Pourtant je m’étais bien promis de ne jamais perdre de vue que j’étais dans le Gard.

Mon voyage à Papeete est programmé depuis des mois, j’ai envie d’y aller et on m’y attend, semble-t-il, avec impatience. Il y a une escale aux Zétats Zunis. Notre époque étant ce qu ‘elle est et Bush tel qu’en lui-même l’éternité n’a aucune chance de le changer, nos amis américains ont décidé d’adapter les règles d’attribution de visas de séjour pour visiter leur beau pays. On renforce, on contrôle plus sec, on repère le suspect, on refoule le suppôt et le zélateur.

            Jusqu’à peu, donc naguère, un français jovial et rubicond comme mézigues pouvait fouler le sol où Lafayette s’est illustré, sans nécessiter autre chose qu’un passeport ordinaire. Mais voilà que cela se gâte : jusqu’au 26 octobre 2005, les nouveaux passeports à lecture optique, dits Delphine, suffisaient pour descendre sur le tarmac sacré. Depuis il faut, soit un passeport biométrique, soit un visa. L’ambiguïté, c’est que les gens qui ont un Delphine délivré avant le 26/10/2005 continuent à jouir de l’exemption de visa ; mon Delphine à moi est plus frais, donc : visa ! Si vous n’avez pas compris, vous relisez lentement, je ne répèterai pas. J’aime ces situations délicates dont seuls les grands prédateurs des steppes modernes se sortent sans difficulté.

            J’ai fait la démarche très à l’avance ; j’ai demandé à la dame de ma mairie de mon village du Gard de demander à la dame de la Préfecture de mon département du Gard si ce passeport du Gard suffirait pour aller aux US ou bien s’il fallait que j’implore un visa. Ouiiii ! Allez-yyyyy  pas de souci, il est boooon, il suffiiiiit, roule Albeeeeert! J’ai bien fait répéter puis j’ai oublié la chose considérant que j’étais en règle pour Uncle Sam. Et ben ouiche ! Point du tout. Mis en alerte par les médias et par Marc, j’ai voulu faire une vérification ultime. J’ai donc surfé comme un diable et j’ai dû me rendre à l’évidence : je l’avais dans le bab’s ! Dans le meilleur des cas, il faut, en allant faire la queue au consulat parisien, plus de trois mois pour avoir le saint seing et je ne suis pas sûr qu’ils ne me prendront pas pour un dangereux séditieux qui s’exporte pour nuire. Auquel cas, c’est écrit sur le site : ils te donnent pas le papelard et ils te rendent pas le fric ! Si tu leur téléphones, ça commence par une ponction de 14€50 sur ta Mastercard, pour qu’ils te disent que le mieux, c’est quand même de se déplacer. Pour une heure à poireauter dans LAX – c’est pas un produit anti-constipation, c’est l’aéroport de Los Angeles – cette chose est bien rude !

            Le plus terrible c’est de lire les conseils de notre ministère dousteux-blasique sur le comportement à adopter avec nos amis yankees : en gros, ne pas être agressif – on comprend !-, ne pas montrer de nervosité suspecte, ce qui me paraît beaucoup plus difficile ; surtout, pas d’humour ni d’ironie à l’égard des mesures prises, là c’est le gnouf assuré ! Et t’as du bol si t’en prends pas plein la gueule ! On a vraiment envie de visiter les States !

            C’est vrai que depuis 2001 ils ont été secoués rudement, mais il me semblait qu’on leur avait montré suffisamment de solidarité et de compassion pour n’être pas soupçonnés de collusion avec les forces du mal ! Je n’ai personnellement aucune tendresse pour les barbus massacreurs de foule et c’est plutôt rageant d’être soupçonné de sympathie à leur égard. Ce qui fait le plus râler, c’est que depuis 96 –attentat d’Oklahoma City- et l’administration Clinton, les américains ne respectent plus guère leurs propres principes sur le vieil Habeas Corpus ! Le Patriot Act, édicté après le 11 septembre 2001, n’a rien arrangé. Lisez ou relisez les derniers livres de Michael Connelly, il pose très bien le problème ; on ne peut pourtant pas le taxer de gauchisme ou d’antiaméricanisme militant.

            Sinon, et pour répartir un peu la charge de la connerie, on ne peut pas dire qu’ils ont pris les autorités françaises et européennes en traître : ils en parlaient depuis 2001, ils ont pris la décision en 2003 et ils avaient fixé le délai à octobre 2004, puis sur demande européenne,  repoussé à octobre 2005 ; ils doivent avoir l’impression qu’on se paie leur calumet, ce qui les rend irascibles. De ce point de vue, et comme d’habitude, les petits français sont à la traîne. Sarko avait donné le marché de la fabrication du précieux document à une société privée, Oberthur, en réponse, le comité d’entreprise de l’Imprimerie nationale a saisi le tribunal administratif de Paris, au motif que la préférence donnée par le ministère de l’intérieur à une entreprise privée dérogeait à la loi du 31 décembre 1993. Celle-ci dispose, en effet, que l’Imprimerie nationale est « seule autorisée à réaliser les documents (…) dont l’exécution doit s’accompagner de mesures particulières de sécurité, et notamment les titres d’identité, passeports, visas (…) ».                                                                                                            D’où le blocage ! En fait il y a une collusion entre la CGT et Nicolas, dit le petit tendu, pour qu’on passe une fois de plus pour des cons !

Sinon tout va bien, je passerai par Tokyo, ce qui me ravit !

Bibi Fricotin