J’ai passé quatre ou cinq jours à Narita, aéroport de Tokyo, je sais tout sur le Japon ! Je vais vous en faire profiter généreusement. Oubliez Roland Barthes et sa sémiologie nombrilesque et fallacieuse, suivez plutôt votl’ selviteul !

On croit que les manifestations de courtoisie nipponnes relèvent de la caricature et du film de genre ; et bien pas du tout, c’est courbettes et visages éclairés à tous les coups et de façons répétées jusqu’à la saccade ! Mimétisme ou désir d’être aussi civil que possible, j’ai tendance à imiter la chose et vas-y que je me fends et me penche en rythme associé à celui de mes interlocuteurs ; je dois avoir l’air particulièrement nœud, mais personne n’éclate de rire.

Au Japon, il faut une grande souplesse d‘échine et des muscles faciaux à l’abri de la tétanisation : dans les échanges d’amabilités, je me suis courbé tant de fois en élargissant un beau sourire crispé qu’il me reste de la raideur dans les mâchoires et dans les lombaires. Il n’y a pas que les chinois qui sont polis ! Première leçon nippone, donc, si t’es courtois, t’es souple !

Incise remarquable par ses dimensions inusitées :

Chacun devrait savoir que, d’après la loi de Boyle, à température constante, le volume d’un gaz varie en proportion inverse de la pression et que donc, dans les transports aériens, l’expansion des gaz intestinaux est cause de flatulence chez le sujet sain et de douleurs plus nettes chez les sujets aux antécédents de chirurgie abdominale majeure. Il est conseillé de limiter féculents et boissons gazeuses avant et pendant le vol. J’ai pompé ça dans un manuel de médecine aéronautique, assez bien informé. En clair ça veut dire que dans un 747 ou dans un Airbus, ça pète à mort et que le sourire distingué de certains personnel navigant n’est pas dû à une formation spéciale mais cherche à masquer un ballonnement irrépressible et parfois douloureux qui leur fait regretter d’avoir repris du chili et de l’avoir arrosé d’une San Pellegrino riche en bulles. Moi qui vous parle et qui suis naturellement sujet à la fermentation tripale – rien à voir avec les hélices-, je descends des avions dans un état de boursouflure tout à fait remarquable et je ne redeviens présentable que dans un délai d’une heure ou deux, après avoir dégazé comme un méthanier incivil.

Retour au Japon ; le lendemain de mon arrivée:

C’est la fin de la matinée, je suis dans Narita où je flâne et me perds – j’ai repris un boulevard dans le mauvais sens et pratiquement atteint les limites de l’agglomération avant d’être détrompé par une jeune femme charmante et aussi douée en anglais que moi- ; c’est une ville pleine de maisons et d’immeubles –original !-, de magasins et de snacks-street-foods-restos-cafés, de boutiques de vieux, de neuf et de deux roues, de supers marchés bien fournis en marchandises et achalandés un max, tout peinturlurés avec des idéogrammes partout, doublés souvent en anglais, on s’y croirait ! Je passe une heure à feuilleter des mangas dans un books-store comme disent les japonais, y en a pour tous les goûts et tous les âges, du pulp pour minots jusqu’à l’hentaï –cul- hyper-spécialisé : hommes avec femmes, femmes entre elles, hommes entre eux, bondage, sado-maso, collégiennes, limites pédophiles, à fond gérontophiles, trav-trans, j’ai pas cherché plus avant, jusqu’au nécro ou bestio, vomito ou snuff, mais je suis sûr que ça existe : chacun sa collec. J’en sort ébloui et édifié !

            J’ai retrouvé le contrôle de mes colon et grêle et un appétit de bon aloi me rappelle qu’il est l’heure sustentatoire. La veille, à l’hôtel, je me suis absolument régalé d’un repas tellement raffiné qu’il m’est impossible de vous dire ce qu’il y avait dans mon bol et qui résistait à mes coups de baguettes malhabiles. Aujourd’hui, je me sens d’humeur prolétaire et bien décidé à tâter de ce que mange le naritais de base.

Je repère très vite un piège convenable et idoine à s’essayer au rata local. On n’y parle guère l’anglais mais mes gestes sont suffisamment explicites pour que je me trouve rapidement confronté à un plat de riz fumant accompagné d’un ragoût de porc tout à fait roboratif et goûteux. J’ai pris le coup avec les baguettes : en rapprochant le bol de la bouche, on arrive à enfourner de façon productive sans trop se maculer le jabot et la barboteuse. La bière est parfaite là-dessus, la viande à des arrières goûts un peu surprenants mais très flatteurs quand même.

Le soir venu, je m’en souviendrai ! En 24 heures, je serai passé du météorisme abdominal à une détresse intestinale visqueuse et abominable ! Directement du charbon actif à l’Imodium ! Du ballonnement à la courante !  Je ne sais pas comment on dit tourista en japonais, mais c’est ça en plein. Une diète absolue s’impose,  j’ai le feuillet et la caillette qui appellent à la grève, le rumen au black-out !

Deuxième leçon de japonais : il vaut mieux des sushis de riche qu’un brouet de pauvre.

La porcelaine si fine des petites tasses de thé :

De la salle de restaurant de l’hôtel la vue donne dans un jardin en tous points comme on peut l’imaginer : arbustes, pelouse, sous le petit pont de bois en arc de cercle, un frais ruisseau qui cascade et caracole jusqu’au plan d’eau peuplé de canards et de carpes coïs énormes et multicolores qui fusent entre les lotus et les algues en quémandant le pain que jettent les gamins en kimonos, socquettes et godasses en bois. Sic, sic, sic et resic ! On s’y croirait plus, on y est !

La chambre est, bien entendu, petite et très confortable, la salle de bain est équipée de toilettes avec bidet intégré, douchette rectale automatique, brumisateur à joufflu et tout ce qui faut pour se débarrasser des grelots ! On oublie vite les désagréments de la débâcle intestinale avec un tel attirail ! On y va pour le plaisir pas forcément par nécessité pressante ! Je suis sûr que si on a des mœurs, méfiance, l’épectase n’est pas loin !

A la télé, trois ou quatre chaînes japonaises, CNN, la BBC, une de golf, deux de cinéma et deux pour adultes… Je vous sens intéressés, alors je raconte.

Cela ressemble bougrement à du porno bien de chez nous, avec une teinture un peu spéciale. On s’y broute, s’y felle, s’y indexe, s’y annule et s’y pouce comme partout ailleurs. On s’y enfourche, s’y fourgonne, s’y égare, s’y dilate et s’y rétracte tout pareil. Feulements, cris aigus, halètements et grognements bestiaux identiques à ceux que tu perçois ou émets quotidiennement ; enfin je te le souhaite. Quelques différences : tous les acteurs/trices ne sont pas jeunes, beaux et minces. Une grosse un peu passée, un petit sexagénaire ventru barbu peuvent figurer au générique ! Dieu quel beau pays ! Beaucoup d’attirance pour la jupette à carreaux, les socquettes blanches, les nattes, l’allure empruntée et ingénue, les grands yeux innocents et mangaesques; je ne sais pas comment elles se démerdent pour pratiquer la turlute avec autant d’application tout en gardant cet air réservé et timide, presque pudibond ! Quelques spécialités marquantes :

— Une brutalité presque permanente ; le pince mi et le cogne moi, la poignée de cheveux a demi arrachée, le coup de rein hargneux, la pénétration rugueuse, le doigt dans la bouche et qui tire sur la joue, la pseudo strangulation et le quasi étouffement, la corde qui rentre dans les chairs… Gémissements de douleur à la mode ouille c’est bon !

— Une fascination pour le trash ; on s’échange des produits de mastication, œufs durs, yaourt, légumes et fruits divers qui passent de bouche en bouche, gorgés de salive, régurgités avec ravissement, réingérés dans l’extase –s’cusez faut queuj’ gerbe !-. On s’enduit beaucoup : huile, miel, yaourt, confiture ; urps !

— Dernier point et non des moindres, l’essentiel est flouté. Pas un bout de bédiglas, pas une once de patanette qui ne soient couverts d’une mosaïque plus ou moins masquante. L’effet est étrange, esthétiquement surprenant : on s’oblige à recomposer l’image, c’en est presque plus troublant que nos crudités bidochardes. Selon le plan, plus ou moins rapproché, et la finesse de la mosaïque, le masquage relève de façon plus efficace l’effet pornographique, on accentue l’effort pour mieux voir, on passe du rôle de voyeur à celui plus rimbaldien de voyant ! Bordel ! Que celui qui n’a jamais découvert une béance et une érection derrière un Mondrian fasse le voyage !

Troisième et dernière leçon : Tout ce que tu vois à la télé et au cinoche sur l’empire du soleil levant est vrai ! L’empire des signes, mon cul ! Farceur de Barthes !

Carte postale polynésienne

Une fois de plus, je le constate, le stéréotype résiste et occupe tout le terrain : comme pour le Japon. Tu vois les photos : les cocotiers, le lagon bleu, vert-huître, la vahiné vanillinée, la pirogue à balancier, les poiscailles multicolores, les fruits, les fleurs, les feuilles et les branches, les colliers de tiarés… Tout ça c’est vrai, c’est comme dans le livre, t’as même pas besoin d’y aller !

Bibi Fricotintin