoir au-dessus des sourcils de la société idéale. Nati se mit à gueuler et tous se figèrent, interdits et pantois, c’était la première fois qu’ils entendaient une fille élever la voix ! j’avais besoin de plus d’informations sur ces intéressantes femelles qui vivant en marge du village avait échappé à nos observations. Elles jouissaient des mêmes facilités que le reste de leurs semblables s’occupant à l’écart de terres relativement grasses qu’elles cultivaient et mettaient en valeur avec adresse et succès. Elles n’échangeaient pas de mots mais le commerce était intense et prospère entre les deux communautés. Les gamins qui naissaient chez elles quittaient le harem pour être accueillis de l’autre côté dès lors qu’ils gambadaient et commençaient à jacter. Tout ce petit arrangement marchait fort bien et ne faisait l’objet d’aucune plainte. Quand tout marche, y a rien à changer ! Nati et Jos décidèrent de former une délégation pour aller palabrer avec le gynécée et prendre la température du lieu. Je les avais équipées de caméras planquées dans des soutifs étudiés pour, elles étaient chargées de ramener un max d’infos et de voir dans quelle mesure ces mamas avaient une idée de ce qu’il advenait de nos vierges folles. J’étais pour ma part convaincu que rien de grave ni de définitif n’était intervenu et qu’on était loin du drame qu’en d’autres lieux on aurait traversé. L’explication résidait dans cette petite société, avec ses simplicités et ses complexités. Il ne fallait pas chercher ailleurs des choses qu’on aurait sous le nez en peu de temps ! Pas d’ogre pas de bête gévaudanesque ou gabalitaine, pas de sérial killer comme dans l’ancien temps ! A mon avis une affaire de famille.