Répertoire des difficultés à vivre avec une personne âgée :

Egoïsme forcené

Ma mère est chez moi depuis deux semaines !

Ma mère chante de plus en plus régulièrement des choses qui remontent du fond des temps, quelques exemples :

L’araignée de désespoir s’est foutu quat’ coups d’rasoir

Les jouteurs y chantaient ça à Sète :

Elle … a cassé…

La baleine de son corsage

Elle… a cassé

La baleine de son corset !

Elle a cassé son parapluie

Tant pis pour elle

Elle a cassé son parapluie

Tant pis pour lui

C’est le père de Jean Vilarqui chantait ça, il était à moitié fêlé !

L’hirondelle est partie avec ces feuilles vertes

Ma maîtresse comme elle a quitté notre nid

L’oiseau ne chante plus

Ton père chantait ça, tu te souviens pas ? Je parie que tu l’as jamais entendue celle-là :

Elle se met à chanter une chanson sur un poème de Richepin, j’ai retrouvé le texte approximatif sur le web, un mec qui l’a transcrit à partir d’un disque de Damia  :

        
        Les deux ménétriers
      Sur les noirs chevaux sans mors,
      sans selle et sans étriers,
      par le royaume des morts
      vont deux blancs ménétriers.
     
      Ils vont un galop d'enfer,
      tout en raclant leurs crincrins
      avec des archets de fer,
      ayant des cheveux pour crins.
     
      
      Au fracas des durs sabots,
      au rire des violons,
      les morts sortent des tombeaux.
      Dansons et cabriolons!
     
      Et les trépassés joyeux
      suivent par bonds essouflants,
      avec une flamme aux yeux,
      rouge dans leurs crânes blancs. 
     
      Soudain les chevaux sans mors,
      sans selle et sans étriers
      font halte et voici qu'aux morts
      parlent les ménétriers.
     
      Le premier dit, d'une voix
      sonnant comme un tympanon:
      Voulez-vous vivre deux fois?
      Venez, la Vie est mon nom!
     
      Et tous, même les plus gueux
      qui de rien n'avaient joui,
      tous, dans un élan fougueux,
      les morts ont répondu: Oui! 
     
      Alors l'autre, d'une voix
      Qui soupirait comme un cor,
      leur dit: Pour vivre deux fois,
      il vous fait aimer encore, aimer encore.
     
      Allez donc. Aimez donc! Enlacez vous!
      Venez, venez, l'amour est mon nom. 
      Mais tous, même les plus fous,
      les morts ont répondu: non!
     
      Et leurs doigts décharnés,
      montrant leurs coeurs en lambeaux,
      avec des cris de damnés,
      sont rentrés dans leur tombeaux. 
     
      Et les blancs ménétriers
      Sur leurs chevaux noirs sans mors,
      Sans selle et sans étriers,
      Ont laissé dormir les morts.

Et celle-là ? Et la voilà qui entonne une des pièces majeures du répertoire du père, il avait une belle voix de baryton Martin –sic !- ne me demandez pas d’où sort ce fameux Martin :

Il était un fier paladin

Rêvant de gloire et de conquête

Qui  chevauchait lorsqu’en chemin

L’amour lui fit perdre la tête…

Et effectivement, il avait perdu la tête…

Voilà ! Et je m’en fous royalement !

Punaise ! quand je pense que je me mettais devant un cuvier plein de linge ! punaise ! c’est pas vrai !

Quand mon beau père venait à la maison : « Petite on vient ici pour bien manger ! » Ta grand-mère ne savait pas faire la cuisine, elle était même pas vexée !

A table que du vin !

Vous vous débrouillez entre vous !

Maria !( C’est ma compagne elle est brésilienne et patiente comme le fleuve Amazone) il a beaucoup de défauts, mais c’est mon fils il faut rien en dire !

Mes enfants faut pas me les toucher, le reste vous vous débrouillez ! Vous vous crêpez le chignon si vous voulez !

J’ai toute ma tête, j’aurais préféré… Tu peux pas comprendre, tu avais quatre ans…

Je m’en fous, ma vie est terminée !

Tu crois qu’elle est pas culottée, elle veut se coucher sur mes pieds ! A la chienne : Philippine ! Tu trouves pas que tu es un peu culottée de te coucher sur les pieds ? Voilà ! du coup elle est sortie !

Il me faut aller au petit coin avant d’aller me coucher !

Il me faut aller au petit coin ! Coin ! Coin !

Marie Rose, ne te fiche pas par terre !

1,2, et 3 Aie ! Aie ! Aie ! Mes aïeux !

..

Le melon ouh ! je peux pas en manger ! ça me fout la chi-yasse ! Comme disait la femme du docteur… en pleine épicerie, tu te rends compte ! Le melon ça me fout la chi-yasse

Cette soupe est excellente mais elle est trop chaude ! Tu vas pas m’engueuler si je la finis pas !

Allez j’arrête sinon je la garderai pas ! Ouh ! Seigneur, je vous l’offre !

A la chienne : Elle est trop chaude, je peux pas te la donner, elle est trop chaude ! Tu te brûlerais !

Tu m’autorises à me lever de table et aller me coucher ?…

Ouh ! Que je suis fatiguée, Maria !

T’es en plein courant d’air, tu vas chopper la crève ! J’éternue : Tu vois, andouille, t’es entrain de chopper la crève !

Bon ! Je fatigue pour rien autant que j’aille au lit !

Marie Rose tu te lèves et tu te casses pas le bus !

Oh mes aïeux ! Oh mes aïeux ! Oh mes aïeux !

Eh oui !

Allongée, elle tousse, ça l’énerve :

Merr..credi !

A propos de Maria :

Et d’où vient que tu l’as déracinée ?

Maria : C’est la vie Mamie !

Oh la vie, c’est ce qu’on veut bien… Si j’avais pas épousé son père !

Tu sais quand je me suis marié avec son père, y en avait trois qui me tournaient autour ! Y en avait un qui était employé de gare ! J’aurais été femme de fonctionnaire…

Moi, connement : Mais papa était bien fonctionnaire…

Elle, triomphalement : Pas au début, il était chez Lempereur-Lamouroux, aux Wagons-réservoirs…

Et tu sais quand on est arrivés à Bellegarde … à Sète on avait sept cent francs par mois…à Bellegarde on avait un peu plus mais c’était pas assez, alors il avait pris deux jardins…

Ouh ! quelle vie ! Si j’avais su je me serai suicidée…

On faisait même les cardons… Tu aimes ça ? C’est fameux les cardons à la mœlle !

Pourquoi je suis allée m’enticher d’un homme à l’autre bout de Sète, alors que j’habitais Impasse Parmentier…

Un jour sa mère est venue pour dire qu’il voulait partir à Madagascar… Je lui ai dit que mes parents ne me laisseraient pas partir…

Il a eu tort, il aurait fini chef de centre…

Bon je vais aller faire pipi…Marie Rose lève toi … Oh mes aïeux ! C’est pas facile quand on a bu !

Allez ! Ne me cherchez pas, je suis dans ma chambre !

Ah mes aïeux, mes aïeux !

Qui baisera ma femme quand je serai vieux ?

C’est ton père qui disait ça !

Le docteur Scheidt,  il était d’origine  allemande, je crois qu’il était quai de la Bordigue, à Sète, le docteur Scheidt …y a un quai qui porte son nom à Sète – c’est le quai de la Bordigue- la mère Boubat disait que c’était un nom russe… il avait perdu un bras à la guerre, il était manchot, mais pour soigner les gosses il était champion…c’était notre docteur… il avait dit à ma mère, si vous voulez qu’elle se porte bien, collez-là dans la rue ! A dix ans tu te rends compte !

A dix ans… Ils m’ont trouvé un jop, je travaillais sur le marché… Je foutais rien à l’école… A cette époque on t’obligeait pas, surtout que j’étais chez les sœurs…on t’obligeait pas… chez les demoiselles Portalet, si tu travaillais pas, on t’obligeait pas…

Oh ! qu’est-ce que je fais là Seigneur ?

Maria : C’est la vie , Mamie !

Non c’est pas la vie, c’est la merde !

Je parie que je suis tellement maigre que je perce le fauteuil !

Je fais rien là, je fatigue, je vais au lit !

Mamie elle va au lit, avis aux amateurs ! Avizozamateurs !

Ouhfff !!!

C’est un é pipi

C’est un épicier

Qui moud son caca

Qui moud son café

La fille de l’étama

La demoiselle Eva

Portait à domicile

Toutes ses ustensiles

Que son père étamait

Dans son p’tit atelier

Si ti

Malerote malerote

La casserole

Mama mia  Mama mia

Quel embarras

Malerote malerote

Qui la rote

Qui la rote

La paiera

Tu te rends compte que j’ai fait deux guerres et que j’ai failli en connaître une troisième…contre les arabes…

Moi : pour quatorze/dix-huit, tu dois pas te souvenir de grand-chose…

Malheureux, j’avais cinq ans, je faisais la queue pour un litre de pétrole !

Comme si c’était hier…

Pendant la guerre, y avait de tout à Sète, des italiens, des espagnols, même des annamites !

Mon père il avait pas…il était pas raciste… Nahon  il s’appelait son copain… Il avait plein de copains… Y avait des juifs qui étaient venus se réfugier à Sète, ils étaient poursuivis par les arabes –sic-. N’oublie pas qu’il y avait la caserne… Y avait des nègres, mon Dieu ils descendaient en criant

Je vais m’étendre comme une pèye, à Bellegarde dans l’Ain, ils disent la panosse, à Sète ils disent la pèye…je me demande… et ici comment ils disent ?…  la vassinque ?

Marie Rose si tu te lèves pas maintenant, tu te lèveras jamais… Pourquoi ils m’ont appelé Marie Rose ? Je me demande. Marie Rose je m’appelle, avec ça, je suis pas fauché…

Plus tard quand tu seras vieille tchi tchi

Tu diras prêtant l’oreille tchi tchi

Marie Rose si tu te lèves pas maintenant…

Ouh là ! ouh là ! Ca y est !

Je l’appelle ma p’tit’ chinoise

Ma tonkiki, ma tonkiki, ma tonkinoise…

La soupe chinoise, j’adore ça…

Ouh, j’ai même la flemme d’avaler,je peux plus l’engoulir, j’en ai marre ça me fatigue, té Louise !

Elle regarde Maria se servir de la salière…Qu’est-ce qu’elle sale, bon Dieu… Ouh ça me tue de manger !

Voilà j’ai fini mon potage, ne me demandez plus rien… Non, non, il vaut mieux que je garde mon potage que d’avoir envie de rejeter, après !

Quand j’ai accouché de Guy , pour me remettre, mon père avait acheté un appareil  avec des poignées pour faire du jus de viande… tu penses …quand il arrivait à me donner un peu de sang… parce qu’alors, Albert, tu les a pas connus, mais j’avais des parents comme ça !

Allez ! Marie Rose !… Non tu ne m’aides pas, sauf si tu entends badaboum !

Tu vas faire les jeux olympiques ? Maria a mis une sorte de maillot qu’elle voit pour la première fois et qu’elle a identifié comme sportif, qu’on ne me demande pas pourquoi !

Moi qui m’intéressais à tout…plus rien ne me dit… Si ! J’irais au lit,je dormirais toute la journée !

Qu’est-ce que c’est ce short ? On dirait un short de curé !

Ces oreillettes elles valent pas un pett !

Tu as des puces, tu te grattes, tu te grattes… La chienne, à ses pieds est très attentive à ses gestes et à ses mots : elle l’aide beaucoup à finir ce qu’elle ne veut plus manger !

Y te faudra lui regarder les oreilles, elle doit avoir un tic ! Hein ma rousse, tu as un tic-tic ? Pac ! le lapin ! Mais non ! Mamie elle peut pas te donner de la lasagne, cucul la praline !

Voulant visiter  l’Italie

J’débarque au pays du soleil

A peine arrivée je supplie

Une chambre ou je meurs de sommeil

Viva Mussolini,

C’est le plus grand homme

Qui vit à Rome

Ah s’il était ici

J’aurais une chambre même dans son lit !

Aussitôt le mari m’embrassa

Et me dit vous ne partirez pas

J’ai une chambre d’amis

Viva Mussolini

La toubib vient de passer, c’est une jeune femme rousse tout à fait charmante :

C’est une femme ou un homme ? C’est un homosexuel…Enfin…

Ils ( les médecins) s’installent avec presque rien, tout de suite ils ont un tas de clients et gagnent des mille et des cents… On y va pour un oui ou pour un non…ça devient maladif chez les malades !

7 heures un bruit, des cris, Maria gicle du plumard à fond la caisse, moi, j’essaye de sortir du coaltar où m’ont plongé le champagne et les divers nanans consommés pour les 96 ans de not’mèr’:

Maria ! Maria !

Ouh ! que j’ai mal ! Ouh ! mon Dieu ! Ouh ! que j’ai mal ! Ouh !Maria que j’ai mal !

Mon Dieu aidez-moi !

Elle est par terre, à côté du plumard, après reconstitution : elle s’est levée pour aller ducorps – pour ma mère, on va jamais chier, on va du corps –, en revenant de sa chaise spéciale, elle a loupé le pucier, ayant négligé d’allumer,  et du coup, elle s’est répandue dans la ruelle. Quelques contusions et un gros pain avec écorchures au coude droit.

Maria, je me suis engrunée ! Et toi ! fous-moi à l’hôpital !

A table, elle observe Maria avec acuité et ne cesse de disserter sur son appétit,  elle me prend à témoin, quête ma complicité ; je la lui accorde pour la reprendre immédiatement en mettant sa victime dans le coup. Elle proteste vivement de l’innocence de ses réflexions ! S’il y a faute, elle en rejette la responsabilité sur moi et mon mauvais esprit ! On se fend bien la gueule ! :

Dis donc, qu’est-ce qu’elle engoulit ! Faut pas l’avoir en pension ! Si moi je mange rien, elle, elle mange pour deux ! Et le piment ! Elle va avoir le feu au train ! C’est une carnassière ! Elle a un cul comme un rémouleur –sic- !

Je suppose qu’elle fait allusion à la position du repasseur de couteaux sur sa sellette qui était censée lui permettre de travailler confortablement ( ?) et qui devait finir par lui épanouir le prose. Voilà qui me paraît complètement injuste, Maria  est bien peu brésilienne du côté valseur ! Elle commence à se faire au vocabulaire de Mamie ça la fait marrer ; je n’interviens que pour traduire dans mon portugais bricolé les bribes qui lui échappent, elle se marre encore plus !

Y vaut mieux la tuer que la nourrir !

Ma mère commence à détester la toilette ! Il fait 25 dans la baraque, je transpire, on lui met le radiateur dans la salle d’eau, elle a froid ! Maria, hilare, a entrepris de la coller sous la douche et de lui laver les douilles.

Oh ! Maria ! Tu me secoues comme un prunier ! Oh ! Maria, j’ai froid ! Oh Maria !