“Les routes qui ne disent pas le pays de leur destination, sont les routes aimées.” René Char

Auteur/autrice : Albert Page 4 of 7

11-Bibi

         J’aime les animaux, tous plus ou moins ; par exemple j’aime un peu les chevaux, pas mal les vaches, beaucoup les chiens… Je respecte les araignées et ne les tue jamais mais nous n’avons que des rapports assez éloignés ; pareil pour les serpents ; j’ai été guéri de ma phobie herpétologique au début de mon séjour au Gabon quand j’ai massacré au fusil à pompe un python de près de trois mètres qui traversait la piste sans rien demander à personne. On était dans ce pays soi-disant à la recherche de la fille de Georgia, Andréa, elle s’était cassée avec un gabonais qui avait le triple de son âge. On a atterri à Port Gentil après dix heures de vol épuisantes assis sur le sol d’un Falcon bien conservé mais dont tous les éléments de confort étaient restés à l’aéroport de départ. Mini compagnie d’une dizaine de couillons surarmés et perclus de douleurs acquises dans ce coucou de merde ; j’ignore encore aujourd’hui ce que j’étais allé faire dans cette galère : Andréa ne me plaisait qu’à moitié et me manifestait une indifférence hautaine à laquelle je n’étais pas accoutumé ; elle avait cependant un physique absolument renversant pour ses douze ans ! Entre le tarmac et les premières maisons encore intactes, on a eu le temps de voir défiler l’équivalent d’un zoo de province au vingtième siècle. C’est là que j’ai exécuté mon boa. Un vieux briscard que j’avais surnommé John Wayne parce qu’il mesurait un mètre cinquante et pesait cent vingt kilos, s’est arrêté pour me voir faire et me dire tout calmement : T’es un vrai connard, toi ! J’ai juré ce jour-là que plus jamais je ne tuerai un serpent, quel qu’il soit, et j’ai tenu parole ; même le céraste qui, quelques années plus tard, m’a mordu et a bien failli avoir ma peau, s’en est sorti sans égratignure. Pour finir le pilote nous a rejoint en vitesse, la radio venait de le prévenir de deux choses : primo on avait retrouvé la gamine dans un boxon à dix kilomètres de chez elle, son gabonais s’était fait dessouder en essayant de la vendre à un petit voyou de derrière la montagne et secundo que toute une flopée de mercenaires de ces régions équatoriales marchait vers Port- Gentil pour nous en mettre une bonne ! Le plein fait on a décollé en catastrophe ; j’ai pas bougé de mon plumard pendant douze heures après notre retour.

         J’ai un grand setter que j’adore et qui me suit partout, il est dans la voiture en permanence et me rend au centuple l’attachement que je lui porte. Mais je crois bien avoir un faible pour un autre animal rarement apprécié tant ses qualités réelles sont masquées par un défaut récurrent auquel je crois bien devoir la vie. J’explique. Nous avons depuis toujours un grand troupeau de chèvres un peu bâtardes croisement de lorraines et de poitevines qui nous fournissent en abondance lait, fromage et délicieux chevreaux que l’on cuit à la broche ! Cybelle est passionnée par cet élevage et elle a en permanence une dizaine d’élèves qu’elle forme à cet effet et qui effectuent la plupart des tâches réclamées par cet animal rustique mais exigeant. Quelques boucs forment l’essentiel des porte couilles du troupeau et n’hésitent pas à couvrir un maximum de ces demoiselles, c’est là le passetemps qui leur convient le mieux et ils s’y adonnent avec ardeur entre deux bagarres et quelques siestes réparatrices. Parmi ces gentlemen il en est un que j’ai adopté et qui me sert de partenaire pour de nombreux jeux. C’est Bibi. Ne vous y trompez pas, c’est un vrai, pas une version édulcorée du bouc de la fable. Il est courageux, intelligent, vindicatif et particulièrement vicelard. Il garde les lieux bien mieux que n’importe quel molosse et si j’étais un cambrioleur, j’irais exercer mes talents bien loin de ses cornes. Un jour il a surpris un rôdeur qui nous avait piqué quelques poules et qui partait tranquillement pour profiter de sa bonne fortune. Bibi a foncé sur lui, l’a dépassé et s’est planté devant le portail pour l’empêcher de passer. Je pense que si l’autre avait laissé quimper et était sorti de la cour les mains vides, Bibi n’aurait pas bougé. Mais l’abruti a saisi une fourche et s’est mis à menacer le bouc qui l’a évité rapidement pour lui foncer entre les jambes. Il l’a soulevé du sol par les bienheureuses et l’a laissé retomber sur le dos, l’autre s’est roulé en boulle en se tenant le service trois pièces et l’animal s’est mis à tourner autour en lui plaçant des grands coups sur toutes les parties du corps. Il a fallu que j’intervienne avant qu’il le transforme en steak tartare. Je l’ai trimballé jusqu’à l’hospitalet où ils ont mis un moment à le reconstruire ! Bibi peut être attelé à des mini sulkys avec capotes que mon grand-père avait fabriqués pour les mômes : quand c’est lui qui s’y colle c’est beaucoup plus sportif qu’avec les poneys ou les ânes que l’on utilise habituellement. Les mômes adorent ces rodéos. Moi je m’entraîne à la cogne avec ces boucliers rembourrés dont on se sert pour la boxe et le rugby. Y a intérêt à faire gaffe car ce salopard essaye de taper par-dessus ou par-dessous pour chopper le visage ou les cannes ! On peut passer des heures à rigoler avec ce cogneur ! Je ne crois pas qu’un seul jour passé dans la vieille maison ne me donne l’occasion de rencontrer Bibi et d’échanger avec lui, des paroles et des gnons ! Et puis ce matin je trouve qu’il a changé, je lui tourne autour pour savoir ce qui ne va pas, je m’inquiète, serait-il malade ? J’interroge Cybelle et les filles qui me disent n’avoir rien remarqué ; l’animal effectivement semble avoir son comportement habituel actif et grognon. Je m’interroge de plus en plus intensément, que se passe-t-il ? En fait je finis par comprendre, tout est normal chez lui, c’est chez moi que ça déconne ! Si vous avez déjà côtoyé un bouc et dans une moindre mesure une chèvre vous avez dû remarquer la caractéristique principale de ces braves bêtes : ça pue que ça empoisonne ! Chez le bouc, ça suinte un max et dégage en particuliers des phéromones-like ce qui attire les chèvres et refoule les narines sensibles. Je ne sens plus rien ! Au petit déjeuner déjà je trouvais insipides mes œufs-saucisses-lard gras. Plus de goût, plus d’odorat, tu sais ce que cela signifie mon brave ! J’ai choppé le virus et j’ai une chance de m’en sortir si je m’y prends dès maintenant, il ne me reste plus qu’à préparer la piaule et à commencer le pauvre traitement mis en place par quelques docteurs Miracles. Ensuite ce sera à la grâce de qui vous voulez, priez pour moi, moi je ne sais pas faire !

10-Win

         Les gens qui connaissent mal les armes sont persuadés qu’il n’existe qu’une marque de carabine à levier de sous garde ils disent Winchester pour désigner tout ce qui fonctionne en abaissant la partie qui enserre la détente et forme le pontet, ce qui permet de chambrer une balle et d’armer le chien. Cette marque fonctionne dans l’esprit de tout un chacun comme on désigne tout réfrigérateur par le nom de Frigidaire. Quand on regarde vers les Etats-Unis, on voit une pléiade de marques qui utilisent le fonctionnement à répétition manuelle à levier de sous-garde : Marlin, Savage, Mossberg, Henry, Browning… Toutes ne font pas référence à Winchester et ont parfois des systèmes très différents. La grande différence tient au magasin d’alimentation qui peut-être un tube sous le canon ou un chargeur classique ; le tube a pour lui de renfermer plus de cartouches que le chargeur, mais comme elles sont alignées les unes derrière les autres, il est nécessaire d’utiliser des pointes plates ou molles pour éviter qu’en heurtant l’amorce contre laquelle elle sont appuyées, elles ne fassent partir le coup ; ce qui serait dommage pour le tireur et pour l’arme. Les Browning ont des chargeurs classiques où les munitions sont empilées, on peut ainsi chambrer des balles de très forte puissance à pointes dures. Quand nous avons découvert la cache d’armes d’une maison où tous les occupants avaient claqué, ce fut une grande fête : toutes les armes des 19ème et 20ème siècles se présentèrent à nous dans un état proche du neuf, à tel point que nous avons tout embarqué pour pouvoir choisir. A tout seigneur tout honneur je pris une Winchester classique en 30X30 qui paraissait sortir d’usine. Je disposais ainsi d’une arme fiable et pour laquelle les munitions ne manqueraient jamais. Une Savage 99 en 300, même état pour avoir un peu plus de puissance. Enfin une Browning BLR en 450 Marlin pour les gros sangliers et les gros cons !

Avec Mic j’ai tiré des milliers de cartouches à l’entraînement, dans toutes les positions et dans toutes les situations possibles. On s’entraînait à vider les chargeurs le plus vite possible en tir de saturation sans sortir de la cible, c’était presque de la répétition automatique. C’est encore avec la Savage que je me suis le mieux sorti des scénarios que nous avions imaginés. Par exemple, blessé, un bras inutilisable comment recharger et tirer avec une carabine à levier. J’arrivais à recharger en lançant la carabine en avant sur le côté pour ouvrir la culasse et en la ramenant vers moi pour la refermer ; ou bien je la faisais basculer pour l’ouvrir dans un mouvement circulaire et je la rattrapais dans un mouvement inverse, la carabine semblait décrire un cercle parfait. Je me suis parfois esquinté le poignet ou la main mais à chaque fois je me retrouvais avec la mire et le guidon bien alignés et mon tir restait très correct. Attention les vilains ça va cartonner ! On tirait après une roulade ou en dévalant une pente couchés sur le côté… Pareil pour les tirs depuis un véhicule, les cibles alignées le long de la piste attendaient notre passage, on lâchait le volant et ça pétaradait sec, les résultats restaient très encourageants. Les cibles étaient touchées à tous les coups et nous étions prêts au combat. En réel nous nous sommes sortis un jour d’un piège tendu par des malfaisants bien décidés à nous gâcher le pelage !  Ils nous attendaient en sortie de village, bien alignés de part et d’autre de la route ; on s’attendait à du grabuge et on portait des gilets pare-balles comme chaque fois que nous partions en rumba et le Hummer était spécialement équipé par les Marreau pour offrir un max de protection en cas d’orage. Ces abrutis étaient si certains de nous trouer qu’ils ne se sont pas protégés, j’avais la Win et Mic la Marlin, je crois qu’on a vidé les magasins dans ce seul passage ! Les guignols dégringolaient comme à l’exercice, je ne sais pas si un seul est resté debout, on ne s’est pas attardés ! Bien longtemps après les quelques témoins de l’affaire parlaient encore avec enthousiasme de notre exploit !

9-Victor Dit L’Ennui-joute à l’ancienne

Victor on savait qu’il n’oublierait pas. Pour bien nous montrer qu’il avait pigé à qui il avait affaire, deux jours après notre retour il nous invite à la fiesta hebdomadaire de Morane ; on sait qu’on ne risque rien dans ce cadre, la moitié des chefs de sections de la milice y était systématiquement invités. Mic se réjouissait de la chose, moi moins. Ce charognard était en train de goupiller un coup tordu et on était à coup sûr les héros de la fête ! Bien entendu il n’était pas question de se défiler, il fallait y aller ! J’étais un peu méfiant, mon camarade avait l’air surexcité à l’idée d’aller dans l’antre des malfaisants, il préparait lui aussi un sale coup et je n’avais guère envie d’en payer toutes les conséquences. Ces moments étaient propices aux grandes beuveries et aux jeux les plus violents, ils se terminaient rarement sans qu’il y ait des victimes, blessures plus ou moins graves et parfois morts que l’on qualifiait d’accidentelles ou naturelles, car comme disait l’inspecteur Triquet il est naturel de mourir quand on prend un tel coup sur la tête ! Les joutes en quatre quatre était particulièrement spectaculaires et saignantes, les candidats se tenaient sur une plateforme installée en hauteur à l’arrière des Jeeps ; Ils étaient comme dans l’ancien temps, équipés de lances et de boucliers ; cela se présentait comme les joutes de la Saint-Louis dans le canal à Sète, sauf que le jouteur qui perdait n’avait pas besoin de savoir nager ! C’était un spectacle de choix et cela soulevait l’enthousiasme de cette réunion de bâtards assoiffés d’hémoglobine ! Je me tenais à l’écart, je ne voulais pas être invité à participer au massacre. Je l’avais déjà fait mais je n’étais pas assez lourd pour m’opposer aux gros cons d’en face. A chaque fois j’étais descendu plus vite que je n’étais monté et mes vols planés n’avaient pas eu de conséquences néfastes. Par contre cette andouille de Mic se pavanait devant les tribunes et apostrophait les spectateurs pour essayer d’en persuader quelques-uns de l’affronter. En fait on voyait bien où il voulait en venir quand il se décida à interpeller Victor en se foutant de sa gueule et en le traitant de vieillard ! J’avais vu ce dernier jouter à maintes reprises et jamais tomber du perchoir, il était solide et surtout il avait un sens de l’équilibre qui surpassait tout on l’aurait cru rivé à sa planche ! Sur une dernière provocation de mon ami, on vit Victor se dresser en souriant hideusement et descendre des gradins en prenant son temps. Il avait toute une équipe qui s’occupait de lui, on le préparait au combat comme on faisait pour les gladiateurs de l’ancienne Rome. Il était enfin debout sur la tintaine une lourde lance à la main armée d’un redoutable poinçon à trois pointes et un bouclier qui avait beaucoup servi. La jeep lui fit faire le tour de l’arène et il reçut les acclamations qu’il attendait. Mic était monté sur sa plateforme presque discrètement et semblait bien léger par rapport à son adversaire. Les véhicules se firent face et la musique s’éleva aussitôt, fifres et tambourins jouant un vieil air de bataille. Quand ils se croisèrent, Victor avait bien ce ntré son coup sur le bouclier de Mic, lequel n’insista pas et sauta de son perchoir. Quatre fois nous eûmes droit au même scénario, il sautait à terre sans attendre que le choc soit plus appuyé. Il remontait aussitôt. Le vieux semblait énervé et fatigué, le public était en plein délire, pour du spectacle y avait du spectacle ! Au cinquième passage, on croyait qu’allait se rejouer la même séquence et effectivement la pointe de la lance se cala sur le bouclier de Mic avant qu’il atteigne lui-même son adversaire. Mais là devant les yeux abasourdis de la foule qui retenait son souffle et ses cris, le jeune homme qu’on donnait perdant depuis le début, s’accroupit en levant le bouclier sur lequel la pointe acérée ne s’enfonçait plus et glissait vers le bord, il pointa sa lance en avant en s’étendant au maximum et planta son trident dans les couilles du vieillard, lequel avait lâché ses armes et tentait d’écarter ce dard qui le transperçait. Les véhicules ne s’étaient pas arrêtés et Mic pesait au maximum sur son arme au point qu’on la vit jaillir du cul du pauvre type ! Il tomba lourdement sur le dos en entrainant le dard qui l’avait traversé. Son adversaire leva les bras au ciel en poussant un hurlement de triomphe. Je me demandais si nous étions vraiment débarrassés de Victor et je souhaitais intensément qu’il en crevât.

8-Victor Dit l’Ennui-Bagarre buissonnière

J’avais un tas de motifs de satisfaction, je me plaisais à l’école où madame Tilane faisait grand cas de mes dispositions et de mes compétences et où les filles semblaient toutes s’intéresser à moi ; nous étions accoutumés à consacrer les moments de loisirs à nous ébattre et à cultiver au maximum des échanges physiques dont on ne se lassait guère. J’avais choisi Kimiko comme compagne habituelle et elle consacrait l’essentiel de son temps à essayer de me faire plaisir : elle semblait surtout occupée à me donner une satisfaction de tous les instants en obtenant des jouissances qui me paraissaient infinies et pouvaient aller jusqu’à la douleur la plus délicieuse ; si bien que je pouvais me demander si je n’allais pas finir par en crever et nous dûmes freiner ces ardeurs avant qu’elles ne m’achèvent ; je ne me sentais pas mûr pour l’épectase ! Heureusement pour moi, cette jeune beauté avait en elle toutes les qualités d’esprit pour répondre à mes aspirations et nous passions de longs moments à débattre des questions du moment, à commenter nos lectures et les films dont nous nous gavions quotidiennement. Nos camarades nous servaient de public et de répondants insatiables. Seul Mic affectait ne pas trop prendre au sérieux nos débordements intellectuels, il attendait patiemment que je me dégage de ces enfantillages pour le suivre dans ses courses à travers la brousse. Il nous arrivait souvent de partir pour plusieurs jours, insensibles aux reproches qui pleuvaient à notre retour. Nous avions tant à découvrir que les quelques moments que j’arrachais aux études et aux débordements des corps ne suffisaient plus. Dans nos avancées à travers cette nouvelle jungle, nous découvrions chaque jour des merveilles… ou des horreurs. Voyez cela.

         Il se faisait appeler Bob Morane et se prenait pour un homme important alors que tous savaient la fripouille qu’il était : lâche, cruel et d’une redoutable bêtise. Il faisait l’objet d’une surveillance permanente de la part de la milice. Il avait jusque-là échappé aux déboires les plus cuisants auxquels il était promis, non par ses qualités de stratège ni par une chance insolente qui semblait ne pas vouloir l’abandonner mais par l’habileté diabolique de son second, Victor Dit L’Ennui. Voilà un personnage intéressant ! Personne ne comprenait pourquoi il protégeait Morane ! Personne ne savait ce qu’il avait dans l’esprit ni ce qui lui donnait cet air de se faire chier en permanence, de mépriser l’ensemble de ses semblables, son patron en tête ! Il parlait peu, ne se livrait jamais et regardait les autres comme s’ils étaient transparents. Par ailleurs, sans être bagarreur, il était d’une force et d’une férocité sataniques dans les combats. On l’avait vu plusieurs fois casser des reins à mains nues et déchirer des gorges avec ses doigts crochus. Drôle de zigue ! Morane faisait du trafic, il était à la tête d’un troupeau de mecs tellement crados qu’on les surnommait les dandies ! Ils prenaient le maquis régulièrement et revenaient chargés de matos et de minerais de houille qu’ils échangeaient contre des terres et des maisons encore saines. Ils avaient colonisé tout un coin de paysage où nul n’avait le droit d’entrer sans autorisation expresse de Morane. Cette activité apparente masquait disait-on un trafic beaucoup moins moral mais beaucoup plus lucratif. La houille était extraite des anciennes mines qui avaient été fermées dans le vieux temps. Chacun pouvait aller creuser dans les anciennes galeries et beaucoup de gens se chauffaient au charbon. Ceux qui ne pouvaient pas donner des objets ou de la nourriture en échange avaient tout loisir d’aller se servir dans les mines. Souvent on avait éventré les vieilles galeries à la dynamite et le charbon pouvait être extrait dans les énormes trous qui s’étaient créés, il fallait toujours descendre mais on était à l’air libre.

         Avec Mic, nous avions décidé de découvrir à quel bricolage se livraient les dandies au profit de Morane. Deux raisons à cela : c’était dangereux et cela nous servait de test pour nos futures escapades.

         Cinq heures du matin le Toy serpente entre les mélèzes suivant une piste à peine visible mais que Mic connaît par cœur. Je suis toujours étonné de voir que ces grands arbres sont descendus dans les plaines, les changements climatiques dit-on. Ils ont peu à peu remplacé les douglas et les platanes qui bordaient des routes à présent disparues. Ils ont l’avantage de préserver un sous-bois plus clair que les autres espèces qui facilite les déplacements dans ce qui est devenue une forêt là où les champs de blé s’étendaient à perte de vue. Nous sommes à la poursuite de Victor Dit L’Ennui et je trouve qu’on le suit de beaucoup trop près ; je finis par comprendre que Mic souhaite être repéré par ce gibier difficile, il rêve de l’affronter comme beaucoup d’apprentis cow-boys qui se sont cassés les dents sur un vieillard minable ! Il en a tués ou estropiés des wagons ; il préfère les laisser à moitié en vie pour qu’ils aillent raconter leurs exploits. J’ai du mal à piger ce qui motive encore ce malandrin hors d’âge qui n’a plus rien à prouver et semble mériter son blaze tellement il a l’air de s’emmerder en permanence.

  • Bon t’arrêtes tes conneries il nous a repéré maintenant, on se casse…
  • Rien du tout tu m’attends là je continue à pieds

Il agrippe la Marlin 444 et saute de la bagnole en vitesse. Je suis pas bon pour poireauter et il est hors de question que je le suive. Je prends le volant et je fais demi-tour en vitesse. J’ai repéré un embranchement un peu plus tôt et je me jette dans la minuscule trace qui grimpe à l’assaut de la colline. Tout en haut la vue est dégagée et on aperçoit par moment des bouts de la piste principale. Moi j’ai une Savage en 300 à levier de sous garde, ça suffit largement pour ce que j’ai prévu de faire si ça se gâte. J’ai la visibilité sur deux cents mètres tout autour de ma cache, j’ai planqué la bagnole dans un bosquet et personne ne peut la voir avant de se casser le nez dessus. En fait vous l’avez deviné, j’ai les jetons ! Mic est gonflé, il n’a peur de personne, moi, Victor me fout les flubes ! Et voilà que ça se met à pétarader. Je reconnais la voix de la Marlin mais ce qui lui répond me paraît beaucoup plus étoffé, on dirait du 50, Apparemment l’ennemi est bien équipé ! Le dialogue se poursuit, Mic semble avoir trouvé une bonne position de tir et ça canarde dru. Leur voiture a fait demi-tour, je m’attends à les voir surgir d’un moment à l’autre ; entre deux massifs, je les vois passer à petite vitesse, j’aperçois bien le Barrett 50 -où ont-ils trouvé ça ? -, mais il n’y a personne pour s’en servir, on dirait que mon copain a fait quelques dégâts ! Leur voiture a dépassé l’embranchement, peut-être n’aurais-je pas de visite dans l’immédiat ! Je ne bouge pas, je sais que s’il s’en donne la peine, le camarade me retrouvera sans mal ! Et les voilà de retour et encore une fois ils passent l’embranchement sans même ralentir. Peu après je les vois disparaître derrière le dernier bosquet. Je continue à attendre sans m’impatienter, tout peut encore arriver. Il y a à deux cents mètres un bouquet d’arbustes genre aliziers que je pense avoir vu bouger ; j’ai le plus gros de ces arbustes dans ma ligne de mire, si un connard sort de là je suis sûr de le tailler en pièces. Et puis la végétation se met à causer :

  • Fais pas le con l’ami, ce n’est que moi qui reviens des pâquerettes ! Il a pas parlé bien fort mais dans le silence environnant, j’ai l’impression de l’avoir à côté de moi.

Il sort de la broussaille comme une apparition et se dirige vers moi sans se presser, il boitille. Ce n’est rien qu’une légère entorse qu’il s’est faite en sautant dans le fossé quand ça a commencé à sentir le roussi. Il est tout fier, il en a flingué deux. C’est Victor qui doit être content. On s’est quand même décidés à rentrer, la chasse reprendra une autre fois.

7-La pyramide des âges

La pyramide des âges avait une drôle de gueule et d’après les quelques experts qui s’intéressaient à la chose, c’était du jamais vu, de l’inédit, de l’ahurissant ! D’abord la partie femelle connaissait une harmonie certaine, on trouvait des femmes à tous les âges de la vie et, comme déjà vu, en plus grand nombre que les hommes même si elles n’étaient pas à l’abri de l’épidémie ; les hommes montraient une répartition pour le moins surprenante : beaucoup de jeunots et de vieillards et presque rien pour les âges intermédiaires ! En fait on le constatait tous les jours si on atteignait l’âge de vingt ans sans chopper cette merde qui continuait à circuler librement on avait des chances de vivre très vieux. De même si on avait le bol(?) de tomber malade et de ne pas claquer on pouvait compter vivre tout aussi vieux que les précédents. Mais peu de mecs se sortaient d’une atteinte du virus et peu aussi arrivaient à vingt ans. De plus on avait constaté que selon les origines, on n’était pas à égalité : les méditerranéens s’en tiraient pas mal, ils claquaient moins que les gens du nord ; les populations arabes semblaient être dans la même catégorie que les méridionaux, les africains noirs et les polynésiens par contre s’en sortaient très mal, l’Afrique était dévastée et Tahiti et la Nouvelle Calédonie des champs de ruines où peu de survivants erraient à la recherche de va savoir quoi… Curieusement il y avait des exceptions, Madagascar, l’Australie, la Nouvelle Zélande avaient perdu beaucoup moins de population que leurs voisins plus ou moins éloignés. Ceux qui supportaient le mieux ces misères, c’étaient les japonais, les autres peuples d’Asie dans leur ensemble étant soumis au même régime que les populations européennes. Ce bordel atroce avait eu des conséquences sur les sociétés de survivants : on ne vivait plus comme avant et les valeurs sociales étaient bouleversées. On l’a vu plus haut, le prix de la vie avait changé en même temps que la mort devenait la banalité quotidienne. Les gens s’étaient endurcis et dans le même élan avaient pris l’habitude de s’entraider !

On s’occupait beaucoup des vivants. Les gamins étaient couvés dans des gynécées de fortune, on dormait par terre sur d’énormes futons, filles et garçons, corps mélangés recouverts de tas de couvertures et d’édredons ; personne n’avait froid ! Au résultat, l’éveil sexuel des garçons était difficile à dater. Je n’ai dans mon souvenir aucune trace de sortie de virginité ! Je me rappelle les sexes de fillettes plus ou moins glabres et plus ou moins congestionnés qui se frottaient à moi, s’offraient à ma bouche ou à ma zezette qui n’en pouvait mais ! Quand eu-je ma première érection ? Ma première émission de semence ? Je ne revois qu’un mélange de chairs tendues ou alanguies, des langues qui s’attardaient sur toutes les parties de mon corps, des bouches impatientes qui me gobaient me suçaient et réclamaient des baisers de plus en plus prolongés et gourmands. Je me retrouvais tout trempé, turgescent ou flaccide, ne sachant plus de quoi j’avais envie, ni si j’avais encore envie de quoi que ce soit. Coincé par les désirs de ces apprenties femelles qui découvraient leur sensualité en direct sur les ventres et les reins d’apprentis Casanova . En proie aux délicieux tourments de la chair offerte à satiété, je jouissais sans savoir vraiment ce qui se passait entre nous, sans comprendre qu’à l’âge ou j’aurais dû encore pisser au lit j’étais en train de devenir un mec à part entière ! Petit à petit on se domestiquait aux plaisirs de la peau, des muscles, des tendons, on se transformait en spécialistes de l’anatomie, en reconnaissant à coup sur les recoins qu’on n’aurait pu nommer mais qu’on avait appris à désirer et vers lesquels on se dirigeait de préférence. On se mit à choisir et à retrouver le plaisir dans ces choix, on avait quelques partenaires d’élection, d’érection, on savait qui pour la fellation, qui pour la minette et qui pour la sodomie, on savait avec qui s’endormir après des excès de jouissances partagées ; au matin on se réveillait dans des bras que l’on sentait aimant et on pouvait recommencer ou jouir de l’instant de douceur qu’offrait le petit jour complice et attendri ; ou bien les deux !

Au résultat, entre dix et onze ans j’étais presque adulte, dans ma tête d’ailleurs je l’étais, comme en plus j’avais la chance d’être plutôt grand et costaud, on m’aurait facilement donné quinze ou seize ans ; ça aussi ça m’arrangeait bien en m’ouvrant l’accès à toutes les facilités et les plaisirs dont jouissaient les adultes, je pouvais boire, jouer aux cartes, me bagarrer et jurer comme trente-six charretiers… et surtout découvrir que tout ça c’était des conneries et qu’il y avait moyen d’employer sa vie à des choses beaucoup plus intéressantes, comme acquérir de plus en plus de connaissances et découvrir le monde et les moyens de le transformer à notre profit. Si l’école a été essentielle pour ma formation, Mic m’a guidé dans la nature où il avait tout à me faire découvrir. Nous étions comme les doigts de la main et ne faisions rien l’un sans l’autre. C’est beaucoup pour cela que ma vie à dérivé et que j’ai commencé à déconner sérieusement : je voulais tout tout de suite sans comprendre ce que cela représentait pour mon avenir qui s’annonçait pour cela plutôt sombre ! D’ailleurs j’ai entamé le reste de ma vie en étant persuadé que tout ça allait tourner court, je venais juste de chopper cette vérole moderne qu’ils avaient baptisé Covid 119 B !

6-La milice

La Milice dite Petite armée fut initiée par mon père, madame Georgia et Arnaud. Ils étaient chacun à la tête de bandes organisées qui s’étaient formées presque spontanément au début des évènements et dont la tâche première était l’autodéfense et la lutte contre les hordes de cinglés terrorisés par l’épidémie qui réagissaient en s’attaquant aux faibles et aux isolés incapables de se défendre. La plupart de leurs victimes étaient déjà à moitié mortes, virus ou /et conditions de vie épouvantables, demi-vies suicidaires, alcools que l’on trouvait en masse un peu partout, médocs pillés dans les pharmacies désertées… on avalait tout avec des résultats plus ou moins heureux : pour un veinard qui avait trouvé de quoi éteindre pendant des lustres toute crainte et tout désespoir, des masses d’imbéciles se détruisaient l’estomac ou ne s’arrêtaient plus de pisser ou de chier suite à la prise par poignées de diurétiques ou de laxatifs. On rigolait bien en massacrant ces épaves qui crevaient dans leur merde, se noyaient dans leur pisse ou rendaient l’âme en vomissant !

On racontait qu’avant de se mettre en ménage avec Arnaud, madame Georgia avait eu une passade pour mon père, chose que je n’ai jamais vérifiée mais qui pouvait expliquer leur rapprochement et la fusion des trois groupes de combattants. Toujours est-il qu’en peu de temps une véritable force de l’ordre naquit de cette fusion et la répression s’abattit avec férocité sur les sauvages incapables d’opposer une réelle résistance à ce bulldozer qui les laminait. On investissait les lieux où se perpétraient les crimes et la plupart du temps on agissait en flagrant délit. Il n’y eut point d’arrestations ni de jugement, point de procès : les rencontres se soldaient par des exécutions sommaires et sans pitié, on ne s’embarrassait pas de détails ceux qui fuyaient étaient tirés comme des lapins et ceux qui, couverts du sang de leurs victimes, faisaient mine de se rendre étaient immédiatement passé par les armes. Certains, plus intelligents, plus calculateurs, ou lassés des massacres sans rime ni raison, avaient compris que la fête était terminée. On en vit de plus en plus se présenter avec armes et bagages pour être enrôlés dans la milice. Avec succès pour la plupart ; mais ceux que l’on connaissait de réputation, les ordures qui s’étaient particulièrement illustrés dans les joyeux massacres d’antan, on les parquait dans des enclos d’où on les extrayait un par un pour aller faire une dernière ballade en compagnie de spécialistes de la dératisation.

La petite armée était devenue grande, les trois chefs historiques, les super préfets avaient formés un état-major de sous-lieutenants qui faisaient fonctionner la machine. La milice était devenue exemplaire par sa discipline et par le courage et la loyauté de ses troupes. L’ensemble des combattants, célibataires, étaient logés dans l’ancienne caserne d’un RPIMA quelconque dont on avait oublié les hauts faits. Modernisée, la caserne accueillait indifféremment les garçons et les filles qui partageaient avec ardeur les tâches quotidiennes ; ils mangeaient ensemble, dormaient dans les mêmes dortoirs aménagés de façon à respecter un minimum d’intimité mais se douchaient ensemble et pouvaient s’ils le souhaitaient pratiquer librement le coït, ce que l’on considérait comme essentiel à leur équilibre psychique. Si un combattant envisageait de se marier on lui attribuait un des bungalows qui avaient été bâti tout autour de la caserne et un accès aux jardins communaux où chacun pouvait à sa guise faire pousser ce qu’il voulait, salade ou cannabis, nul n’était chargé de surveiller les récoltes. La milice gérait une énorme ferme : des hectares de céréales, un troupeau immense, un moulin, des fours, un abattoir… une école avait été construite où chacun était libre d’aller, gosse ou adulte. Bibliothèque, cinémathèque, centre de conférence… Rajoutez ce qui vous vient à l’esprit, y en a !

Je savais que mon père aurait souhaité me voir postuler et ses amis n’auraient sûrement pas été contre. Cybelle était déjà adulte et lancée dans la vie avec son magicien, moi j’avais juste l’âge qui convenait, l’intelligence suffisante et l’habileté au maniement des armes qui allait avec. Il y avait pourtant un hic : rentrer dans les rangs de la milice, c’était au sens propre rentrer dans le rang et ça, ça me faisait royalement chier ! De plus Mic me poussait au cul pour qu’on foute le camp suffisamment loin pour échapper à l’influence de nos parents et amis et qu’on se mette à vivre à cent à l’heure. Et cela je vous l’ai déjà dit, ça m’allait très bien. On va voir tout ça un peu plus loin !

5-La pandémie

         La pandémie a démarré sans prévenir : le premier jour ou ce qu’on a cru être le premier jour, on s’est retrouvés avec des tonnes de malades, les hôpitaux ont été immédiatement débordés les gens sont restés chez eux et se sont mis à crever comme des bêtes. On découvrait des maisons entières sans âme qui vive, les quelques résistants qui n’avaient pas perdu l’esprit ont réagi comme il se doit en cherchant des raccourcis pour se débarrasser des corps qui encombraient le paysage ; mon père m’avait raconté comment avec une poignée de citoyens ils s’étaient mis à brûler un maximum de cadavres pour essayer de gagner du temps et de préserver au mieux les miraculés qui n’avaient pas encore été touchés. Il avait eu l’idée de remettre en route les vieux incinérateurs d’ordures, c’était peu respectueux mais en fait il n’y avait rien ni personne à respecter, il n’y avait de place que pour les actions les plus rapides et les plus efficaces. Les centrales fonctionnaient nuit et jour, le ciel était garni de gros panaches noirs et à la tombée du jour on apercevait les lueurs qui émanaient de ces lieux infernaux. La campagne déserte résonnait des meuglements désespérés des vaches qui n’avaient pas été soignées et qui attendaient des mains habiles pour traire leurs pis congestionnés. Des volontaires s’étaient chargés de mener des troupeaux entiers vers des centres de traites abandonnés. Les animaux en surnombre étaient abattus et les viandes traitées et mises en conserve ou en chambres froides. Tout fonctionnait encore, ne manquait que la main d’œuvre ! Partout on découvrait des scènes d’apocalypse ; par exemple à deux pas de chez nous, les porcs affamés avaient défoncé les portes qui les empêchaient de sortir pour se nourrir, ils avaient dévoré les macchabés qu’ils trouvaient un peu partout et il ne restait plus grand-chose à brûler quand les ramasseurs de cadavres s’étaient pointés. De toutes les masures abandonnées des hardes de bestiaux et des nuées de volailles s’échappaient pour gagner les forêts environnantes et se nourrir ou servir de nourriture. En peu de temps les cours de fermes se sont vidées, celui qui voulait un poulet, une pintade, une oie, une dinde, un lapin, un cochon… n’avait plus qu’à décrocher la vieille pétoire du pépé et s’enfoncer dans ce qui redevenait une jungle ; il n’y avait pas à courir, en lisière de bois on rencontrait à peu près tous les volatiles et il ne fallait pas aller beaucoup plus loin pour trouver un lapin redevenu de garenne ou un goret qui se prenait pour un phacochère ! A partir de là, je crois que plus personne n’eut faim dans notre région, les maladroits pouvaient compter sur les plus habiles ou les plus sanguinaires pour les fournir en viandes diverses. Pour le quotidien un système d’échange s’était installé qui permettait d’avoir à manger contre de menus objets ou des services divers. Les gens redécouvrirent les agréments du potager et du verger et il fallut peu de temps pour que les marchés reprennent vie autour des villages au trois quart inhabités ! Jamais les compétences ne se sont perdues et tout fonctionnait à la va comme je te pousse, même dans les domaines les plus pointus. En peu de temps les activités diverses ont repris, avec beaucoup moins de monde pour s’en occuper et des délais qui s’étaient considérablement allongés ; on réapprit la patience et le temps fut largement laissé au temps. Si bien qu’enfin on s’aperçut que des progrès s’étaient fait jour et que la recherche s’était lentement remise en marche. Des jeunes gens qui jusque-là n’avaient montré que peu de goût pour les activités intellectuelles ou d’ingénierie, se mirent à fabriquer de nouvelles machines et à découvrir de nouvelles pistes de progrès. Alors que les carburants ne manquaient pas, les voitures ayant de moins en moins d’utilisateurs, une bande de gamins qui croyait-on s’amusaient dans un labo avaient découvert le moyen de fabriquer de l’hydrogène de façon économique et pas loin d’être écologique. De nombreux groupes s’étaient consacrés à mettre en place un système d’échange un peu plus élaboré que celui qui s’était spontanément créé. De vieilles formules furent réactivées comme les SEL ou les perles du club Med et on ne désespérait pas de trouver le fonctionnement qui satisferait tout le monde sans revenir à l’égoïsme d’antan : les notions d’accumulation et de richesse n’avaient pas disparues pour autant mais elles étaient discréditées, l’ensemble de la population n’avait pas envie d’être riche !

Tout cela m’allait très bien mais finissait par être un peu frustrant, j’avais envie d’actions violentes et de transgression. Ceci étant, comment devenir bandit dans une société où le fric avait disparu et où il n’y avait plus de richards à dévaliser ? Comment devenir hors la loi quand la loi n’existait plus ou sous la forme dévaluée que lui avait donnée la milice. Je crois qu’il est temps que je vous explique ce qu’était cette milice et les ambitions qui la portaient depuis son fondement.

4- Le groupe

         Le groupe commençait à s’étoffer, les filles étaient devenues majoritaires et cela posait problème. Entendons-nous bien, personne parmi nous n’aurait eu l’idée de remettre en cause la présence des filles dans les sections d’assaut où elles pouvaient se montrer aussi courageuses que les mecs et souvent beaucoup plus féroces. Nous étions loin de toute idée de ségrégation, de parité et de la plupart de ces conneries qui avaient agité les anciens temps. Moi, par exemple, sur les dix combattants qui formaient ma section, j’avais choisi six filles que je connaissais bien et qui avaient toute ma confiance : dans la bagarre j’en ai jamais vu une reculer, hésiter ou se troubler en aucune manière et j’étais souvent obligé de forcer pour ne pas me laisser doubler par quelque furie assoiffée de sang ! Une de nos premières batailles nous avait vu confrontés aux Gismos qui s’étaient mis dans l’idée de gagner du terrain sur notre territoire, ou ce que nous considérions comme tel. Les Gismos tenaient tête aux patrouilles de la milice qui étaient limitées dans leurs actions par le strict respect de la loi. Nous la loi on s’asseyait dessus, tout était bon pour gagner les combats. Vu de l’extérieur on aurait pu penser que nous agissions en faveur de la milice puisque nous avions le même ennemi. En fait j’avais dans l’idée deux choses : les Gismos commençaient à nous courir sur le haricot avec leur expansionnisme à la con et surtout je pensais qu’il était temps pour nous de nous essayer à la bagarre en réel, l’entrainement me paraissant insuffisant pour mesurer notre force de frappe. La milice nous surveillait de près mais n’avait pas encore marquée son opposition à nos premières actions, soit parce qu’elles s’étaient déroulées dans des coins éloignés soit parce qu’elles se limitaient pour l’instant à des interventions rudes mais pas trop sanglantes. Et puis la milice, comme vous le verrez par la suite, était fort occupée à maintenir l’ordre dans un pays où le bordel régnait en maître. L’ambition d’Arnaud était de pacifier complètement le terrain pour essayer de donner un peu de calme et d’harmonie à une population complètement décontenancée par cette putain d’épidémie.

         Naturellement et sans que cela soit dit expressément, nous avions formé une sorte d’état-major censé donner un sens (?) à nos actions ; personnellement je tenais beaucoup à cela, je pensais que toutes nos démarches devaient faire l’objet de concertation et partir d’un consensus de tout le groupe. Ce fut assez facile à mettre en place, dans l’ensemble nos combattant(e)s aimaient combattre mais pas trop réfléchir ! Mic se foutait royalement de tout ça et me laissait totalement maître de l’organisation du boulot. J’avais deux ou trois filles qui me suivaient de près, étaient accoutumées à me donner leur opinion sur mes initiatives et me tenaient au courant de l’état général des troupes. Parmi elles j’avais une préférence marquée pour Kimiko que je jugeais très maline et qui était fort jolie. Elle descendait en droite ligne d’un groupe d’une centaine de japonais qui s’étaient fait coincer par le début de l’épidémie ; contraints de rester sur place, ils n’étaient jamais repartis et s’étaient agrégés sans mal à la population dans la mesure ou moins sensibles au virus, ils mouraient moins et rendaient de multiples services à la communauté ; on avait oublié pourquoi ils étaient là, ils avaient gardé des relations avec leur pays d’origine et assuraient des échanges précieux entre les deux pays. Pour moi, Kimiko était une alliée précieuse, irremplaçable. Vous allez voir en quoi.

         Réunion d’état-major, deux thèmes les Gismos et le ratio des sexes dans nos rangs ; il fallait d’urgence trouver des mecs costauds pour renforcer notre armée. Nos amazones aussi courageuses fussent-elles manquaient sérieusement de muscles. Ce que je n’ai pas vu venir c’est l’idée de Kimiko de conjuguer les deux thèmes.

         Les Gismos que l’on appelait le plus souvent La Famille occupaient depuis toujours une grande colline enserrée par les bras du fleuve qui avait repris son cours d’origine ; la butte des Farcies. Plusieurs préfets s’étaient mis en tête d’aller voir ce qui se passait sur l’île quand on eut vérifié que rien ne pouvait leur être directement reproché, on les laissa tranquilles. Pour parvenir chez eux, il n’y avait qu’un pont qui était gardé en permanence et que l’on ne pouvait franchir sans montrer patte blanche et un bac lui aussi étroitement surveillé. La Famille était dirigée d’une main de fer par Maman Dédée, un grand échalas sans âge ni sexe entouré de ceux qu’on croyait ses enfants, José, Mélie et Junior. Tous les trois énormes et parfaitement abrutis. L’île était habitée par une population très particulière ; Maman Dédée avait sélectionné ses ouailles selon leurs mensurations et leurs sexes, que des hommes tous grands et massifs et pas particulièrement remarquables par leur qualité intellectuelle, la butte des Farcies c’était pas le Collège de France ! Ils vivaient entassés dans un grand village d’où ils ne sortaient que pour aller piller quelques fermes mal protégées et quelques villages mal défendus. Ils faisaient venir régulièrement des femmes sur l’île pour satisfaire leur bestialité exigeante. Ils faisaient pousser un peu de tout et élevaient des cochons des chèvres et des oies pour leur consommation et pour un petit commerce qui suffisait à leurs besoins. Maman Dédée et ses sous-produits faisaient régner la terreur sur tous ces dégénérés qui n’auraient pas pensé une minute à se révolter et à confisquer le pouvoir à leur profit. Les filles qui débarquaient régulièrement pour satisfaire leurs appétits grossiers venaient des contrées alentour et étaient déposées par le bac en fin de journée. Celles qui arrivèrent ce jour-là n’étaient pas comme d’habitude, ce fut la dernière pensée du passeur et des deux gardes qui l’accompagnaient. Proprement égorgés ils furent remplacés illico par trois de nos hommes les plus baraqués. De l’autre côté de l’île nous étions une vingtaine à traverser le fleuve en poussant des chambres gonflées d’air réunies par trois pour transporter nos armes. Au pont se jouait une tragédie qui ne dura qu’un instant, les trois gardes moururent silencieusement leurs cous traversés par des carreaux d’arbalètes expédiés par des spécialistes qui avaient profité de la pénombre. Les trois gardes remplacés, notre petite armée se glissa discrètement dans le paysage. Le village était tranquille les braves couillons attendaient sagement l’arrivée du troupeau de femelles auquel ils étaient habitués. Maman Dédée habitait à une centaine de mètres du village. Elle avait une grosse baraque bien laide et gardée en permanence par quelques sentinelles qui n’avaient jamais été dérangées jusque-là ; elles ne le seraient jamais plus ! Mélie fut la première à y passer, je vis Mic lui masquer la bouche de sa main gauche et l’égorger très souplement. Junior se ramassa un coup de hache entre les deux yeux et comme on pouvait à présent être un peu plus bruyant, José et Maman Dédée qui bâfraient dans leur cuisine, effacèrent chacun une rafale d’Uzi qui réveilla l’ensemble du village. On amena un transpalette sur les lieux et on suspendit les trois cadavres par les pieds au bras de l’engin qui s’avança en brinquebalant jusqu’au milieu du village. Les pauvres connards, frustrés et atterrés par le spectacle, mirent un moment avant de repérer ce qui se balançait sous le transpalette, il regardait ahuris les filles en armes qui les surveillaient d’un air farouche et pas du tout énamouré. Kimiko avait réussi son pari : nous étions débarrassés des Gismos et nous avions recrutés une bonne centaine de bœufs de labour. Notre armée venait de prendre du muscle !

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