Voilà bien longtemps que je ne lis plus les romans qui sortent et je crois que mon dernier Goncourt date de 1961, La pitié de Dieu, Jean Cau – en trois lettres comme disait Janson !-. C’était vraiment pitié que de lire cette pauvre chose commise par un secrétaire félon de JP. Sartre ! Je remercie ce Cau-là qui m’a guéri des Goncourt et des prix littéraires en général.

 Je lis et relis de la poésie, des classiques et des romans policiers. Mes dernières grandes émotions de lecture s’appellent Bukowski et l’ovni Fritz Zorn, Mars en 1979, chef d’œuvre de malheur et de solitude. J’ai appris à mes dépens à me protéger des livres qui me tombent des mains, je sais maintenant ce que je n’aime pas lire, donc ce que je ne lirai pas.

Depuis quelques temps les journaux et les émissions télé-mode – les ardissoneries diverses et leurs clones- sont pleins d’articles enthousiastes sur la naissance d’un grand écrivain, enfin ! Une révolution dans la littérature – comme si cette chose existait encore !-. 

Moi, bien à l’abri de tout ça je continue à me repaître de Connelly et de Mankell sans rien demander à personne.

Seulement voilà, j’ai des amis et des parents qui lisent et qui en parlent, on me sert donc le couplet : comment tu peux dire que c’est nul avant d’avoir lu ? Précautionneux, j’avais risqué la lecture de quelques poèmes de MH ; il en avait même attrapé le prix de Flore pour un recueil dont j’ai oublié le nom. Ma consternation fut à la hauteur de mon attente, les platitudes le disputaient aux vers de mirliton et aux provocs faciles. J’avais déjà de quoi argumenter. J’étais loin de me douter que j’avais mangé mon pain blanc.

Sort La possibilité d’une île ; je me dis que si je trouve le titre un peu stupide, c’est que je ne suis pas objectif et qu’il faut peut-être céder aux demandes et dire ce qu’on en  pense. Grand Dieu ! Je me suis fait prêter les deux premiers romans du maître.

Je vais oublier mes humanités et mes facultés d’analyse, je vais simplement réagir et dire ce que j’en pense :

Quel que soit l’écrivain, j’ai besoin d’entrer en résonance avec lui ; MH m’est extrêmement désagréable et ennuyeux à lire, pour tout dire, il m’emmerde ! Ses messages sont écrits à l’encre antipathique !

Je n’aime pas son style à la fois plat et maniéré, la pauvreté de son vocabulaire courant au profit de la cuistrerie de son vocabulaire savant !

Je n’aime pas ses tricheries : il invente sans humour sur des techniques qu’il ignore, il y a un moulinet de pêche totalement invraisemblable dans Extension… Frédéric Dard nous aurait fait marrer avec un appareil improbable, lui c’est pas drôle. Je me souviens de la description admirable du premier révolver arrivé en France au début des Travailleurs de la mer,  pareil pour le passage qui détaille la machine de la mine et son fonctionnement dans Germinal. Relire Hugo et Zola !

Je n’ai pas envie de comprendre ses théories sur l’avenir de l’humanité et sur le clonage. Tous ces passages sont profondément ennuyeux. Les dissertations sur le bouleversement métaphysique et sur la crise ontologique que nous traversons sont fumeuses et, pour moi, au moins, d’une obscurité suspecte : je le soupçonne une fois de plus de parler savamment de choses qu’il ignore.

Je me fous éperdument de son amertume sur la disparition de l’amour et sur la duplicité de l’âme humaine. C’est de la soupe pour Harlequin,  de la réflexion de midinette sinistre sous Prozac.

Il est inacceptable de s’abriter derrière les personnages de ses fictions pour se dédouaner de déclarations sulfureuses : c’est bien MH qui pense que les femmes sont toutes des salopes et que l’islamisme est la plus con et la plus nuisible de toutes les religions – ce qui entre nous pourrait signifier qu’il en est d’intelligentes et d’inoffensives-.

Que ses fonctions organiques le trahissent à 40 ans, je m’en tape.

Chez lui, la chair est vraiment triste et il n’a pas lu tous les livres, sinon il saurait que l’érotisme dans ses plus belles expressions exige de l’imagination, du lexique et une liberté de pensée qui est vraiment subversive – voir Sade ou, par exemple, (Le con d’) Irène, peut-être une des meilleures proses de Louis Aragon. Toutes les scènes des Particules… quidécrivent le sexe sont indignes des pires bouquins de gare, au point d’être refusées par l’éditeur spécialisé de la collection Aphrodite , ce qui se fait de plus nul dans ce domaine. Je trouve dans le Petit Robert un article me qui fait plus d’effet que toutes les tartines mal foutues –sic- de cet ouvrage calamiteux :  Aisselles, n.f.  … » Lorsque Nana levait les bras, on apercevait les poils d’or de ses aisselles » Vous voyez bien qu’il faut lire Zola !

Dernier point : le récit. Quand on vise le Goncourt, il est quand même mieux de prouver qu’on sait raconter une histoire ou au moins qu’on est capable de dépasser le récit en montrant qu’on en possède à fond la technique. Je suis comme La Fontaine, j’aime qu’on me raconte des histoires :

Si Peau d’Ane m’était conté,
            J’y prendrais un plaisir extrême.
Le monde est vieux, dit-on: je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant
.

MH ne sait pas mener un récit, il y a chez lui un manque de maîtrise, de la maladresse, au point où on se désintéresse complètement de ce qui peut arriver à son héros. J’ai relevé de mémoire, vers la fin des Particules… un passage où il dit, en substance : « ils l’ignoraient, mais c’était la dernière fois qu’ils devaient se voir » Voilà de la littérature de patronage !

Maintenant renversons les rôles : je suis un zélateur du prophète MH et je dis que Douton n’a rien compris, qu’il faut prendre tout ça au deuxième degré, que le récit, le style, on s’en moque, que cet écrivain est bien dans son temps, qu’il nous met devant nos vrais problèmes, qu’il nous parle vraiment de ce qui nous intéresse, qu’il décrit précisément la crise de la quarantaine et le mal du siècle.

D’accord, rien à répondre à tout ça. Si on se retrouve dans ces textes, pourquoi pas, chacun ses goûts etc… Rien à dire. Le nombril MH est apparemment plus intéressant que les gamins des banlieues, l’avènement du prince Sarkozy,  les 300 000 cadavres du Libéria en 15 ans, le tsunami et les inondations du Pakistan, le réchauffement de la planète et la multiplication des tempêtes et ouragans du siècle.

Dans le fond je n’ai pas la chance d’aimer Houellebecq.

A.DOUTON                                         Monteils le 25/11/2005